HISTOIRE DE LA DANSE Paris. - Imprimerie d'Ad. DELCAMBRE, 15, rue Breda. HISTOIRE ANECDOTIQUE ET PITTORESQUE DE LA DANSE Chez les Peuples Anciens et Modernes HEBREUX - GRECS - ROMAINS FRANCAIS - ANGLAIS - CHINOIS - ALLEMANDS - RUSSES SAUVAGES - GRECS MODERNES - ITALIENS ESPAGNOLS - ETC. PAR F. FERTIAULT MEMBRE CORRESPONDANT DE L'ACADEMIE DE DIJON La danse est une poesie muette. (SIMONIDE.) PARIS AUGUSTE AUBRY, LIBRAIRE 16, RUE DAUPHINE 1854 Il nous vient l'idee, - et l'idee, excellent augure, arrive d'un bond au bec de notre plume, - de traiter ici d'un art qui est un plaisir, et que toutes les epoques ont ardemment exerce, caresse, choye LA DANSE. C'est un sujet brillant et coquet s'il en fut; puissions-nous le suivre! - En tous cas, il nous attires En route! nous l'attaquons; nous es sayons l' essai ! Que la Danse nous soit legere!!! F. F. SOMMAIRE DES CHAPITRES. CHAPITRE PREMIER. - Origines et etimologies diverses. - Sympathie et antipathie des anciens pour la Danse. CHAP. II. - Coup d'oeil sur les differentes danses des anciens (Grecs). CHAP. III. - Coup d'oeil sur les differentes danses des anciens (Romains). CHAP. IV. - Celebrites et episodes grecs et romains. CHAP. V. - Transition. - Sommeil et reveil de la Danse. CHAP. VI. - Bals. - Division des danses francaises. - Opera. CHAP. VII. - Danses de ville. - Danses basses et danses par haut. CHAP. VIII. - Importance donnee a la Danse. - Pots-pourris. - Contredanses. CHAP. IX. - Metamorphose. - Danses contemporaines. - Danses de societe. CHAP. X. - Danses etrangeres. - Sauvages. - Orientaux. - Chinois. CHAP. XI. - Continuation des Danses etrangeres. - Suisses. - Anglais. - Allemands. - Grecs modernes. CHAP. XII. - Fin des Danses etrangeres. - Russes. - Cosaques Polonais. - Italiens. - Espagnols. HISTOIRE DE LA DANSE I. Origines et etymologies diverses. - Sympathie et antipathie des anciens pour la Danse. La Danse! - Quelle est celle de vous, Mesdames (je mets mon essai sous la protection des dames), qui ne tressaille d'aise a ce mot magique: la Danse? - A cet appel rempli de delicieuses feeries, la liseuse quitte son livre; la flancuse, sa promenade; la frileuse, son coin du feu; la paresseuse, son lit. La Danse! - Oh! Mesdames, calmez-vous, je vous en prie pour ecouter son histoire; ne vous envolez pas car a ce mot je vois, helas! poindre et pousser vos ailes! La Danse! - Et d'ou vient la Danse, Mesdames? (je prie les messieurs, a qui la lecture de cet essai n'est pas le moins du monde interdite, de vouloir bien se rappeler que le bal est le regne des femmes, et que, par consequent, je suis en plein droit de galanterie en m'adressant premierement et directement a elles) D'ou vient la Danse? Helas! helas! les plus savants different la-dessus et se contredisent! Je vous dirai bien d'ou elle tire son nom: c'est le mot arabe tanza qui designe votre exercice favori, exercice que les Allemands nomment dantz , les Anglais dance , les Espagnols danca et les Italiens danza . Ne vous semble-t-il pas (je vous demande ela entre parentheses) ne vous semble-t-il pas, a voir les orthographes differentes de ce mot, en entendre la prononciation dure, sifflante, majestueuse, ou euphonique? mieux que cela, ne voyez-vous pas s'agiter et s'ebattre les danseurs eux-memes; avec leur raideur, leur morgue, leur souplesse, ou leur grace? Voila pour le nom; c'est parfait. Mais pour la chose, c'est different. Ecoutez: Quelques auteurs veulent bien faire l'honneur de cette invention a la sage Minerve, qui, disent-ils, dansa de joie apres la defaite des Titans; - d'autres la font trouver par Castor et Pollux; - Lucien, de son cote, attribue la decouverte de cette agreable gymnastique a Rhea, qui l'apprit a ses pretres, en Phrygie et dans l'ile de Crete, - tandis que Theophraste nous raconte qu'un jeune Sicilien, joueur de flute, nomme Andron, ne a Catane, fut le premier qui accompagna les sons de son instrument de divers mouvements du corps repondant au rhytme de sa musique: de la, les anciens Grecs auraient dit sikelizeo pour danser , voulant montrer que la danse venait 2 de Sicile. - Maintenant de toutes ces versions, permis a vous de choisir la moins erronee. Je vous demande bien pardon, Mesdames, d'etaler devant vous et a propos d'une chose si legere, une si lourde erudition Mais que voulez-vous? c'est precisement parce que la Danse est legere qu'il faut tacher de lui faire contrepoids! Et je ne vous tiendrai pas quittes de mon affreux grec avant de vous en avoir ecrit deux mots encore; je desire vous donner une autre etymologie. La Danse, qui se nomma d'abord, mais dans un sens bien plus etendu, saltation , du verbe latin saltare , danser; la Danse, dis-je, etait, dans les temps merveilleux, sous le patronage d'une Muse; cette Muse, qui presidait a l'art mesure des pas et des figures, se nommait, comme vous le savez, Terpsichore; eh bien! ce nom, assez vif et semillant, vient de deux motsgrecs: terpo , je charme , et choros, danse - Donc, Mesdames, raccommodez-vous bien vite avec l'erudition, avec cette chere erudition qui vient vous prouver que votre Danse est un charme, et qu'en dansant vous egalez les Muses: " Venus conduit le choeur des Nymphes et des Graces ," dit en latin le lyrique Horace. Je ne vais point vous faire remonter l'antiquite des temps pour courir apres l'epoque probable ou commenca la Danse; elle doit etre a peu de chose pres aussi ancienne que le monde: les Hebreux danserent au sortir de la mer Rouge et autour du veau d'or (et ils n'en etaient pas la a leur coup d'essai);-les jeunes filles de Silo se livraient a la danse dans les champs, lorsqu'elles furent surprises par les jeunes garcons de la tribu de Benjamin, qui les enleverent de force d'apres le conseil des anciens d'Israel;-David dansa devant l'arche;-Socrate apprit a danser d'Aspasie;-les soldats de Crete et de Sparte allaient a l'assaut en dansant, etc., etc.; nous laisserons ce point d'archeologie animee a resoudre par par d'autres;-je ne vous dirai meme qu'en passant que la Danse a du naitre de certains gestes exprimant le contentement, la douleur, la joie, absolument comme la musique est nee de certains sons analogues, - et, laissant de cote l'attirail toujours ambitieux et souvent fatigant des details et des ornements scientifiques, vous arriverez d'emblee au coup-d'oeil annonce en tete de ces lignes. La Danse, pour les anciens, n'etait point un amusement; elle constituait, au contraire, une partie considerable des ceremonies de leur religion et de leurs exercices militaires. Platon, Socrate, Charmides, Lycurgue et autres Grecs illustres l'eurent en grande veneration, parce que, de leur temps, elle reglait les moeurs en servant d'interprete aux nobles passions. Notre epigraphe vous apprend le cas qu'en faisait Simonide; - Xenophon raconte que Socrate, raille un jour par Charmides, qui le surprit a danser, parla si eloquemment sur la danse que le railleur converti se mit a l'imiter; - on lit dans les anciens livres chinois que: la Musique et la Danse sont les plus importantes de toutes les affaires; etc. Plus tard elle degenera, et finit meme par se faire proscrire mais j'anticipe. Il est bon cependant de remarquer que les hommes, qui, dans l'origine, s'etaient servis de la Danse uniquement dans les graves solennites de leur culte, ou pour manifester leurs doux sentiments de joie, de tendresse ou de reconnaissance, l'employerent bientot pour servir d'expression a leur plaisir. Est-ce a cause de cette degenerescence que, beaucoup plus tard, les Romains temoignerent tant de mepris pour cette meme Danse? Je ne sais; mais il est de fait que Ciceron, apres avoir dit: "Nul homme sobre ne danse, a moins d'etre fou," adresse un grave reproche au consul Gabinus d'avoir danse; - que Tibere chassa les danseurs de Rome; - que Domitien renvoya du Senat des senateurs partisans de la Danse, - et que Salluste reproche a une dame romaine nommee Sempronia "de danser avec beaucoup plus d'art qu'il n'est seant a une honnete femme." Voila, n'est-ce pas, Mesdames, une bien grande severite? - C'est qu'il parait que Rome possedait beaucoup mieux que notre Chateau-Rouge , notre Mabile , ou notre Chaumiere , et que la Danse, chez les Romains, s'etait pervertie enormement plus qu'elle ne le fera jamais chez nous. - Vous pouvez vous rassurer: de sa vie legislateur francais n'aura la velleite de condamner ni d'interdire le plus gracieux delassement de nos salons. Ces grands juges n'avaient pas vos polkas, vos schotisches ni vos walses, et je crois fermement que si Salluste, Domitien, Tibere et Ciceron eussent pu vous voir tourbillonner pendant une seule petite soiree, au lieu de lancer leur anatheme contre la Danse, ils se seraient mis, les austeres, a danser aussitot avec vous, - tandis que, voyez un peu! ce dedain, chez eux, n'atteignait precisement que les danses privees! Mais laissez-les bouder, ces fiers Romains; nous allons, pendant ce temps-la, passer en revue les danses les plus curieuses et les plus piquantes qu'eux-memes et leurs vieux peres, les Grecs, aient eues en honneur dans leurs diverses ceremonies. II. Coup d'oeil sur les differentes sortes de danses des anciens "Qui nous delivrera des Grecs et des Romains?" s'est ecrie jadis un spirituel poete dans une boutade humouristique contre les anciens. Il parait que cette fois notre plume s'est chargee de ce soin, puisqu'elle prend la tache de vous entretenir des danses de ces deux peuples, afin de n'avoir plus a vous en parler ensuite. Executons-nous donc, et qu'aujourd'hui nous en ayons au moins fini avec les vieux enfants de la Grece. La Danse, comme nous l'avons vu, n'etait dans les commencements qu'une branche du culte et pour ainsi dire de l'education; mais elle ne resta pas longtemps stationnaire, et de cette origine pure et presque sainte elle en vint bien vite a une application profane En peu de temps elle se mela a toutes les fetes, et monta sur la scene, ou elle fit briller un charme d'autant plus grand qu'elle s'y perfectionnait et y devenait un art. Alors redoublerent l'enthousiasme, la passion qu'on avait deja pour cette sorte de plaisir, et, par suite de combinaisons et d'embellissements divers, il arriva ce qui devait naturellement arriver: le nombre des danses se multiplia, chaque solennite eut la sienne. En se multipliant, la Danse se diversifia, et le gout dut aussitot lui assigner ses differents caracteres. C'est la, Mesdames, qu'une nomenclature formidable vous ferait reculer, si, dans cet essai leger et superficiel, nous nous laissions succomber a la manie, - j'allais dire maladie, - de montrer de la science a propos de tout; mais je vous priverai de la plus longue partie de cette liste, qu'un savant, nomme Meursius, a donnee au grand complet, et qu'il est bon pour vous de laisser dans ses oeuvres. - Je ne vous indiquerai donc que les categories les plus interessantes. En general, la Danse, prise en elle-meme et au point de vue purement technique, se divisait en trois especes, qui etaient: 1 -la Cubistique; 2 -la Spheristique; 3 -l'Orchestique. La Cubistique consistait en soubresauts, tours de souplesse et culbutes, comme en font les bateleurs et les saltimbanques; La Spheristique etait l'accompagnement en cadence d'un gros ballon, qu'il fallait saisir 3 en l'air sans le laisser tomber (de la le proverbe: Prendre la balle au bond ; de la aussi, - ballein , - les mots bal et ballet ); L' Orchestique etait la danse ordinaire, et n'avait rien de bien different de la notre, quant a l'action de sauter. Mais il est une autre division, bien plus importante, qui va vous faire distinguer la couleur morale, pour ainsi dire, de chaque espece de danse, et qui, dans ses larges proportions, se trouve tout a fait independante de la premiere. C'est encore une division par trois, ce nombre cheri du hasard et si revere des anciens.- Voyez comme la, les nuances sont bien tranchees. Ils avaient: 1 -Les danses sacrees; 2 -Les danses funebres; 3 -Les danses profanes. Les danses sacrees etaient toutes celles qui faisaient partie du culte recu, et que les pretres instituaient successivement pour etre executees dans les temples. - On peut citer, parmi elles, les danses des sacrifices , des mysteres , de Ceres , d' Isis , les Bacchanales , celles en l'honneur des dieux rustiques et champetres , etc. N'oublions pas la danse astronomique , une des plus nobles, imaginee pour representer le mouvement des astres. Les danses funebres consistaient en demarches, en gestes, en maintiens graves et majestueux, formes sur des symphonies lugubres, marquant l'affliction, et representant parfois l'episode qui avait cause la mort de celui dont on celebrait les funerailles. - La gingra etait une de ces danses. Celles qui accompagnaient la depouille mortelle des rois d'Athenes brillaient d'une pompe extraordinaire. Les danses profanes ont ete les plus nombreuses de toutes, et elles ont donne lieu e une quantite de divisions que nous allons etre obliges de subdiviser encore. Nous pouvons tout d'abord les distinguer en deux classes: 1. Les danses de ville; 2. Les danses sceniques. Les danses de ville avaient lieu dans les jeux publics, les ceremonies non religieuses, les fetes privees, et remplissaient la plupart des heures de delassement et de loisir; Les danses sceniques etaient celles que l'on executait sur les theatres. Ces dernieres se trouvaient au nombre de quatre: 1. La Tragique, appelee Emmeleia ,-digne et elegante; 2. La Comique, appelee Cordax ,-libre et sans elegance. 3. La Satyrique, appelee Sicinnis ,-mouvementee et grotesque; 4. La pantomime, sans surnom,-peignant aux yeux les actions et les passions des hommes. Le nom de chacune de ces danses vous dit assez quels etaient leur sens et leur destination, sans que je vous arrete ici dans les reseaux de longs et sempiternels commentaires. Quant aux premieres, c'est-a-dire aux danses de ville , je tiens a vous menager devant leur innombrable quantite, et je vous indique en passant: La Gymnopedie , executee par deux troupes, l'une de jeunes garcons, l'autre d'hommes faits, qui dansaient en chantant les hymnes de Thaletes; La Laconienne , composee de trois choeurs ingenieusement disposes et representant le Passe, le Present et l'Avenir; La Pyrrhique , inventee par Pyrrhus,-d'autres disent par son pere Achille, pour les funerailles de Patrocle,-cherie des Amazones, et qui s'executait par des danseurs armes simulant des actions guerrieres. (C'est cette danse dont le savant Scaliger crut avoir retrouve les pas, et qu'il dansa, arme de pied en cap, devant l'empereur Maximilien et toute sa cour, "qu'il ravit dit-il, d'admiration.") L' Antheme ou danse des Fleurs , dans laquelle on repetait sans cesse ce naif refrain: "Ou sont les roses? Ou sont les violettes? Ou est le beau persil?" L' Hormus , danse gracieuse et vive de l'invention de Lycurgue, et formee par de jeunes garcons et de jeunes filles, qui, les uns a cote des autres, donnaient a leur groupe mouvant la figure d'un collier qui tourne; La Caryatique , qui s'apprenait a Carye, dansee par les jeunes Spartiates et les vierges de la Laconie, la nuit, sans voiles, aux bords de l'Eurotas, et que l'on stimulait a l'aide de cette chanson: "En avant, jeunes gens, passez les pieds l'un apres l'autre; divertissez-vous bien et dansez le mieux que vous pourrez!" La Bibasis , dans laquelle les jeunes danseuses lacedemoniennes devaient, par des sauts vifs et precipites, battre periodiquement de leurs talons "les formes qui distinguent la Venus Callipige;" La Candiote , usitee encore en partie parmi les Grecs d'aujourd'hui, et qui est la meme dont parle Homere dans la fameuse description du bouclier d'Achille; Puis enfin la Memphytique , l' Enoplienne , danees armees comme la Pyrrhique ; - les Nuptiales , la danse du Parnasse , qu'executaient les femmes de l'Attique, reunies a celles de Delphes;-la Prylide , la Pheacienne , chantee par Homere;-la danse des Saisons , qui remonte au retour de Bacchus en Grece;-celle des Vendanges , decrite par Longus dans sa pastorale; - les Tourbillons de poussiere , la Pourpree , les bruyantes Anagogies , la Magnesienne , imitant les travaux du labour, et bien d'autres encore, interessantes ou baroques, et que je m'arroge pourtant le droit de vous passer sous silence. Voila deja achevee la bonne moitie de notre excursion choregraphique a travers l'antiquite; la Grece est exploree: l'etape prochaine nous fera danser avec les Romains. III. Coup-d'oeil sur les differentes sortes de danses des anciens (Romains) . Nous venons de voir la Grece briller de l'eclat de ses fetes et de ses danses; mais pendant qu'elle perfectionnait ainsi ses plaisirs aux molles douceurs des chants de Therpandre, d'Aletas et d'Alcmane, Rome, dont nous avons a nous occuper, Rome etait encore la Rome severe et primitive, n'ayant pour elle que sa pauvrete, sa sauvagerie , accompagnees, il est vrai, de ses magnanimes vertus et des premiers fremissements qui lui annoncaient sa grandeur future -Mais cela n'a pas grand rapport avec la Danse! Cette Rome jeune et integre dut donc fort peu danser. 4 Aussi, du temps de Romulus, les Romains comptaient-ils en tout une danse! Oui, Mesdames, une danse; et bien plus, les Romaines n'y prenaient aucune part! C'etait peu recreatif, n'est-ce pas, pour les pauvres habitants du naissant empire? Numa vint, qui, inspire par sa belle Egerie, voulut developper l'art de la Danse.Il etait parfaitement dans la mission d'une femme de perfectionner ce gracieux plaisir; mais cependant, sous ce bon roi seconde de sa deesse, cet exercice ne depassa pas l'effet d'une ceremonie guerriere ou sacree, ou tout au plus celui d'une procession assez monotone. - Il faut du temps au progres! La Valse, la Polka, la Varsoviana n'ont pas ete creees en un jour. La Danse, vous le voyez, se trouvait peu dans le genie de la puissante cite, heroique sans aucun doute, mais que vous n'hesiterez certainement pas, devant cette ignorance choregraphique, a qualifier egalement de barbare. Ne pas danser!.,. Quelle nation peut vivre sans cet indispensable delassement? Ne pas danser!!! comprend-on cela? Je me hate trop! les fils de Romulus danserent: en 390 de Rome, la Danse fut introduite dans cette ville; mais, Dieu nous garde! comment y entra-t-elle? Je ne m'etonne plus que les Romains ne l'aient pas toujours aimee c'est la peste, oui, cet horrible fleau, la peste, qui l'y institua! Je vous en dirai un mot tout-a-l'heure. Passons.ns. Plusieurs generations prirent part a ces amusements sans les femmes (qu'est-ce que la Danse sans les femmes?) et sur la scene meme ces dernieres furent remplacees dans leurs roles par de jeunes hommes, depassant souvent la mesure de convenance que la femme sait toujours si bien conserver, - ce qui entrava notre elegante gymnastique et la laissa dans ses premiers langes, en blessant le gout des spectateurs. Mais enfin, la Grece perdant sa liberte, et les arts venant chercher refuge a Rome, les moeurs de la reine des cites s'adoucirent, et la Danse s'y intronisa. - Quelle puissance, quelle majeste que cette Danse, a qui il ne faut que des chutes d'empires pour marquer la progression de ses pas! Nous ne voulons point ici faire un cours d'histoire a propos de chorelogie (passez-moi le mot, il manque): ce serait attacher des balles de plomb aux cordes de la lyre ou aux ailes de l'oiseau, et il nous tarde deja de decrire quelques-uns des rares exercices de ces hardis conquerants du monde. Voici donc arrive le moment de la nomenclature. Procedant de la meme maniere que pour les Grecs, nous allons choisir; seulement, comme la mine est moins riche, nous serons obliges d'etre moins difficiles et de negliger un moins grand nombre de citations. - Cependant, nous en laisserons encore. Parmi leurs principales danses, les Romains avaient: Le Cliquetis de la Guerre , inventee par Romulus, et que ses guerriers dansaient tout armes. Cette danse, aux mouvements brusques, saccades, au caractere sauvage, avait pour but de representer la joie des Romains au moment ou ils venaient d'enlever les Sabines; La Salienne , inspiree a Numa par Egerie, a propos de la trouvaille du bouclier sacre, et executee par les douze pretres saliens , armes chacun d'un bouclier pareil. "Ces douzes pretres portaient de longues robes de pourpre: un baudrier d'airain s'attachait a leurs epaules; a l'exemple du Dieu qu'ils servaient, leur front etait couvert d'un casque ombrage d'aigrettes; leur main droite, armee d'une courte epee, frappait en cadence sur leur bouclier."- Leur nom leur vient de salire , sauter, ou, selon d'autres, du nom de Salius de Mantinee, qui leur apprit a danser de la sorte en armes La danse des Ludions , imaginee l'an de Rome 390, pour conjurer la colere des Dieux et surtout pour distraire le peuple, au moment ou sevissait une peste que nul pouvoir humain ne pouvait arreter. - Ces Ludions venaient de l'Etrurie, et ils gesticulaient et chantaient au son de la flute; L' Hormus , venue des Grecs, mais qui avait oublie sa gracieuse origine pour prendre, comme le dit Apulee, un caractere plus male et plus anime c'est-a-dire plus belliqueux et plus sauvage. Adieu les belles danses de Lycurgue! Les epees et la trompette ont remplace les mains des jeunes filles et la lyre; La Grue , releguee a la campagne, et abandonnee en toute propriete aux villageois, quila dansaient en bondissant et gambadant aux notes aigues d'un aigre pipeau; La Pyladienne , a laquelle avait donne son nom Pylade, un des pantomimes les plus celebres de son temps, - et dont vous parlera l'article prochain; L' Italique , inventee par Bathyle, autre pantomime rival du precedent, et si compliquee, qu'elle reunissait en elle tout a la fois l' Emmeleia , la Cordax et la Sicinnis des Grecs. La danse de Flore , dont l'origine simple et naive fut bientot meconnaissable, au milieu de la licence et meme de l'obcenite de ses allures, arrivees au point de revolter toute ame honnete. - C'est celle-la que faisait celebrer un jour l'edile Metius. Caton etait present. Le peuple attendait avec impatience les courtisanes danseuses qui n'oserent se montrer devant l'austere censeur. Son ami Favonius l'avertit. Il sort, pour ne point priver le peuple de ses plaisirs et pour ne point en souiller sa vue. Jusqu'a sa mort, les jeux floraux furent retablis dans leur purete primitive c'etait beaucoup! Les Romains avaient en outre des danses gaies et elegantes pour leurs festins, executees par de jeunes filles deguisees en nymphes ou "parees de leurs propres attraits." Les peintures decouvertes a Pompeia et a Herculanum montrent un certain nombre de ces danseuses dans la plupart de leurs pas et de leurs mouvements. (Voir, entre autres, les quatres figures dansantes de l'atrium de Pompeia, et les sept danseuses d'Herculanum.) La pantomime fit des prodiges chez les Romains, et plusieurs grands hommes s'y rendirent remarquables. Malgre cela, la masse des citoyens regardait d'un air de mepris ceux qui se livraient aux plaisirs de cette profession. - Cesar avait force le poete Laberius a danser sur le theatre. Il lui donna un anneau d'or et cinq cent mille sesterces pour effacer cette souillure mais il ne put lui rendre sa place au Cirque parmi les chevaliers, qui ne voulurent pas parmi eux d'un danseur. Pour regler leurs danses, les anciens habitants de la Grece et de Rome affectionnaient principalement les sons de la lyre, de la cythare, de la flute, des crotales, etc., etc. Mais, halte! - Voila notre deuxieme excursion dansante terminee. Vous voyez, Mesdames, que notre plume est venue e bout de vous delivrer des Grecs et des Romains; vous voyez egalement que si, avec une liste assez longue, je n'ai fait que choisir discretement parmi toutes les danses des anciens, j'aurais pu facilement vous accabler d'un volume en choisissant et decrivant avec une discretion moindre: mais je me suis bien donn donne garde d'epuiser ma matiere a vous, gracieuses lectrices, de dire si j'aireussi a n'en prendre que la fleur . IV Celebrites et episodes grecs et romains . Le chapitre que nous entamons aujourd'hui est une espece de revue complementaire des trois precedents; nous allons, - mais sans avoir la moindre pretention d'etre complet, - vous y faire connaitre quelques-uns des episodes auxquels certaines danses doivent leur origine, en meme temps que nous vous 5 apprendrons les noms des plus celebres danseurs qui les ont executees. Il va sans dire qu'ayant choisi pour les danses, nous choisirons d'autant plus pour les anecdotes qui y ont rapport Nous n'avons pas la pretention de faire ici la biographie de tous les saltateurs de la Grace et de Rome. Nous commenccns naturellement par l'immortelle patrie d'Homere Un ecrivain sur la danse pretend que le celebre Protee, "dont ? la fable raconte tant de merveilles," n'etait autre qu'un des plus habiles danseurs des vieux Hellenes, lequel, par la mobilite de ses pas, par la force de son expression, le talent qu'il apportait a se grimer, semblait a chaque minute prendre une forme nouvelle. A cote de cette supposition, que nous ne voudrions pas garantir, mais qui est au moins ingenieuse, les Grecs applaudissaient de vrais prodiges en fait de femmes. Une, entre autres, la celebre Empuse, possedait un don vraiment extraordinaire: elle deployait dans ses sauts, ses tours et ses danses, une telle souplesse, une agilite si grande, qu'aux yeux des spectateurs les plus exerces elle semblait paraitre et disparaitre comme une ombre; c'etait un fantome, un sylphe, un reve chaque fois on se trouvait aussi emerveille que la premiere. Voila deux celebrites. Voulez-vous maintenant une origine? La pantomime, dit-on, prit naissance d'un amour malheureux. - Voici comment: La jeune et belle Eryphanis, du bourg d'Anthela, aimait le chasseur Menalque; mais Menalque, jeune et beau, etait insensible. Entrainee par sa passion, la malheureuse enfant le suivait dans les bois, en chantant des vers faits par elle, et dans lesquels elle deplorait l'indifference du beau et cruel chasseur. Ses elegies, helas! furent peu efficaces: elle mourut de chagrin, de langueur et d'amour! Ses compagnes avaient retenu ses tristes chansons; elles les redirent, et, pendant qu'elles les chantaient, l'une d'elles, par une espece de danse mimee, representait les courses penibles, la douleur et la morl de l'infortunee Eryphanis. - Ce genre, perfectionne, devint la pantomime. Un trait pourrait vous montrer jusqu'a quel degre irreflechi et pernicieux les jeunes gens se livraient parfois au plaisir de la Danse. Un prince de Sicyone, nomme Clystenes, ne voulait donner sa fille en mariage qu'au plus vaillant des Grecs. Il invite, dans ce but, tous les pretendants a la main de la jeune vierge, et les garde chez lui plusieurs jours, afin de pouvoir mieux choisir son gendre. Son choix balancait entre deux Atheniens et etait surtout tombe sur Hypoclides, fils de Tysandre. Le jour venu de nommer l'epoux de sa fille, il donne un grand festin a tous ses hotes. Le repas, qui avait ete splendide, les avait un peu echauffe es. Apres le repas, on chante, on boit encore, on saute et l'on joue. Hypoclides demande l'air d'une danse grave, a laquelle il se livre d'un ton demi-serieux, et dont il parait tres-satisfait. Clystenes le regarde. Hypoclides fait apporter une seconde table, sur laquelle il monte, et execute la Spartiate et puis des danses atheniennes. Clystenes le regarde toujours. Enfin, l'intrepide convive remonte sur la table une deuxieme fois, et la tete en bas, comme les baladins et les bateleurs, danse en ne s'appuyant que de ses mains. Clystenes, qui l'avait deja pris en aversion, ne peut se contenir: - "Fils de Tysandre, lui cria-t-il, tu viens de danser la rupture de ton mariage." Et il prit a sa place, pour gendre, Megacles, fils d'Alcmeon Pauvre Hypoclides, il croyait cependant se faire bien venir par son stupide role de saltimbanque! Avis a ceux qui ne comptent pour rien la dignite! La Danse, a Rome, a eu egalement ses grands hommes: Pylade, ne en Cilicie, esclave affranchi d'Auguste, et Bathyle, d'Alexandrie, esclave affranchi de Mecene, les deux hommes les plus celebres en ce genre, deployerent leurs talents sous le regne imperial de l'illustre Cesar. Le premier etait tendre, grave et pathetique; le second se montrait plutot vif, gai et leger. Raunis d'abord, ils avaient bati un theatre a leurs frais, sur lequel ils representaient des tragedies et des comedies, sans autre secours que celui de la musique et de la danse. Un jour qu'ils jouaient un ballet, le cynique Demetrius s'ecrie, dans un transport de plaisir qui lui echappe et lui arrache cet aveu: "Non, ce n'est point une representation, c'est la chose elle-meme!" Dans toutes ses tragedies, Pylade provoquait les larmes des spectateurs les plus endurcis, et Bathyle, en representant les amours de Leda, causait, selon Juvenal, " aux dames romaines les plus respectables, des distractions qui passaient les bornes de la sensibilite." Apres ces deux merveilles, qui plus tard se querellerent pour cause de rivalite, parurent Paris, Hylas et Caramallus sans compter plusieurs personnages importants et haut places, qu'on blama fort. Un autre, nomme Memphyr, et qui etait philosophe pythagoricien, exprimait par sa danse, au dire d'Athenee, toute l'excellence de la philosophie de son maitre, mieux que ne l'eut fait le professeur le plus habile. - J'avoue qu'il faut du talent a un danseur, si eloquentes que soient ses jambes, si persuasifs que soient ses gestes, pour lutter d'elegance, de force, d'energie, de precision, de clarte, avee un maitre orateur en philosophie! Sous le regne de Domitien, Rome eut dans dans son actrice Tymele le meme tresor que la Grece avait possede dans sa fameuse Empuse. Elle etait surtout, dit-on, superieure dans les tableaux de galanterie, qu'on ne peignit jamais avec tant de feu, avec des couleurs en meme temps si douces et si vives. Les spectateurs tombaient dans l'extase; les spectatrices, hors d'elles-memes, "criaient de plaisir " Chut! cheres lectrices, mettons-nous de la cire dans les oreilles, un voile devant les yeux. Nous, ferons, en cela, comme les Massiliens, qui, d'apres Valere-Maxime, refuserent d'ouvrir leur theatre aux mimes, de crainte que l'obscenite de leurs pieces ne gatat leurs moeurs. Helas! que sont devenus ces Romains si primitifs, si purs et si integres! O decadence! Ils ont chasse de leurs villes les etrangers et les philosophes, sous pretexte de famine, et ils ont conserve et nourri dans leurs murs trois mille saltatrices et autant de choristes! Que fallait-il done etre pour manager du pain a Rome!!! Mais tournons le feuillet; nous allons mettre le pied surle terrain moderne. V. Transition . - Sommeil et reveil de la Danse . Dans nos chapitres sur les exercices dansants des anciens, vous avez, o belles lectrices, et vous fideles lecteurs, vous avez vu la Danse, malgre les bouderies de quelques-uns, arrivee a son eclat supreme chez les habitants de la Grece et de Rome. Vous avez du voir aussi que nous avons donne les proportions les plus breves possibles 6 a ces etudes superficielles. Ce n'est pas, au moins, que nous ayions le desir d'y revenir: rassurez-vous, Mesdames; si je mentionne ici cette brievete meritoire, c'est simplement pour vous dire, en guise d'invitation, queles chapitres sur les danses modernes participeront des qualites de laconisme de leurs predecesseurs. Ce haut point de perfection atteint par la Danse chez les peuples d'autrefois fut malheureusement, comme tous les apogees, le precurseur d'une decadence. Cet art eut le sort de tous les autres arts qui, chez les Romains degeneres, s'eteignirent peu a peu et finirent par disparaitre presque tout a fait a l'approche des cohortes barbares. - Voila pourtant a quoi s'expose un peuple qui s'enerve et s'endort trop profondement dans sa mollesse: a perdre jusqu'a sa danse!!! Nous pouvons, nous autres Francais, nous rassurer sur la decadence prochaine dont les moroses nous menacent depuis si longtemps: nous dansons avec trop de furia pour qu'elle arrive de sitot. La Danse se repose donc Que dis-je? elle est donc morte, morte au moins pour les vainqueurs du monde, qui sont morts eux-memes. Nous voila dans le triste, dans le lourd interregne de notre science, jadis si semillante et si legere! Je dis "interregne," malgre quelques rares apparitions, pales reflets que nous nous contenterons d'indiquer, mais trop faibles pour la faire revivre. Les Goths et les Francs avaient bien quelques danses, danses de transition entre les anciennes et les modernes, mais qui tenaient des premieres par le caractere sauvage et guerrier, et rappelaient les pyrrhiques belliqueuses plutot que les gracieuses caryatique ou antheme. - Olaus en a decrit plusieurs avec un charme original, particulierement celle ou les jeunes gens formaient alternativement, avec les pointes et les poignees de leurs epees, la figure circulaire appelee la Rose . Le culte chretien accueillit les danses d'acteurs ou Baladoires , et les temples furent disposes de maniere a introduire des danseurs dans leurs murs. L'espece de theatre qui leur etait reserve se nommait le choeur , nom qui est reste, malgre l'abolition actuelle de la chose alors en usage. - Scaliger pretend que le surnom de Proesules , donne aux eveques, vient de ce que, dans les jours solennels, ces chefs des fideles menaient la danse Les bons pasteurs! Mais on ne tarda pas a entendre tonner les foudres de I'Eglise. La licence s'etait montree dans les lieux saints. On abolit tout, on anathematise tout. On va meme plus loin: on emprisonne quatre Genevois, dont deux syndics, pour avoir danse avec leurs femmes au boulevard de la Reine C'etait severe! Par bonheur que plus tard, - retour inevitable des choses d'ici-bas, - la Danse reviendra a de meilleurs jours, et que, pour commencer, les venerables prelats du concile de Trente donneront, apres leur messe, un somptueux festin suivi d'un bal, ou rois, cardinaux et eveques danseront "galamment avec les belles dames allemandes, espagnoles et italiennes qu'ils auront invitees a la fete." Quel pas ce sera de fait pour la rehabilitation, c'est-a-dire pour la resurrection de notre chere Danse! de notre Danse, que je n'en considere pas moins, alors et malgre ces quelques acces, comme trepassee ou plongee dans la plus inquietante lethargie. La Danse dort donc toujours. Et combien de temps dort-elle ainsi? Helas! elle est prise d'un long, d'un bien long sommeil!!! Ce n'est pas une suite d'annees, mais une suite de siecles, qu'il faut parcourir pour la voir reparaitre, car il est bien convenu que nous ne ferons pas figurer, dans les fastes de l'art choregraphique, ni les histrions de la premiere race, cabrioleurs si excentriques et si inconvenants dans leurs jeux et dans leurs moeurs que Charlemagne fut oblige de les chasser, ni les danseurs dissolus qui figurerent plus tard dans ces saturnales gauloises apelees: la Mere folle , la Fete de l'Ane , la Fete des Fous , les Brandons , les Fetes des Calendes , etc., etc. Mais enfin, endormie avec les dernieres lueurs du soleil romain, la danse se reveille, au moyen age, a la voix d'un Medicis, qui, faisant sortir les arts de leur assoupissement, attire de nouveau sur l'Italie les regards enchantes et reconnaissants de toutes les nations, "et l'on voit, dit un ecrivain special, renaitre, avec la peinture et la poesie, le charme de la musique et les graces de la danse.)" Se ressouvenant de la Rome antique, son immortelle ancetre, dont le cri universel etait: Panem et circenses! "Du pain et des spectacles!" l'Italie d'aujourd'hui, dont Silvio Pellico a dit: D'ogni bell' arte, non sei madre, o Italia? l'Italie, dis-je, peut bien etre consideree comme la mere brillante de la Danse moderne. En effet, c'est a Tortone que, vers la fin du quinzieme siecle, un gentilhomme de Lombardie, nomme Bergonzo di Botta, se revela comme le restaurateur de la musique, des divertissements et surtout de la Danse. - La fete dans laquelle il se signala avec le plus d'eclat fut celle qu'il prepara pour le mariage de Galeazzo, duc de Milan, avec Isabelle d'Aragon. Ces fetes furent si splendides que la description qui en parut se repandit dans toute l'Europe; que les principales villes d'Italie, "empressees de participer a la restauration de ces arts agreables," en imiterent le gout et la magnificence, et qu'elles firent naitre peu apres l'idee de trois beaux genres de spectacles: des Carrousels des Operas et des Ballets a machines. (C'est ici, Mesdames, et dans la parenthese la plus intentionnee, que je vous supplie de m'interdire toute espece d'erudition, parce que, si j'avais le malheur de m'y laisser aller, je vous lancerais a la tete des pages lourdes pour le moins comme des paves. - Laissez-moi feuilleter nos tres-savants auteurs; il m'est indispensable de les connaitre: mais intimez-moi l'ordre de ne vous citer aucun d'eux, car vous devez fort peu vous soucier de Meursius, Scaliger, Cahusac, Menetrier, Bonnet, Burette, Noverre, Brown, Van den Eynde, et bien d'autres encore, qui tous ont ecrit plus ou moins legerement sur la Danse, et dont nous effleurons a peine les tres-importantes mais tres-peu recreatives dissertations. Il n'entre pas dans le plan de notre essai de vous parler au long des trois genres de divertissements nouveaux mentionnes tout a l'heure: les Carrousels sont completement en dehors de notre sujet; - les Ballets , que I'on divisa en historiques, fabuleux et poetiques, ne s'y rattacheraient qu'episodiquement, - et les Operas eux-memes, quoique y tenant d'une facon plus directe, demanderaient, a cause de l'etendue de la matiere, une longue etude speciale et a part de notre rapide resume. Les Tournois, ces jeux de princes , avaient ete en grande faveur jusqu'a Henri II; mais la fin tragique de ce roi, blesse mortellement par la lance de Montgomery, fit abandonner ces sortes de plaisirs, et les Mascarades , les Ballets et les Bals devinrent l'unique ressource de la gaite francaise. Les Bals! notre trait d'union est donc enfin retrouve! voila donc la Danse revenue a vie et reprenant faveur!! - Dans notre premier chapitre nous commencerons a l'etudier au point de vue de sa resurrection et de son rapprochement de nous. 7 VI. Bals. - Division des Danses francaises. - Opera . La fin du chapitre precedent nous a reveilles, ou, pour mieux dire, a reveille la Danse par un mot electrique: le Bal. - Ce mot nous trouve, je ne dirai pas le pied, mais au moins la plume en l'air, et toute prete a vous effleurer les evolutions legeres, fantastiques et gracieuses executees dans ces splendides reunions ou l'on avait pour mot d'ordre de laisser folatrer le plaisir. Je ne vous deroule qu'un coin des magnificences du Bal: Louis XII, voulant montrer la grandeur des pompes royales a la ville de Milan, "ordonna un Bal solennel, ou toute la noblesse fut invitee. Ce bal fut ouvert par le roi, et continue par les cardinaux de Saint-Severin et de Narbonne, qui danserent avec les plus aimables dames de la Cour. Je ne rappelle que pour l'ordre chronologique le bal deja mentionne du concile de Trente, donne pour faire honneur au fils de Charles V, et ouvert par le cardinal Hercule de Mantoue. Catherine de Medicis avait un gout prononce pour les fetes, et c'est elle qui finit de mettre a la mode les grands ballets et les bals. Une des brillantes rejouissances qu'elle organisa est celle qui eut lieu pour le mariage du duc de Joyeuse avec la belle-soeur du roi, Marguerite de Lorraine: certains habillements des illustres danseurs de cette nuit avaient coute, chaque, pres de 80,000 francs! Le prix est honnete. - C'est a cette fete que fut danse (pardon, Mesdames; il faut que chacun ait sa part) le premier des ballets de chevaux, inventes, dit-on, par les Sybarites, que les Florentins ressusciterent en 1608 et 1615, et que Louis XIII et Louis XIV ont encore embellis dans leurs resplendissants Carrousels. La Reine-mere, avec la politique que vous lui connaissez, avait besoin et usait largement d'apparences riantes pour dissimuler ses noirs projets, - fond sombre qu'elle couvrait de broderies d'or. On peut, sans parler du bal d'une galanterie toute royale qu'elle offrit a son fils dans la petite ile formee par la Bidassoa, lors de son entrevue avec Charles IX et le duc d'Albe, - on peut citer celui plus fameux encore donne au Louvre, dans la grande salle de Bourbon, par la reine, les princesses, et tous les seigneurs de la Cour. Jugez de l'rdeur des nobles figurants: la representation dansante du Ballet de Circe et ses nymphes dura de 10 heures du soir a 4 heures du matin! vers, musique, decorations, tout avait ete soigne par des hommes speciaux; mais le celebre Beau-Joyeux, - que nous retrouverons, - est celui qui s'illustra le plus des ordonnateurs de cette longue soiree. C'etait un Italien, nomme de son vrainom, Balthazarini, un des meilleurs violons de l'Europe, et que le duc de Brissac avait envoye a Catherine de Medicis, qui l'avait pris pour valet de chambre. La Cour ne parlait que de lui, et les poetes du tempslui adresserent toutes sortes de louanges rimees. Mais ces fetes ne tarderent pas longtemps a prendre des allures licencieuses; l'Italienne avait des fils a etourdir, et le tourbillon des joies nocturnes les enivra quelque peu: Henri III [s'y deguisait] [en femme; les femmes y prenaient des habits d'hommes; "dans un bal donne au roi par la reine, les plus belles dames de ? la Cour servirent, la gorge decouverte et les cheveux epars " C'est passablement decollete et echevele! - Et quand on pense que dans les grelots de ces ? folies, tintait] deja la cloche qui sonna la Saint-Barthelemy!!! Je prefere arriver au galant et loyal Henri IV, qui dansa bien autant, mais qui ne cacha pas une seule noirceur sous la gaiete deses danses Il aimait bien mieux ajouter un pas aux joyeux tricottets (dont] nous parlerons dans un chapitre prochain). Ce bon roi fut eleve dans un pays ou l'on saute et gambade en naissant, car, de tout temps, les Bearnais ont eu la reputation d'excellents danseurs. Plus de 80 ? ballets furent executes a la cour en moins de vingt ans. Sully, l'austere ministre, etait l'ame de ces fetes, auxquelles le roi trouvait ? gu'il manquait quelque chose quand il n'y etait pas Ecoutez plutot le vieil ami de Henri, discourant sur ce sujet dans ses Memoires: " Il ne fut question, dit Sully, pendant tout le iemps du sejour de Henri en Bearn, que de rejouissances et de galanteries. Le gout de Madame, soeur du roi, pour ces divertissements, lui etait ? d'une ressource inepuisable. J'appris aupres de cette princesse le metier de courtisan, dans lequel j'etais fort neuf. Elle eut la bonte de me mettre de toutes les parties; et je me souviens qu'elle voulut bien m'apprendre elle-meme le pas d'un ballet, qui fut execute avec beaucoup de magnificence L'arsenal etait toujours l'endroit ou s'executaient ces jeux et ces spectacles, qui demandaient quelques preparations J'avais fait construire a ce sujet une salle spacieuse." Un de ces ballets fut interrompu par un episode assez saillant. Pendant l'execution de la danse, on vient apprendre au roi qu'Amiens est pris par les Espagnols. - "Ce coup est du ciel, s'ecrie Henri. C'est assez fait le roi de France; il est temps de faire le roi de Navarre." Puis, se tournant vers la belle Gabrielle: - "Ma belle maitresse, lui dit-il, il faut changer nos armes, et monter a cheval pour commencer une autre guerre." La cour de Louis XIII fut sombre, tout en recevant de temps a autre, comme contraste et par trouees passageres, des eclaircies grotesques et bouffonnes: - Le Ballet de Maitre Galimathias, pour le Grand Bal de la Douairiere de Billebahaut et de son fanfan de Sotteville , - tel est le titre d'un ballet ou dansa le roi. - En 1630, le duc de Nemours organisa le ballet des Goutteux , dans lequel, goutteux lui-meme, il figura assis sur son fauteuil et battant la mesure avec son baton. Passons vite par-dessus un autre ballet indigeste, raide et enfle, donne par Richelieu 1 , - et disons en quelques mots, que Louis XIV fut un parfait danseur et qu'il fit beaucoup pour l'art charmant qui nous occupe. Oui, l'on peut recommander ici a l'admiration des zeles, des fideles, le gout bien connu que le grand roi montra pour la danse, - dont l'Academie, "composee des treize des plus experimentes dudit art," fut fondee par lui en 8 1661, - et ce gout royal vous fera comprendre a l'instant meme l'engouement prolonge des Francais pour cet amusement, les progres qu'ils y firent, la reputation qu'ils y obtinrent, et les pompes dont ils l'entourerent. Cela pourrait bien, pour plusieurs, donner raison a la maxime chinoise qui dit que: "L'on peut juger d'un souverain par l'eclat de la Danse durant son regne." - Le tout sans empecher d'autres de demander si les Chinois raison. Dans notre chapitre sur les Danses des anciens, nous avons divise et subdivise a l'infini; ici, au contraire, nous bornerons simplement a indiquer deux grandes categories: 1 Les Danses theatrales ; 2 Les Danses de ville . Ces deux divisions principales nous suffiront amplement, attendu que, chez nous, les nuances de notre art sautillant sont bien moins nombreuses que celles qu'il avait a Rome ou dans la Grece: nous n'executons, en effet, ni danses sacrees , ni danses funebres; il est vrai qu'en revanche nous possedons des danses profanes a profusion Tout se compense dans ce monde danseur et leger. Dans les Danses theatrales sera compris tout ce quitient aux Operas et Ballets, dont nous venons de parler. Nous y verrions, si nous avions le temps de nous en occuper avec quelques details, l'Opera prenant naissance, par les soins du celebre Baltazarini, dont nous avons deja parle, et qui donna le premier, en France, l'idee des "representations en musique"; puis ce meme Opera, traversant successivement ses neuf domiciles, (rue Guenegaud, - rue de Vaugirard, - Palais-Royal, - Tuileries, - encore Palais-Royal, - Porte-Saint-Martin, - rue Richelieu, - rue Favart, - et rue Lepelletier); ce meme Opera, dis-je passerait par les mains de l'abbe Perrin, de Sourdac, de Champeron, de Cambert, de Lully et autres, jusqu'a celles des celebrites administratives de nos jours: et ce ne serait pas des fastes mesquins a derouler que ceux de notre institution lyrique et dansante, fastes parmi lesquels on verrait briller au premier rang cet arret du Conseil, de l'annee 1669, decidant que: " l'on ne deroge point en faisant profession de la Danse, ainsi qu'en s'attachant au Theatre " Il y a la-dedans, n'est-ce pas, de quoi relever de bien des affronts, de bien des dedains, de bien des avanies, - car, de tout temps, les esprits etroits ont fait des avanies aux artistes. - Si j'etais danseur, je voudrais me faire peindre un blason avec cet arret pour devise. Mais laissons l'empire de la Danse scenique, empire ou, des anciens Pecourt et L'Etang jusqu'a nos brillants Petipa et Saint-Leon; ou de M elles Lafontaine et Subligny jusqu'a nos Taglioni, Elssler, Cerrito et Guy-Stephan, apparaissent, de proche en proche, tant et de si illustres souverains et souveraines. - Un jour nous pourrons vous esquisser specialement la silhouette radieuse de l'Academie de Musique; mais pour aujourd'hui, force nous est de nous renfermer dans la Danse plus proprement dite, c'est-a-dire dans la deuxieme des categories indiquees tout a l'heure. VII. Danses de ville. - Danses basses et Danses par haut . La deuxieme de nos categories, dans laquelle nous allons a peu de chose pres nous renfermer, est celle qui comprend les danses de ville . - Ce nom de danses de ville doit se prendre ici dans le sens le plus etendu, dans l'acception la plus large du mot. Nos peres les avaient subdivisees en deux classes: 1 Les danses basses , - appelees aussi danses nobles ; 2 Les danses par haut , - appelees aussi baladinages . Expliquons d'abord la contradiction apparente, l'antithese de mots de ces doubles appellations: Les premieres, regulieres, tranquilles, convenables, "comme le sont les danses des honnetes gens," furent nommees basses parce qu'elles etaient calmes et sans excentricites. Leur seconde denomination de danses nobles leur convenait done parfaitement, tant par la dignite qui presidait a leur execution que par le bon ton et le rang des personnes quiles executaient. On etait bien sur, par le, de les distinguer des danses irregulieres, que nous allons definir. Les deuxiemes, accompagnees de sauts, de mouvements violents, comme celles affectees "par les bouffons, les pantomimes et les satimbanques," furent nommees par haut parce qu'elles etaient turbulentes et excentriques. Leur surnom de baladinages leur convenait donc egalement, les baladins se livrant toujours a des contorsions extraordinaires. Nous verrons, par la suite, lequel de ces deux genres assez differents s'est le plus religieusement conserve. Parmi les danses basses les plus en faveur dans les deux ou trois siecles derniers, nous pouvons vous citer en premiere ligne: Le Branle , par ou commencaient et finissaient tous les bals, et qui avait des varietes nombreuses, dont les principales etaient: le branle des sabotiers , ou chaque danseur frappait du pied a terre; le branle des lavandieres , ou l'on imitait le bruit du battoir en frappant dans ses mains; le branle aux flambeaux ; celui des pois ; celui des hermites ; le branle a mener , que chacun menait a son tour et ou l'on se mettait a la queue ensuite, etc., etc. Le Menuet , cette danse grave, noble, elegante et simple, que le Poitou nous a leguee, que Marcel et Pecourt ont perfectionnee, que le melancolique J.-J. Rousseau appelait "le moins gai de tous nos genres de danse usites dans les bals," et qui, malgre cette condamnation incompetente, a fait si longtemps et avec tant de raison les delices de nos spirituelles grand'meres Elles se souvenaient que Don Juan d'Autriche, vice-roi des Pays-Bas, etait parti en poste de Bruxelles et venu incognito a Paris, expres pour voir danser un menuet a Marguerite de Bourgogne, reputee la premiere danseuse de l'Europe; La Gavotte , fille savante et agreable du menuet, parfois gaie, mais plus souvent tendre et lente, et dans laquelle on s'embrassait et on se donnait le bouquet; La Pavanne , sur laquelle avait deteint la majeste espagnole du temps, mais que Catherine de Medicis rendit plus gracieuse et plus vive, ou les danseurs, avec epee et manteau, les danseuses, en robes longues et pesantes, "faisaient la roue l'un devant l'autre comme des paons avec leurs queues," ce qui lui a donne son nom (de pavo , paon; - d'ou enore le verbe se pavaner ), el qu'a cause de son importance, on appelait aussi le grand-bal; Le Trihori , ancienne danse de France, qu'Eutrapel, dans ses contes, appelle "trois fois plus magistrale et gaillarde que nulle autre en sorte que la force de sa parole et sa grace y restent prins et englues, pour demeurer un vrai ravissement d'esprit, soit a joie, soit a pitie "; La Boccane , grave et figuree, que l'on commenca a danser en 1646, et qui doit son nom a son inventeur Boccano , maitre a danser de la reine Anne d'Autriche; La Chaconne , appelee insipide, dont le mouvement est modere et meme lent, et dont le nom nous dit qu'elle a ete inventee par un aveugle ( ceccone ); La Sarabande , venue d'Espagne comme la Pavanne, mais a laquelle on donne trois autres origines ou etymologies, ce qui lui fait honneur moins, cependant, que l'affection que lui portait Des Yveteaux, lequel, mourant a Paris, age de plus de 80 ans, se fit jouer un air de cette danse, "afin, disait-il, que son ame passat plus doucement" La Courante , qui doit son nom aux nombreuses 9 allees et venues dont elle est remplie, divisee en courante simple et en courante figuree , se dansant egalement a deux personnes, tres-grave, exhalant un parfum de noblesse, et que "Louis XIV preferait a toutes les autres danses et dansait mieux que personne a sa cour." Ses mouvements etaient si essentiels, qu'on la regardait comme indispensable a savoir pour bien danser. Passerons-nous sous silence ces nombreux Pots-Pourris , qui se dansaient dans les plus beaux salons et jusque chez la reine, et dont les noms bizarres et pittoresques rempliraient vingt pages? Oublierons - nous surtout, cette fameuse, cette insigne Contredanse , qui remplaca le vieux menuet, si aime, si choye, si pratique jadis, et aujourd'hui, helas! comme bien des choses qu'on a beaucoup aimees, plongee dans un si complet abandon? D'origine champetre, et qui plus est, anglaise ( country-danse voulant dire danse des champs ), cette composition charmante a tout a fait le cachet du bon ton et l'esprit de la societe francaise. - Un auteur, en en parlant, disait, il y a une vingtaine d'annees: " Cette danse, qui a prevalu sur toutes les autres." Helas! helas! s'il etait appele a donner de nouveau son opinion sur elle en ce mement, il serait bien force de dire tout le contraire. - Par bonheur que la roue de la mode tourne, comme celle de la fortune, et que nous verrons encore la contredanse revenir avec ses grands et petits ronds, ses superbes quadrilles n'en avons-nous pas, pour preuve et malgre tout, conserve ses interessants et divertissants cotillons? Qui vivra dansera. - Nous y reviendrons nous-meme, comme aux Pots-Pourris, que nous examinerons plus specialement dans le chapitre prochain. Parmi les danses par haut , nous pouvons vous mentionner: Le Rigaudon , a l'air leger, au mouvement gai, si celebre et si populaire, surtout en Provence et en Languedoc, et dont l'inventeur avait nom Rigaud ; Le Tricotet , qui se dansait gaiment et en rond et qu'affectionnait tout particulierement le bon roi Henri IV, qui y ajouta un trepignement de pied a la fin du dernier couplet, lequel trepignement, d'invention royale, fut introduit par Gardel, en 1780, dans le ballet de Ninette a la cour; L' Allemande , une des danses gaies les plus anciennes et les plus usitees chez nous, etdont le nom dit assez clairement l'origine; La Gaillarde , autrefoisappelee Romanesque , et que l'on executait tantot en cabriolant, tantot en se baissant terre a terre, tantot en allant tout le long de la salle et tantot en la coupant par le travers; Les Olivettes , campagnarde analogue a la Farandole des Bourguignons, des Provencaux et d'autres, et dans laquelle, fleuris et enrubannes des pieds a la tete, les danseurs courent les uns apres les autres, en serpentant, autour de trois arbres, jusqu'a lassitude complete. "Allons, dit la chanson, allons, Annette, dansons les Olivettes!" La Pamperque , appelee par d'autres Pamperruque , danse particuliere des Bayonnais, composee de ronds, de passes, ornee de rubans multicolores, de noeuds, de fleurs, dirigee par un roi de la fete, et excitee par le son infatigable du fifre et du tambour; La Mariee , vieille danse figuree, dont les seuls executants etaient un homme et une femme, et qui, a cause de sa gaite, etait ordinairement appelee a rejouir les noces des "bons petits bourgeois," ou son nom dit qu'elle a du prendre naissance; Le Traquenard , espece de danse qui donne au corps des mouvements particuliers, dont les pas sont prompts et mal regles, et dont le nom vient de trac , qui se disait de l'allure de la haquenee. Nommons encore les Bourrees , les Rondes , les Gigues , les Musettes , les Villanelles , danses rustiques, aux airs gais, aux rhythmes accentues, aux figures grotesques, provocantes et d'un gout toujours plaisant Puis, reposons-nous, et attendons les exercices du chapitre prochain. VIII. Importance donnee a la Danse. - Pots-Pourris. - Contredanse . Les deux categories que nous venons de passer si rapidement en revue, en ne vous montrant seulement que les danses les plus saillantes choisies dans chacune d'elles, ne vous entretiennent, bien entendu, que des exercices le plus en usage parmi nous; nous aurions bien des listes a faire pour les completer mais passons: les nomenclatures sont mortelles. Et cependant, celles que vous venez de parcourir, si restreintes qu'elles soient, doivent, o belles dames, vous prouver a quel degre de veneration a toujours ete chez nous la Danse; mais je puis facilement vous en donner une preuve encore plus forte, en vous transcrivant ici un passage de la Choregraphie du magistro-danseur Guillemain, ou vous verrez avec quel respect et quelle consideration les eleves devaient alors traiter leurs maitres de danse. Voici, et textuellement, l'extrait curieux: " Observations concernant la lecon . - Il convient que l'ecolier aille au-devant du maitre quand il arrive; on doit le recevoir tres-poliment, lui faire deux reverences: la premiere tres-profondement, la seconde moins bas; on doit ensuite le faire entrer dans l'appartement, lui presenter un fauteuil ou une chaise pour s'asseoir. Sitot que le maitre sera assis, l'eleve (demoiselle ou cavalier) lui presentera les deux mains; il se placera a la premiere position, et fera quatre reverences, les genoux bien ouverts, la premiere tres-basse, la seconde moins, ainsi que les deux autres, et ayant l'attention de ne pas lever les talons. "Apres les reverences, l'ecolier ou l'ecoliere marchera en avant, puis en arriere, a droite et a gauche, de cote, ainsi que de toute autre maniere que le maitre jugera a propos. "La lecon finie, l'eleve aura l'attention de conduire le maitre jusqu'a la porte de l'appartement; il lui fera ensuite deux reverences, la premiere bas, la seconde moins; il le remerciera poliment des peines qu'il s'est donnees, et des attentions qu'il a prises " Les maitres de danse ne vous semblentils pas plaisants de s'elever avec un pareil serieux sur leur piedestal? Ils y posent gracieusement, c'est vrai; . mais ce devrait etre assez. - Ils seront toujours un peu les enfants de Vestris, ce grand Diou de l' entrechat! Avec de tels honneurs rendus al'art de la Danse, il n'est pas possible que ce qui est 10 beau dans cet art disparaisse. J'espere donc que le Quadrille nous reviendra avec ses splendeurs, sa majeste calme, ses repos si favorables aux douces causeries; j'espere que la Walse , que je n'ai pas encore nommee, cette danse feerique qui nous vient de la Suisse, mais que nous avons modifiee et embellie; j'espere, dis-je, que la Walse ne s'endormira pas comme la Contredanse Pauvre Contredanse! je la vois encore dansee par nos grand'meres, nos meres et nous; je vois encore, en remontant plus haut, ces ravissants Pots-pourris, executes en beaux costumes Louis XV; j'entends la musique douce ou provoquante de Blasis, Vincent, Lily, Mignard, Baptiste, Julien, Breteuil, Chatelin et autres appeler les danseurs; je vois les figures se former et se mettre en mouvement, et nous n'avons que l'embarras du choix pour en egayer nos salons: Voyez-les defiler, toutes ces riantes Contredanses de l'autre siecle, - dont les titres seuls suffiraient a faire l'histoire des evenements, des sympathies, des modes, des caprices, des ridicules du moment! Voulezvous l' Aurore? la Folatre? les Bacchantes? le Calife? - Aimez-vous mieux la Creole? la Changez-moi ces tetes? la Coquette? le Bon-menage? - Preferez-vous le Petit-maitre? la Jalouse? l' Inconnue a la redoute? la Virginie? la Gigue du Seigneur bienfaisant? - Ou bien encore la Jolie meuniere? le Tambourin de Chatenay? la Julie? la Fillette? la Belle esclave? - Ou la Veillee villageoise? l' Air inflammable? les Plaisirs d' Epinay? - Desirez-vous la Prussienne? la Montgolfier? la Saint-Leu? la Doliva? la Suedoise? - Ou si c'est la Dugazon? l' Espagnole? la Financiere? la Martinique? la Gibraltar? la Moscovite? . etc., etc., etc. C'est un cours de mille et une choses, n'estce pas? Pour ma part, je veux vous en faire danser au moins une. Suivez-moi, Mesdames; donnez-moi la main: je vous conduis figure par figure. Voici celle que M. Blasis a baptisee la Folatre : 1 Demi-chaine anglaise; 2 Balance; 3 Demi-chaine anglaise; 4 Balance; 5 Quatre Cavaliers en avant; 6 Quatre Dames en avant; 7 Chasse-croise tous les huit; 8 Chaine des Dames; 9 Chasse quatre sur les cotes; 10 Balance; 11 Tour de deux mains; 12 Les deux couples se retournent; 13 Chasse en avant quatre; 14 Retournez a vos places en repetant le chasse; 15 Balance tous les huit; 16 Tour de deux mains; 17 La meme chose pour les six autres. Vous voyez, cheres lectrices qui me lisez peut-etre entre deux de vos bals si differents de ceux d'alors; vous voyez que cela avait un sens, une couleur, et qu'il faut l'envahissement de toutes nos danses modernes, vives d'ailleurs, mais fatigantes, pour etouffer un si agreable et si doux delassement. Tourbillonnez longtemps encore, Polkas, Schotisches, Redovas, Mazourques, Varsoviannas, et autres enfants echevelees de la walse si poetique! Fatiguez bien, essoufflez bien notre vigoureuse generation! Elle est de force a resister, du reste. - Quant a nous, qui vous regardons avec plaisir, mais ne vous pratiquons pas, nous nous releguons pour vous faire place; . mais nous guettons, nous attendons avec le calme du droit, et nous nous reservons, a votre premiere lassitude, pour le premier quadrille Tout ce qui est bon ne meurt pas! Un dictionnaire special du temps parle des Contredanses, "dont les figures, dit-il, s'executent avec tant de rapidite, qu'elles echauffent ordinairement." Et nous qui les regrettons comme exercices calmes ! Cela donne une jolie idee de nos sauts et de nos cabrioles d'aujourd'hui!! Reportez-vous-en, [pour plus de details aux tres-spirituels physiologistes de nos bals contemporains, - dont nous vous donnerons neanmoins, quant aux bals de societe, une idee sommaire, si vous voulez bien aborder le chapitre suivant. IX. Metamorphose. - Danses contemporaines. - Danses de societe . D'apres le coup d'oeil rapide jete tout-a-l'heure sur les divertissements choregraphiques de nos bons aieux, il doit rester dans notre esprit une chose: c'est qu'a part ? les reunions exceptionnelles ou ? le plaisir attise avait pour mission speciale de mener la Danse, les bals ne devaient pas ? toujours avoir une ? allure tres-gaie ni tres-entrainante. La gaiete ne pouvait guere descendre a cote de ces danses solennelles, ou l'on voyait les graves danseurs s'executer successivement deux a deux et jusqu'a ce qu'il n'y eut plus personne La ceremonie devait durer longtemps; mais, en compensation, elle ne devait pas faire rire! C'etait, ainsi que vous l'avez vu, les Menuets, les Courantes, les Chaconnes, les Sarabandes, les Gavottes, etc., qui defrayaient les reunions dansantes, reunions ouvertes et souvent fermees par un Branle, dont l'air et le mouvement monotones n'avaient rien de bien excitant non plus; le bal d'alors etait un peu l'art, sinon de dormir, aumoins de s'ennuyer en mesure.- Mais la gaiete qui ne meurt pas comme cela dans le caractere francais; tenta de reprendre le dessus. Ses efforts furent lents, mais ils reussirent: la glace se rompit; tout doucement, par une pente insensible, les fronts compasses se deriderent, les jambes ceremonieuses, se degourdirent, l'atmosphere se debarrassa de l'influence trop majestueuse de la perruque Louis XIV - On peut fixer cet heureux changement de physionomie a l'epoque de l'introduction de la contredanse. Mais cette metamorphose ne s'accomplit pas sans plaintes et sans cris. Les vieilles habitudes froissees se revolterent contre les audaces modernes: ce n'etait partout que lamentations, complaintes et jeremiades sur la decadence du gout Les plus intrepides, c'est-a-dire les plus irrites, auraient presque crie au sacrilege. - Je vais, comme une des plus plaisantes citations qu'on puisse faire, vous transcrire de tres-serieuses condoleances sur la profanation de l'art qui nous occupe. Ces condoleances sont de M. Bonnet, de ce bon M. Jacques Bonnet, qui s'imaginait avoir un esprit familier, et qui fut, peut-etre a cause de cela, un des plus convaincus et des plus naifs historiens de la Danse: "Depuis le mariage de M.le duc de Bourgegne, dit-il, on a vu que les danses nobles et serieuses se sent abolies d'annee en annee, comme la Boccane , les Canaries , le Passepied , la Buchesse et tant d'autres, qui consistaient 11 a faire voir la bonne grace et le bon air de la danse grave, comme il se pratiquait du temps de la vieille cour. A peine a-t-on conserve le Branle , la Courante , le Menuet , les jeunes gens de la cour ayant substitue a la place les Contredanses, dans lesquelles on ne reconnait plus la noblesse et la gravite des anciennes: telles sont la Jalousie , le Cotillon , les Manches vertes , les Rats , la Cabaretiere , la Testart , le Remouleur , etc.; de sorte que, par la suite des temps, on ne dansera plus dans les assemblees de ceremonie que les danses baladines. Cela va a la destruction des danses serieuses, et confirme avec raison le reproche de l'humeur changeante des Francais, qui, en cela comme en bien d'autres choses, sacrifient souvent le bon au plaisir de la nouveaute " C'est d'une belle austerite, n'est-ce-pas? Les vieux censeurs du luxe et de la decadence des Romains auraient-ils gourmande mieux et plus fort? Neanmoins et malgre tout, le changement s'etait opere: Rameau avait introduit la contredanse dans les Ballets, en 1745. - On dansait en France, et l'on s'amusait en dansant! Mais, helas! s'amusa-t-on toujours? et danse-t-on meme aujourd'hui? On saute, on s'agite, on s'emoustille beaucoup; on se fatigue a l'exces cela fait certainement honneur a la vigueur et a l'elasticite des jarrets contemporains; mais cela nous rend-il les beaux jours ou, pour mieux dire, les belles nuits du vrai bal? La danse libre et hardie, independante et audacieuse qui le transforme, a, de notre temps, de nombreux sanctuaires! Mais!!! Nous faisons a nos gracieuses lectrices la galanterie de ne pas les y conduire, non par pruderie (Caton assistait bien, a Rome, aux fetes de la deesse Flora!), mais parce que la peregrination, deja un peu aventureuse, serait par trop longue, et puis que je craindrais vraiment, dois-je le dire? que quelques-unes de mes jolies compagnes ne prissent gout et trop vite au fruit defendu.-Il est toujours prudent de craindre, en fait de plaisir surtout, cet arriere-gout fatal de la pomme d'Eve! Il est donc convenu que nous laissons, - non sans en regretter les coups-d'oeil pittoresques et certaines gentillesses avancees, pour ne pas dire risquees; - que nous laissons, dis-je, et la Chaumiere , et le Ranelagh , et Mabile , et le Chateau-Rouge , et le Casino , et les Hermitages , et tous ces autres lieux provoquants, champetres ou non, - dont vous avez, d'ailleurs, mille descriptions piquantes dans les etudes souvent profondes qu'une de nos jeunes generations d'ecrivains sait si bien habiller de couleurs spirituelles et de formes legeres. Vingt physiologies pour une s'offrent a vous, pleines d'attraits et vraies sous la charge, pour vous guider dans ces riants dedales ou, comme ne manqucrait pas de le dire un faiseur de madrigaux italiens, les feux des prunelles font palir ceux des bougies et des bees de gaz! Les bals administratifs et officiels furent de tous temps remarques. - Ceux de certains princes et hauts personnages les eclipserent parfois. - Les theatres se mirent de la partie, et, le 31 decembre 1715, l'Opera, par la permission du duc d'Orleans, inaugura ses bals, qu'il donnait trois fois par semaine, pendant la duree du Carnaval. Une grande tradition, a propos du bal de l'Opera, est celle qui nous dit que tous les ans il degenere. Dire qu'il n'est pas degenere serait certainement un tort, ou au moins une inexactitude; mais je trouve cette phrase dans un travail erudit sur la Danse: "Le bal de l'Opera a toujours ete une cohue des son origine " Diable! Quand donc, alors, fut-il le rendez-vous de toutes les distinctions? Quand donc reunit-il cette societe d'elite, qui s'y livrait aux plus fines intrigues, a la plus petillante causerie?- Ah! voila! c'est precisement quand on y causait Et causer, suivant nos auteurs, n'est probablement pas danser. Nous laissons a celles et ceux qui l'ont vu dans son beau temps, de rectifier et completer, a cote de leur lecture, le croquis que tous ces dires peuvent tracer du bal, jadis si renomme, de l'Opera. Quant a nos danses de societe, ou de salons, vous etes toutes, cheres dames qui avez bien voulu nous suivre jusqu'ici, a meme d'en parler beaucoup mieux que moi, qui ne connais plus guere que mes souvenirs et mes livres: vous etes l'ornement de toutes les nuits animees de l'hiver, les heroines de tous les instants heureux qui nous rassemblent, et vous savez toujours lutter avec un incontestable avantage contre les affreuses tables de jeu et autres derivatifs de votre radieux plaisir. Permettez-nous de clore ce chapitre en vous citant deux sonnets, dans lesquels nous avons conserve deux reflects tres-differents du plaisir de la Danse, et qui, traces d'apres nature, sont vrais tous deux. Je tiens a vous donner ces deux sonnets 1 , qui rentrent d'ailleurs parfaitement dans notre cadre, parce que c'est apres les avoir ecrits que m'est venue l'idee d'essayer l'histoire de la Danse. Apres, nous en aurons fini avee les danses anciennes et francaises . Il nous restera a jeter quelques regards sur les danses etrangeres . Voici le Contraste : LE BAL AU SALON. (Paris.) J'aime l'eclat du bal et des blanches parures; L'air de fete riant dans tous les yeux charmes; Ces mysteres de voix, ces bruits, ces doux murmures Qui planent, s'elevant des groupes animes. J'aime a voir se croiser ces charmantes figures; Ces cheveux blonds et nous, de fleurs et d'or semes, Voler, melant leurs flots plus beaux que les dorures, Passer, laissant dans l'air des rayons parfumes. J'aime les feux du lustre aux gerbes colossales; Les glaces, centuplant l'immensite des salles; Les corbeilles, offrant leurs suaves couleurs. J'aime cette atmosphere ou le bonheur respire, Ou le regard s'enivre hesite,-et ne sait dire Lequel est le plus frais des femmes ou des fleurs! LE BAL A LA GRANGE. (Bourgogne.) A de naifs tableaux je trouve un charme etrange. J'aime a me rappeler les danses du pays, Tous ces gais campagnards s'echauffant dans la grange, Pendant que les anciens boivent sec au treillis. Voyez-les, en sabots, cotoyant leur gros ange, Et guettant des baisers souventefois cueillis, Bondir et demener leurs jambes de vendange A fatiguer l'orchestre, a vous rendre ebahis. Oui, j'aime ces danseurs et leurs brusques allures: La main qui prend la taille est rouge d'engelures, Mais la fraiche amoureuse aime ces francs garcons. L'orchestre est un vielleur juche sur une tonne; Un lampion sert de lustre en n'eclairant personne; C'est burlesque mais c'est du plaisir sans facons! 12 X. Danses etrangeres. - Sauvages. - Orientaux. - Chinois . Dans le rapide coup-d'oeil qu'il nous reste a jeter sur les Danses etrangeres modernes, - dont toutes, neanmoins, ne seront pas scrupuleusement contemporaines, - nous ne pouvons nous permettre la plus legere digression. Le moindre developpement auquel nous voudrions nous livrer prendrait vite le court espace que nous avons a parcourir Aussi est-ce un panorama a toute vapeur, je devrais dire a toutes jambes, que nous allons, cheres et bienveillantes lectrices, prier notre plume cosmopolite de derouler devant vous. "La Poesie, la Musique et la Danse ont agreablement occupe chaque nation," dit Blasis; - Compan ajoute: "Des qu'il y a eu des hommes, il y a eu des Danses Tous les peuples de la terre en ont fait l'objet de leur culte et de leurs plaisirs." Nous allons appuyer cette incontestable verite de quelques exemples. Les peuples dont nous avons dessein de vous esquisser les principales danses sont: les Sauvages, - les Orientaux, - les Chinois, - les Suisses, - les Grecs modernes, - les Anglais, - les Allemands, - les Russes, - les Italiens, - les Espagnols, - etc Rien que cela! Vous voyez que nous avons besoin de laconisme. "La Danse chez les Sauvages, dit Chateaubriand, se mele a toutes les actions de la vie. On danse pour les mariages, pour recevoir un hote, pour fumer un calumet; on danse pour les moissons, pour la naissance d'un enfant, surtout pour les morts." Et ce que dit l'illustre voyageur n'est que l'exacte verite: toutes les emotions de ces peuples enfants semblent se traduire par des sauts et par des bonds, composant la gymnastique toujours tres-animee de leurs ceremonies et de leurs fetes. Pour preuve, voici quelques noms: La Danse de la Decouverte , dans laquelle les Sakis et les Othagras expriment tout ce qu'ils font dans une expedition guerriere pour surprendre ou decouvrir leur ennemi; La Danse des Festins de guerre , dans le Canada, ou le Chef, simple spectateur et la pipe a la main, fait tous les honneurs du festin d'apparat qui la termine, mais sans se permettre de toucher a la moindre chose; La Chica , pittoresque mais souvent trop expressive, nee en Afrique, transportee aux Antilles, et qui a enfante le seduisant Fandango, que nous verrons tout a l'heure; La danse du Feu , ou le feu commence par jouer son role, puis s'eteint pour ne plus laisser voir qu'un sauvage dansant avec un tison dans la bouche. Cette danse se prolonge du soir au matin, accompagnee de cris percants et du bruit continu du tambour et du chichikoue; La danse du Mariage , usitee comme la precedente dans l'Amerique septentrionale, pour laquelle les maries se haranguent, dansent ensemble en chantant et tenant chacun par un bout une baguette, qu'ils rompent ensuite en autant de morceaux qu'il y a de temoins, auxquels ils les distribuent; La danse du Sacrifice , que les Sauvages du Canada preparent en portant sur un bucher divers echantillons des marchandises dont ils trafiquent. Ce sacrifice est une offrande au Grand-Esprit (K itchi-Manitou ). Les enfants disposent les ecorces incendiaires; les guerriers dansent, chantent et fument, et les vieillards font des harangues pendant que le tout est devore par la flamme; La danse des Funerailles , qui, apres les festins et les harangues (toujours des harangues! les Sauvages sont decidement causeurs), s'execute autour du mort habille et assis sur une natte, absolument comme s'il etait vivant, et se continue pendant que les esclaves portent lentement le cercueil au bocage de la mort. Je pourrais vous indiquer encore la Canarie , la danse du Boeuf , celles de la Guerre , du Kalumet , la Kalenda , etc.; mais il faut que messieurs les Sauvages, qui ont eu, je ne sais trop pourquoi, les honneurs du pas dans ce chapitre, le cedent aux autres. Les Orientaux, quoique tres-enclins au plaisir, sont peu danseurs. Leur temperament s'oppose a cet exercice, que leur religion et leur paresse ne secondent pas davantage. Ils ont des danseuses, qui leur donnent le spectacle de la Danse; mais ils en restent spectateurs. Parmi les danses orientales, je vous mentionnerai: Celles des Indiennes, que la religion et les lois chargent "de peindre l'amour, l'heroisme et la gloire," et qui, ornees de tissus legers et d'armes brillantes, executent des ballets tendres, moraux et guerriers; Celles des Japonais, qui pour feter les Hollandais, leurs hotes, font venir de jeunes garcons et de belles jeunes filles, qui se livrent a des pas souples et harmonieux, dont l'ensemble a quelques rapports avec nos contredanses. Ce sont ces danseuses qui ont sur elles une trentaine de robes de soie aussi legeres que l'air, et qu'elles otent une a une, en laissant les corsages pendre en bouffant a leur ceinture; Celles des Bayaderes , ces veritables fees de la Danse, dont les pantomimes d'amour sont decrites partout, et qui, richement parees, les cheveux epars, ornees de bracelets, de pierreries, surtout du fameux collier de mougry 1 , et se perdant dans les plis vaporeux de leurs echarpes aeriennes, exercent un charme irresistible sur tous ceux qui les admirent. Nommons encore le ronguing , ou tantac , des malais habitant les iles de Java et de Ceylan, ou l'homme, attire par la vivacite et la prestesse de la danseuse, se rend aupres d'elle et cherche a l'imiter mais en vain: alors il l'embrasse, lui donne en remerciement quelques monnaies, et se retire vaincu. Je finis, comme excentricite, par le Moulinet , "danse singuliere que les Dervis executent pour celebrer la fete de Menelaus, leur fondateur." Ces bons religieux pretendent qu'il tourna, en dansant, pendant quatorze jours sans s'arreter, au son de la flute de Hanse, son compagnon. Les mosquees sont les theatres de cet exercice extraordinaire et violent, que certains poussent jusqu'a tomber de lassitude et d'epuisement. Chez les Chinois, "la musique des danses et les danses elles-memes ont ete, di Compan, en usage depuis le regne de Houang-Ty, jusqu'a 13 celuide Tcheou inclusivement," c'est-a-dire, suivant le calcul de presque tousles historiens, pendant une periode de 2450 annees! - C'est un assez joli laps de temps, et qui ferait honneur au peuple le plus danseur de la terre. Ils avaient, ces eternels habitants du celeste Empire: 1 Les petites danses, qu'on pouvait apprendre a partir de treize ans jusqu'a quinze ans; 2 Les danses anciennes , ou grandes , qu'on n'apprenait qu'a l'age de vingt ans. Les premieres, au nombre de six, etaient: Fou-Ou , la danse du Drapeau ; Yu-Ou , la danse des Plumes blanches ; Hoang , la danse du Phenix; Mao-Ou , la danse de la Queue du Boeuf ; Kan-Ou , la danse du Dard ; Gen-Ou , la danse de l' Homme . Je ne tracerai point de plus ample description de ces exercices, ni de quelques-uns des suivants, parce que leurs noms, parfaitement trouves, sont de nature a en donner une idee tres-suffisante. Les secondes, au nombre de dix, etaient: Yvn-Men , la Porte des Nues ; Ta-Knen , la Grande Tourmente; Ta-Yen , la Tout ensemble ; Ta-Tao , la Cadencee , une des plus gracieuses de l'antiquite; Hya , la Vertueuse , lente, majestueuse et grave; Ta-Hou , la Bienfaisante ; Ta-Ou , la Grande Guerriere , exprimant les hauts faits et les victoires; Chao , nommee ainsi de l'instrument en forme d'S que tient le danseur; Ou-Hien-Tche , qui imite les mouvements des eaux agitees par un doux zephir; Enfin, la fameuse Ou-Ovang . - Deux mots sur celle-la: Le premier empereur de la dynastie de Tcheou portait ce nom. Il avait, disait-il, delivre le monde du mechant prince qui le gouvernait, et, pour representer et perpetuer cette action, il composa, gestes et musique, la danse a laquelle il donna son nom. - Tous les Chinois en admirent le scenario; ils la trouvent instructive, et ils semblent voir en elle "les differentes evolutions qu'avait faites le Conquerant pour s'assurer la paisible possession de l'Empire." D'apres le Pere Amyot, le mot danse, Ou , ne porte pas dans l'esprit des Chinois l'idee de sauts et de gambades, mais plutot de positions et attitudes mesurees, ayant toutes les allures de la mimique et cherchanta exprimer des pensees sans le secours de la parole. Au chapitre suivant la continuation de notre tournee lointaine. XI. Continuation des Danses etrangeres. - Suisses. - Anglais. - Allemands. - Grecs modernes . Notre panorama choregraphique continue de se derouler devant vous. Mentionnons, en passant, les bons habitants de l'Helvetie, - dont une danse, qui porte leur nom (la Danse Suisse ), a un caractere tout exceptionnel, consistant en un continuel trainement de jambes, - et'dont une autre, celle executee dans la fete appelee Aelperkilvi , est au contraire animee, bruyante et entremelee de figures particulieres Ces peuples champetres et montagnards, que le ranz des vaches commence a faire un peu moins pleurer, dansent certainement de meme que tous les autres peuples; mais, comme ils n'ont besoin ni de fetes, ni de carnavals pour attirer dans leur pays les etrangers, qui, en guise de monuments, viennent y admirer leurs montagnes, cet exercice n'a pas pris chez eux un caractere aussi original ni aussi tranche, parce qu'il n'est pas le plus frequent ni le plus necessaire de leurs plaisirs. Nous faisons notre course un peu comme l'idee nous vient Des monts helvetiques nous sautons dans les iles de la Grande-Bretagne. L'Anglais, dont le caractere est volontiers grave, a, comme contraste sans doute, des danses qui, loin de manquer de mouvement, sont gaies, vives, et guidees par un rhythme assez rapide. - Pour ne pas abuser des citations, nous ne mentionnerons que I' Anglaise , dans laquelle deux haies de danseurs sont parcourues successivement par chaque couple, qui les remonte "en sautillant, balancant, et faisant la demi-chaine, puis un tour de main" avec chacun des anneaux de la double chaine. Et cela va ainsi jusqu'a ce que tous les couples aient repris plusieurs fois leur tour! Vous voyez que la gravite anglicane est encore accommodante. Cependant, hatons-nous de mettre une restriction a notre eloge: comme dans les autres moments de leur vie civile, les hommes sont separes des femmes pendant cette danse; "la danseuse, indiquee par un maitre de ceremonies a un cavalier, ou choisie d'avance par celui-ci, est ordinairement sa compagne pour toute la soiree " - Un des plus grands plaisirs du bal, la variete, doit, du moins au point de vue des Francais, disparaitre devant cette contrainte. L'idee de la possession exclusive d'une danseuse pendant toute une nuit, a moins qu'on n'en soit juvenilement amoureux, sera toujours pour nos danseurs une chose fabuleuse. Les Ecossais ont des airs de danse simples et gracieux. Leur principal exercice en ce genre est une espece de chaine anglaise, analogue a celle dont nous venons de parler, et dont le mouvement rapide a beaucoup de legerete. Elle se continue a l'infini, et relevee par le pittoresque des costumes, elle est loin de manquer de charme. Quant aux Irlandais, nous renvoyons, pour leur danse triste, abattue, je dirai presque endolorie, a l'un de leurs plus delicieux poetes, le suave Thomas Moore, qui, dans ses Melodies Irlandaises , a donne le ton des plaisirs, a laisse voir toute la douce melancolie de ses tristes compatriotes. Faisons maintenant un tour en Allemagne, ou le nombre des Danses n'est pas bien grand, mais ou l'on aurait grand plaisir a se rendre, quand ce ne serait que pour y voir executer une walse, - cette danse delicieuse qu'elle a pretee a la Suisse, et que la Suisse nous a rendue. Je cede, pour cela, au plaisir de faire une citation: L'Allemagne, dit M me Elise Voiart, est la veritable patrie de la Walse . D'une extremite a l'autre de cette vaste contree, elle regne en souveraine; c'est la danse la plus chere nation. Une musique harmonieuse en accelere ou en ralentit le mouvement. Simple comme toutes les danses primitives, elle a des graces qui lui sont propres et caracterisent en quelque sorte les moeurs de la societe allemande en general, ainsi que les relations intimes et innocentes qui existent entre les jeunes gens des deux sexes. Il y a dans l'attitude reciproque des danseurs quelque chose de fier et d'ingenu; chacun est bien a sa place: l'homme soutient sa compagne, et par un mouvement rapide et circulaire, semble l'enlever a tout ce qui l'entoure. La femme cede a ce doux entrainement; et l'espece de vertige que lui cause la walse donne a son regard une vague expression qui augmente sa beaute, ou la rend plus touchante " Cette description n'a rien d'exagere; tout valseur la trouvera vraie, sentie et gracieuse. L'Allemagne s'amuse aussi parfois au 14 Menuet; mais il est raide et guinde, et M me de Stael s'en est legerement moquee. Les Allemandes , ou l'on figure a deux, ou a quatre, et qui se composent "de passes, de figures et d'attitudes variees," sont les danses les plus attrayantes de ce pays, - auquel nous les avons pendant longtemps empruntees. La Hongroise et la Valaque termineront notre liste. La premiere a de la ressemblance avec la Polonaise , dont nous parlerons, - et la seconde, qui ressemble a la Hongroise , quoiqu'on en donne une de ce nom aux Grecs de nos jours, est, dit-on, la danse des anciens Daces, peuples occupant jadis la Valachie. - Toutes deux sont tantot vives et tantot lentes, mais presentent aux danseurs qui n'y sont pas familiers une certaine difficulte d'execution. De l'Allemagne, nous passons dans la Grece moderne, dont les habitants sont assez riches en amusements de ce genre. Beaucoup de leurs danses viennent des anciens Grecs, leurs tres-glorieux ancetres Nous allons vous mentionner les principales: La Valaque , d'apres plusieurs auteurs, la meme que la precedente, que l'on croit etre une ancienne danse bachique, pour laquelle les danseurs sont peu nombreux, et qui a pour but de representer les vendangeurs foulant le raisin, chacun dans son cuvier; La Candiote , la meme que celle du temps d'Homere, dont l'air tendre debute lentement pour s'animer ensuite, et qui, representant l'episode de Thesee et d'Ariane et imitant les tours et detours du labyrinthe, fait dessiner mille figures et circuits a la jeune fille qui la dirige; La Danse Grecque , qui a pris naissance de la precedente, et qui la reproduit a quelques legeres variantes pres; L' Hyporchematique , espece de branle serieux et lent, dans lequel les hommes et les femmes se tiennent par la main en chantant des couplets faits specialement pour cette danse; L' Arnaoute , ancienne danse militaire, que menent une danseuse et un danseur, ce dernier tenant a la main un fouet et un baton, s'agitant, animant les autres, courant rapidement aux extremites des groupes, frappant du pied et faisant claquer son fouet, tandis que tous ceux a qui il commande le suivent, les mains entrelacees et d'un pas egal, quoique un peu plus modere; L' Ionienne , espece de pas de deux, plus leger et plus regle que les autres, danse lorsqu'on etait echauffe par le vin, passablement mol et effemine, et que l'on voit encore pratique par les habitants de Smyrne et de l'Asie mineure; La Grue , que certains veulent confondre avec la Danse Grecque ou la Candiote, et qui, executee avec ordre dans les prairies, au moment ou reparaissait la verdure, etait une danse du printemps (annonce en Grece, d'apres Anacreon lui-meme, par le depart des grues). L' Angrismene , dansee jadis aux fetes de Venus, conservee et tres repandue parmi les Grecs modernes, qui n'a pour personnages qu'un jeune garcon et une jeune fille, dont le jeu est tout un petit poeme donnant l'idee d'une scene d'un de nos ballets amoureux; La Danse de Mai , a laquelle les femmes et filles de village (de Belgrade, de l'ile des Princes, etc.) se livrent en l'honneur de Flore, le premier de mai, dans les pres rajeunis, cueillant, effeuillant des fleurs, et s'en couvrant de la tete aux pieds. La plus belle mene la danse. Une des danseuses chante: "Soyez la bien venue, nymphe, deesse du mois de mai! " Et le choeur a chaque couplet repete: "Deesse du mois de mai!" Citons encore la Pyrrhique des Spachiotes, qu'ils dansent en robe courte, culotte et bottines, avec carquois garni de fleches a l'epaule, et are tendu au bras; - montrons les jeunes filles a la fontaine, lesquelles, le soir, apres avoir rempli leurs vases, forment des ronds autour du puits sacre de Callichorus ; - regardez les Klephtes, ces bandits des montagnes, developper leur longue chaine conduite par un chef, dont tous suivent les mouvements, en repetant en choeur un refrain, que le chorese accompagne du balancement de la tete, et souvent avec un mouchoir qu'il agite en tous sens;-melez-vous en esprit, vous qui aimez les danses rustiques, a ces cercles animes s'enroulant autour du berger qui laisse un instant ses chevres pour jouer de sa flute ou de sa musette; - puis sautons dans l'archipel de la mer Egee, o Savary va nous mener voir la danse de la petite ile de Casos Nous le suivons textuellement dans sa description, qui terminera notre chapitre avec les danses des Hellenes: "La gaite s'emparait des convives, dit le savant et agreable voyageur, lorsqu'un bruit d'instruments nous fit lever de table. Une vingtaine de jeunes filles, toutes vetues de blanc, la robe flottante, les cheveux tresses, entrerent dans l'appartement. Elles conduisaient un jeune homme qui jouait de la lyre, et s'accompagnait de la voix Elles commencerent a se ranger en rond, et m'inviterent a danser le cercle que nous formames est singulier par la maniere dont il est entrelace; le danseur ne donne point la main aux deux personnes qui sont le plus pres de lui, mais aux deux suivantes, de sorte que l'on a les bras croises devant et derriere ses voisines, qui se trouvent enlacees dans les anneaux d'une double chaine au milieu du rond se tenait le musicien. Il jouait et chantait en meme temps. Tout le monde suivait exactement la mesure, soit en s'avancant, soit en reculant, ou en tournant autour de lui. Pour moi, je me laissais conduire, et mon esprit etait moins occupe de la danse que des personnes qui la composaient " Vous voyez que ces exercices des modernes habitants de la Grece ne manquent ni de pittoresque, ni de poesie S'il en est ainsi, chez ces fils degeneres, que devait done etre la Danse chez leurs peres! XII. Fin des Danses etrangeres. - Russes. - Cosaques. - Polonais. Italiens. - Espagnols . Dans notre course dansante a travers tous les pays, nous n'avons voulu suivre aucun ordre; nous avons saute sans facon d'un peuple chez l'autre, et c'est encore ce que nous allons faire pour ce dernier chapitre, qui (son titre doit vous le dire) reunira des extremes. Chez certaines populations septentrionales la Danse a un caractere energique que l'on 15 s'attendrait presque a retrouver parmi les danseurs russes; il n'en est cependant point ainsi: la servitude qui pese sur les habitants de ce vaste empire exerce son influence refrigerante sur leurs moeurs, et, dans ce cas, les plaisirs s'en ressentent comme le reste faites donc marcher de pair une danse vigoureuse ou suave et le knout Voyez plutot les Russes, pietinant sans presque changer de place, et pirouettant sur la plante des pieds pour executer leur lourde pantomime, qui leur fait remuer sans cesse epaules, bras et hanches. C'est au son de leur longue guitare, appelee balaleica , qu'ils se livrent a ces oscillations sans grace, qu'excitent parfois les chants, les cris, ou meme les sifflements des spectateurs. Il parait que les danses populaires des villes et villages qui avoisinent Moscou ne brillent pas toujours par la decence et la pudeur: elles representent volontiers des episodes que nous qualifierons de lestes, pour ne pas employer une autre epithete. Le grand monde y emprunte un peu ses danses a toutes les nations: l'Allemagne et la Suisse lui pretent leur walse; l'Angleterre son anglaise; la France sa contredanse. Les hauts danseurs semblent avoir a eux une espece de walse a balancements, qu'ils nomment Canaica , et qui a plus de grace et de legerete que les autres Est-ce parce qu'elle leur est propre? - L'originalite a toujours un cachet autrement saississant et plus agreable que l'imitation. Un historien de la Russie, M. Leclerc, pretend qu'il y a "une analogie marquee entre les danses russes et celles des negres de la cote de Guinee," - de meme qu'on en trouve entre les danses des peuples du Nouveau-Monde et celles de Cosaques. En effet, la danse de ces derniers est remarquable par un caractere tout different; elle est forte, vigoureuse, energique, et se sent de l'independance de ceux qui la professent. C'est, d'ordinaire, les combats et leurs accessoires dont on retrouve l'image dans l'ardeur, l'expression, la rapidite et la physionomie belliqueuse de ces exercises pratiques dans les steppes du Don et de l'U-kraine. - Il ne s'agirait, pour se convaincre, que d'entendre le sol retentir sourdement sous les pas cadences qui rhythment le Hoppak , le Tropak , et surtout le Kastachok , danses furieuses, dans lesquelles les jeunes et robustes danseurs se jettent, se precipitent, se ruent jusqu'a l'ivresse, jusqu'a la folie. De ces trepignements sans exemples des Cosaques, passons a la marche grave et enjouee des Polonais. J'appelle marche leur danse, qui a recu le nom particulier de Polonaise , parce que c'est une sorte de promenade plutot que toute autre chose. On parait I'affectionner principalement, et l'employer comme un repos entre des danses beaucoup plus fatigantes. Son pas se compose, pour la partie grave, d'un coule fort simple et lent; et, pour la partie enjouee, d'une petite reverence vive et breve, qui donne a cette marche une allure piquante et originale. - Les danseurs de la Polonaise ont un singulier privilege: un cavalier qui n'a point trouve de dame, peut se permettre de desirer une dame deja invitee. Il n'a qu'a s'avancer pres d'elle, la saluer, et frapper dans ses mains; ce signal avertit le danseur en possession de ceder sa danseuse au nouveau venu, ce qu'il fait avec une politesse apparente, en se retirant dans un coin d'ou il va bientot, du reste, exercer sa vengeance, s'appretant a mettre le meme droit en vigueur pour lui. Les Mazourques , les Redowas , les Varsoviannas , et autres gymnastiques de salons, molles ou accentuees, nous viennent des Polonais, qui les executent avec leurs costumes pittoresques et au bruit provoquant des eperons, dont le talon des danseurs ne doit jamais etre prive. Maintenant, pour etre fidele a notre programme d'excursion fantasque et un peu vagabonde, nous allons faire demi-tour pour laisser ces enfants du nord, et nous allons diriger nos pas du cote du soleil, afin d'assister a quelques-unes de ces chaudes evolutions meridionales. A ce titre, l'Italie est la qui nous reclame, et nous n'avons pas la moindre raison de delaisser plus longtemps pour les froides contrees cette patrie de la danse moderne, au moins aussi riche que la fille legerement effacee ou palie des Grecs d'Homere. Ce que nous avons dit dans le cours de ce petit livre sur la resurrection de la Danse en Italie, au XV e siecle, tiendra lieu de partie historique; nous nous contenterons ici, comme dans la suite, pour la fin de cet essai, de nommer quelques-unes des danses les plus en vogue, parmi lesquelles on distingue: La Forlane , dont la mesure est vive et gaie, tres-usitee parmi les gondoliers de Venise, et qui tient son nom des Forlans , habitants du Frioul - (la Trevisane , dont le nom dit l'origine, et le Trescone , de Lombardie, sont, avee la Forlane , trois des danses les plus nationales des Italiens); La Sicilienne , d'un rhythme tres-accuse, dont l'air "va en sautant," et au moins aussi gaie que la precedente. Elle a de l'analogie avec le Fandango d'Espagne que nous verrons; La Volte , dans laquelle le cavalier faittourner ( voltare ) plusieurs fois sa dame, en l'aidant a faire un saut ou cabriole en l'air, et dont les Italiens, - qui l'ont pretee aux Provencaux, - ont dit: La traditore mi fa morire ; La Pecoree , ou danse des patres calabrais, dans le nom vient de Pecora (brebis), et dans laquelle, comme en un rigaudon vif, rapide et gai, les bras et la tete gesticulent aussi fort que les jambes; La Tarentelle , nationale chez les Napolitaines, et que l'on suppose generalement devoir son nom a la Tarentule , araignee venimeuse des environs de Tarente, dont la dangereuse morsure etait, disait-on, guerie par la vivacite des mouvements de cette danse, qui, avec son air aux triolets repetes, electrisait, fatiguait, faisait evanouir et sauvait les malades (Dupaty, dans ses Lettres sur l'Italie ; madame de Stael, dans sa Corinne , et nombre d'autres auteurs et voyageurs ont donne descriptions detaillees de cette danse); Le Saltarello , populaire parmi tous les villageois de la campagnc de Rome, dont le mouvement et l'air ont un cachet irrecusable d'antiquite, et qui est une vraie lutte d'agilite entre chaque danseur. Le cavalier y joue de la guitare, et sa dame du tambour de basque. Ce divertissement fait surtout les delices des vignerons et des jardiniers. Il faut la voir danser, a Monte-Testaccio, par les vendangeurs et leurs femmes c'est un tableau digne du pinceau d'un Leopold-Robert, et dont un habile artiste contemporain nous a d'ailleurs gratifies; La Montferine , simple et elegante, analogue a certaines bourrees de nos provinces de France, et a laquelle savent donner tant de charme les Milanaises aux regards vifs, au cou gracieux, a la taille souple, aux pas legers, aux bonds voltigeants. Les spectateurs de cette danse ont le meme privilege que ceux de la Polonaise: tres-frequemment un dernier venu se glisse avec adresse entre le cavalier et sa dame, dont il s'empare, en forcant le premier a se retirer. Mais comme cette licence fait partic inherente de la Danse, qu'clle est prevue, et qu'en fin de compte, elle profite alternativement a tous, elle ne tourne jamais qu'a la plus grande gaiete de la troupe dansante. Nous nommerions bien encore la Francesca , mais cette contredanse, composee des plus jolies figures de nos danses, n'est qu'un emprunt que les Napolitains nous ont fait pendant notre sejour dans leur ville;-la Colonne , que les Italiens dansaient au commencement de ce siecle, et qui consiste en de nombreuses passes executees au milieu des danseurs et danseuses formes en rangs serres, est aussi du meme genre. Laissons a present les gondoliers, matelots, patres et paysans de tous les points de l'Italic se livrer a leurs sauts, stimules et soutenus par les airs rustiques de leurs musettes, et, - pour clore dignement, - allons faire un tour en Espagne. L'Espagne, nous n'hesitons pas a le proclamer, est la reine de la Danse; nous l'avons gardee par la bonne bouche et il est temps de nous occuper d'elle. 16 Nous ne vous presenterons egalement qu'un choix des doux plaisirs de ce peuple danseur, plaisirs divises jadis en danzas , danses graves et de bonne compagnie, et en bayles , danses populaires ou villageoises.-Si nous voulions nous arreter a cette division ancienne, nous y joindrions cette autre division en trois parties de la saltation des danseuses de Cadix, si seduisantes que les historiens les disaient dangereuses: la chironomie etait le jeu de leurs mains; halma , le jeu de leurs pieds; et lactisma , leurs bonds en l'air. - Mais nous franchissons ces antiques appellations et nous vous montrons au hasard: Le Sarao , jeu de carnaval, qui est plutot une ceremonie, un bal pare, qu'une danse, et qui, par sa complication, dure la plus grande partie d'une soiree; Le Bolero , danse noble, de grand et bel air, composee de cinq parties diverses et gracieuses, dont les pas coupes, battus ou glissants sont toujours bien frappes, et qui a pris son nom de volero ou volador , a cause de la legerete de ses figures. - Ce nom de Voleros designe aussi certaines danses libres, voluptueuses et meme lascives, dont la description ne peut trouver place ici; Les Seguidillas , les plus attrayantes des danses que l'on peut se permettre de voir, qui ne sont que des continuations et des variantes du Bolero, et qu'on divise: en boleras , quand leur chant est accompagne d'une guitare;-en manchegas , tres-vives, en grande faveur chez le peuple, et qui viennent de la Manche, province meridionale de l'Espagne; -en taleadas , espece de bolero mele de cachucha, et dont l'etymologie est taleo , qui implique l'idee d'amusements bruyants; La Cachucha , dont le nom tres-vague ne se trouve presque dans aucun dictionnaire espagnol et s'applique a toutes sortes d'objets gracieux, dansee par un homme ou mieux par une femme seule, avec accompagnement de castagnettes, et qui va, comme expression, du calme assez douxjusqu' a l'extreme oppose; Le Menuet , qui ouvre un peu gravement les bals, presie par un bastonero qui veille au bon ordre des plaisirs, et divise en afandangado , c'est-a-dire compose en partie du fandango, - et en allemandadao , c'est-a-dire entremele de pas allemands; La Guaracha , qu'accompagne la guitare, dont le mouvement doit devenir progressivement vif, dont le nom africain signifie gaiete, - et que, dans le siecle dernier, le roi et sa cour voyaient danser au thetre, tout en jetant (singulier plaisir pour un roi!) a la tete des dames de petits oeufs vides et remplis d'eau de senteur; El Zapateado , qui fait faire beaucoup de bruit avec les pieds (ce que son nom indique), et dont les pas au rhythme de cide sont frappes comme ceux de l'anglaise et de la sabottiere; El Zorongo , qui a donne son nom a une coiffure enrubanee pour lcs femmes, et dont les pas simples ont un mouvement tres-vif, accompagne parfois de battements de mains; El Tripili trapola , presque semblable au Zorongo, mais qui en differe en ce qu'il finit par trois demi-tours, et dont le nom n'est qu'une onomatopee, imitant une certaine modulation de la voix des Gitanos ou bohe miens andalous; La Folie , executee aux sons des flutes, tantot lente et grave, tantot legere et rapide, et que Pierre I er , de Portugal, aimait si fort, qu'il passait souvent des nuits entieres a la danser avec ses enfants et les personnes qu'il daignait honorer de son assez farouche amitie; Enfin, pour ne pas tout citer, le fameux, l'illustre Fandango , cet enfant de la Chica des Africains, cette danse dont le docteur Yriarte a dit: " Le melodieux Fandango, qui charme les ames des naturels et des etrangers, des sages et des vieillards les plus austeres; " cette danse qu'ont decrite, en vers gracieux le celebre cavalier Marino, et en prose latine assez technique le moins celebre doyen Marti; cette danse qui, dit-on, faillit etre condamnee par un consistoire de la cour de Rome reuni dans ce but, ct qui, par son effet electrique et entrainant, finit par faire danser ses juges eux-memes, lesquels, gagnes et vaincus, lui accorderent sa grace entiere et le retablirent si bien dans tous ses privileges que, seul avec le Bolero, il a conserve l'honneur d'etre danse sur les theatres d'Espagne; cette danse, dis-je, dont le nom signifie aller danser , qui s'execute par deux personnes s'accompagnant des vifs roulements des castagnettes, et dont le mouvement rapide a fait dire que: " tout n'est que vie et action dans le Fandango." - Les Espagnols disent encore que: " le Bolero enivre, et que le Fandango enflamme. " Un voyageur, au style net et precis, ajoute: "Non, l'anachorete qui mange le plus de laitue, qui jeune le plus, nc verrait pas danser le Fandango par Julie Formalaguez, sans soupirer, sans desirer, et sans donner au diable ses voeux, sa continence et ses sandales " Nous avons passe sous silence les danses des Epees , des Geants , des vieux Cantabres , le Jaleo de Madrid, le Vito de Seville, les Tonadillas , et nombre d'autres, venant la plupart, ainsi que plusieurs de celles que nous avons decrites, des Americans ou des Maures. Vous voyez que ces danses sont originales, qu'elles ont des figures variees et charmantes, et qu'elles font naitre les sentiments les plus agreables. Dans leurs pas si pittoresques, la legerete, la grace, l'elasticite, le balancement, la seduction sont remarquables, et les autres mouvements y extpriment quelquefois la fierte, la hauteur, mais aussi toujours la noblesse, la majeste de la nation des Rodrigue et des Chimene. - " On pourrait, dit un ecrivain qui parle des charmantes filles espagnoles, on, pourrait imaginer, en voyant danser ces bayaderes, que quelque portrait du Titien ou du Veronese est devenu anime " Cela nous peint tout: carnation, agilite, et souplesse gracieuse. Par quel mot saurais-je mieux finir? - Voila, - quoique dans un cadre trop restreint pour qu'il ait pu renfermer tous les details, - voila nos nombreuses evolutions terminees! Ma plume, apres toutes ces excursions, s'etend nonchalante sur mon encrier. Je me retire, o belles dames et vous souhaite repos et satisfaction! FIN.