...■ ■ ". à Ht 3 9007 0293 '5973 4 Date Due M>.i \m% JUN 3 2009 _ai œ Collection of Mr. P.J.S. RICHARDSON, O.B.E. 12 Henrietta Street, Covent Garden, W.C.2. Title: LETTRES SUR LA DANSE, ET SUR LES BALLETS. NO VERRE. M. D. CC. LX. G\l H(? |-7feP , ..■..:^-— ,-. -^. ...„. ........... . — - .-:... -,.■...- ..~+. . , | LIJ j__ LU | L _ J _ UNIVERSITY MICROFILMS LIMITED Noverre. Lettres sur la danse et sur les ballets» Lyon; Chez Aimé' Dolarochej 1700. Fletcher Bibliography No. 3^. Microfilm Order No.D27. This book has been microfilmed with the permission of the Royal Academy of Dancing. The original book now résides in the library of the Royal Academy of Dancing, P.J.S. Richardson bequost. 1971. % o H ~ r J> w ~ • - ir\ o • u o z X o (— 1 M o a K K r^ Vl ON o rH c f to o o c •H C -H a © ■ CD C •H X CD B O Q >M O «P V( a. o (H CC CD >> £CE V no M-O ,C -h «3 +> ^ © •H O < > CD r-1 T3 £ C3 © É-" >> B O r-i ce ■H • «H bO O O C £ h -H +J • O U -l-> •H C . cr «^ h © © o as .a fi> h >>£> C © B -h o > © r-i co (0 "O t3 x; co o (h o ,c a »<-»-> Xi M © O (-H C ■H O U-H £X ,o >> o ce • © K T3 W 09 -H • © © CO •"3 £2 x: a • e* +> ** o. • r .^&«-m«m*!*9*0»**rv^*t!**!f*g*QgÇgtC9 l B f t ' ■ ■ r ' * - • ' - i ■ • ■■ ' - . * ■ . » ■ . ' - s . v ' • - v • ' ' , » ù - ■ \\ •X . »•■■■■, .. » - ■ sv * ■* . r ■ * * ; • '- s &■ If ■ - »■ ■- . * ' f ' ' - ■ . \ : - ■ * ' • y : - ' • ». • ■ . ••] tâ&/;At& LETTRES ^ SUR LA DANSE, ET SUR PAR M. NOVERRE, Maître des Ballets de Son Altejje Sérénijfimc Monfeigneur le Duc de Wurtemberg, & ci - devant des Théâtres de Paris , Lyon, Marfeille, Londres, &c* '-SE* 1 A LYON, Chez Aimé Delaroche, Imprimeur -Libraire du Gouvernement &de la Ville, aux Halles de la Grenette. Ë5gy— ' ' ! as M. D. C C L X. Avçc Approbation et Privilège du Roi. G V r/ c HJLU M UJ APPROBATION. JAi lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier, un Manulcrit qui a pour titre : Lettres fur la Danfe 6» fur les Ballets, par M. Novcrre , &c. je n'y ai rien vu 2 ni puiffe en empêcher l'impreffion. A Lyon, le premier )rtobre i7ï9. BOURG EL Aï. PRIVILEGE GÉNÉRAL. LOUIS, PARLA GRACE DE DlEU, ROf de France et de Navarre: A nos amës & féaux Confeillers les Gens tenant nos Cours rie Parlement , Maîtres des Requêtes ordinaire de notre Hôrel, grand Confei! , Prévôt de Paiis-, BaiKifs, Séné- chaux , leurs Lieutenants Civils & autres n^s Julticiers Îu'tl appartiendra , Salut. Notre amé A i M É )ela roche, Libraire a Lyon, Nous a fait expo- fer qu'il defireroit faire imprimer 6c donner au Public des Ouvrages qui ont pour titre : Principes de Théorie pour le Commerce de la Banque & de la Marchandifc ; Lettres fur la Danfe & les Ballets du Sieur Noyerre; s'il nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Privilège pour ce nécellaires. A ces caufes, voulant favorable- ment traiter l'Expofant , Nous lui avons permis & per- mettons par ces Prélentes , de faire impiimer lefdits Ouvrages autant de fois que bon lui femblera, tk de les vendre , faire vendre & débiter par - tout notre Royaume pendant le temps de fix années confécutives, à compter du jour de la date des Préfentes. Faifons défenfes à tous Imprimeurs, Libraires & autres perfon- nes de quelque qualité & condition qu'elles foient, d'en introduire d'imptelTion étrangère dans aucun lieu de notre obéifiance , comme aulTi d'imprimer ou faire im- Îirimer, vendre, faire vendre, débiter, ni contrefaire efdits Ouvrages , ni d'en faire aucuns extraits fous quelque prétexte que ce puillè être , fans la permiiTion expreffe & par écrit dudit Expofant , ou de ceux qui auront droit de lui , à peine de confiscation des exem- plaires contrefaits, de trois mille livres d'amende contre chacun des contrevenants, dont un tiers à Nous, un tien à l'Hôtel -Dieu de Paris , ôc l'autre tiers audit Irpoftnt . eu à eekû qui turt droit de lui , 8c de tcm* déperu, commigei fit intérêts ; à la charge que ce* l'réfentcs feront enregistrées tout au long fur le regifhe de la Communauté des Imprimeurs fie LiDntrtl de Paris, dans trois mois de la date d'icelles, que l'impreffion déf- aits Ouvrages fera fa ; te dans notre Royaume & non ailleurs, en bon papier fit beaux caractères, conformé- ment a la feuille imprimée attachée pour modèle fous le contre-feel des Préfentes ; que l'Impétrant fe conformera en tout aux Règlements de la Librairie, fie notamment à celui du io Avril 1715 ; ou'av.Tt de les expvler en vente, les Manufctits qui auront fervi de copie a l'im- preffion defdits Ouvrages , feront remis dans le même «itat où l'approbation y aura été donnée , es nvir.s Ce notre très-cher tk féal Chevalier Chancelier de France, Je Sieur de Lamoignon. fie qu'il en fera e-ifuite rerr.s jeux exemplaires de chacun dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de notre CVùteau du Louvre , oc un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier Chancelier de France , le Sieur de Lamoitnon , le tout à peine de nullité des Préfentes; du contenu de r <. vous mandons 6c enjoiçnnrs <'c faire jo-.'r led.t txpo- fant fie fes avant caufes, pleinement fie paifblement , Uns foufïiir qu'il leur foit fait aucun trouble ou I chement. Voulons que la copie des Préfentes qui fera imprimée tout au long au commencement ou a la fin deu'.its Ouvrages, foit tenue pour duement figmfiée , & qu'aux copies collationnécs par l'un de nos âmes fit (eaux Confcillers les Secrétaires, foi foit ajoutée com- me a l'original ; commandons au premier notre H ou Servent fur ce requis , de faite pour l'exécution d'i- cellcs , tous aflcs requis fie néccffaires , fans demander autre permi(T"ion , fie nonubftant clameur de haro, charte Normande fie LetîTes a ce contraires : Car tfl est notre plaisir. Donné i Verfailles, le vingt-unième lour du mois de Décembre , l'an de grâce mif fept cent cinquante-neuf, fie de notre règne le quarante-cinquième. Par le Roi en fon Conftil , Signé LEBEGUE. Regiflré fur le Regiflre XV de U Chambre Royale & Syndicale des Libraires (y Imprimeurs de Paris N° . 2884, fol. iC , conformément au Règlement de '7-.J. A Paris, ce 11 Janvier 17C0. Si S né G. SAUGRA1N, Syndic. A SON ALTESSE SÉRÊNISSIME, MONSEIGNEUR CHARLES, Duc régnant de Wurtemberg & Tech, Prince de Montbéliard, Seigneur de .jHcydenheim de Inftingue, Chevalier de l'Ordre de la Toifon-d'or, & Générai Vcld - Maréchal du louable Cercle de Suabe. MONSEIGNEUR, Quelque foiblc que foitV hommage 'd'un Effai fur la Danfe , fOTRE ALTESSESÉRÊNISSIMEabUrf voulu me permettre de le lui offrir dans le temps même où elle s'emprejfoitde marcher a la tète des fecours puijjants quelle vient d'accorder à fes Alliés. Il nejl aucune cirçonjlance , MqnseigKeur, qui puiffe diflraire VOTRE ALTESSE SÉRÈNISSIME de la protecliori dont elle daigne honorer les Arts. Les talents trouvent toujours auprès d'elle cet afyle tranquille y capable fcul de les faire éclor- rc f là où la nature n'en avoir mis que U ferme , & de les faire développer dans ceux où ils feroient refiés languiffants. Cet ouvrage par o'iffant fous les aufpices de votre augufle nom , reçoit un prin- cipe dévie qui eJi affure le fort. U Auteur ayant encore le bonheur de vous appar- tenir , fent déjà ce feu facré dont la. rcconnoiffancc embrafe les âmes bien nées. Qj'.e ne puis -je voler auprès de Votre Altesse Sérénissime/ Que ne puis -je, MONSEIGNEUR , vous confacrer dès ce moment mes foi- blés talents , & vous affurer du ydc & du profond refpecl avec lef quels je ferai toute ma vie , MONSEIGNEUR, de Votre Alt esse Sérénissime, Le très-humble , très- obéi jfant , 6» très-dévoué ferviteur , NovERRE. > » » X £ TTiî £ S S U R £ - • ' • ■ - . . ^ f — ^* * LETTRE PREMIERE. #=£Sf A Poéne, la Peinture & la . 8 * 1- im Danfe ne font , Monfieur , ÊT=&=;S oll ne doivent être qu'une copie fidelle de la belle nature : c'eft pat la vérité de cette imitation que les Ouvrages des Racine, des Raphaël ont 1 ,pa(Té à la poftéritéj après avoir obtenu . (ce qui eft plus rare encore) les fuffrages | ,juêmedeleur Cecle. Que ne pouvons- 2 LlTTM J nous joindre aux noms de ces grands Hommes ceux des Maîtres de Ballets, les plus célèbres dans leurs temps I mais à peine les connoît - on j ce n'eft pas néanmoins la faute de l'Art. Un Ballet eft un tableau , la Scène eft la toile, les mouvements méchaniques des figurants font les couleurs , leur plii- fionomie eft, fi j'ofe m'exprimer ainfi, le pinceau , l'enfemble & la viva- cité des Scènes , le choix de la Mufi- <|ue , la décoration &: le coftume en font le coloris ; enfin, le Compofitenr eft le Peintre. Si la nature lui a donné ce feu 6c cet enthoufiafme , l'ame de la ' Peinture & de la Poéfie , l'immortalité lui eft également afluréc. L'Artifte a ici, j'ofe le dire , plus d'obftaclcs à furmon- . ter que dans les autres Arts ; le pinceau & les couleurs ne font pas dans fe Suit la Dansé. ^ tnains } fes Tableaux doivent être variés , & ne durer qu'un inftant j en un mot t il doit faire revivre l'Art du> Gefte & de la Pantomime, fi connu dans le fiecle d'Augufte. Toutes ces dif- ficultés ont fans doute effrayé mes prédécelTeurs : plus hardi qu'eux â peut- être avec moins de talent , j'ai ofé mé- tayer des routes nouvelles ; l'indulgence du Public m'a encouragé , elle m'a fou- tenu dans des crifes capables de rebuter l'amour-propre ; & mes fuccès femblenc m'autorifer à fatisfaire votre curiofité- fur un Art que vous chériiïcz, & auquel je confacre tous mes moments» Les Ballets n'ont été jufques à pré- fent que de foibles efquiflès de ce qu'ils peuvent être un jour. Cet Art entière-» ment fournis au goût & au génie , peut : s'embellir & fe varier à l'iafini. L'Hiitoi- Aij 4 L £ T T'H* I S ' •• re , la Fable , la Poéfic , la Peinture £ tout lui tend les bras pour le tirer de l'obf- curité où il eft enfeveli j & l'on s'étonne, avec raifon , que les Compofiteurs dé- daignent des fecours fi précieux. Les Programmes des Ballets qui ont étc donnés, il y a un fiecle ou environ, dans les différentes Cours de l'Europe, fêroient foupçonner que cet Art, loin d'avoir fait des progrès , a perdu beau- coup : ces fortes de traditions , il eft vrai p font toujours fort fufpeétcs. Il en cfl des Ballets comme des Fêtes en géné- ral ; rien de fi beau , de fi élégant fur le papier , rien de fi maufïadc & défi mal entendu fouvent à l'exécution. Je penfe , Monfieur , que cet Art n'eft refté dans l'enfance , que parce qu'on en a borné les effets à celui de ces feux d'artifice , faits fimplcmenc $vk la Danse. y 'pour amufèr les yeux. Quoiqu'il par- tage avec les meilleurs Drames, l'avan- tage d'intéreflèr , d'émouvoir & de captiver le Spectateur parle charme de 'i'illufion la plus parfaite , on ne là pas fbupçonné de pouvoir parler à l'ame. Si les Ballets en général font foi- bles, monotones & languifïàrits; s'ils font dénués de ce caractère d'expreflïon -qui en eft l'ame , c'eft moins , je le ré- pète , la faute de l'Art que celle de i'Artifte : ignorcroit-il que la Danfe efl lin Art d'imitation ? je ferois tenté de le -croire , puifque le plus grand nombre des Compofiteurs facrifient les beautés ' la Dan se. 7. feroit poflibie, cette fymmétrie dans les figures qui , faifant répétition d'objet , offre fur la même toile deux Tableaux femblablcs. Dire que je blâme généralement toutes les figures fymmétriques ; penfer que je prétende en abolir totalement l'ufage, ce feroit me donner un ton de /ingularité ou de réformateur que je veux éviter. L'abus des meilleures chofes eft tou- jours nuifible } je ne défaprouve que l'ufagc trop fréquent & trop répété de ces fortes de figures : ufage dont mes confrères fentiront le vice , lor£ qu'ils s'attacheront à copier fidèlement la nature , & à peindre fur la Scène les différentes pafïîons , avec les nuan- ces & le coloris que chacune d'elles exige en particulier. À iv 5 CettrïI Les figures fymmétriques de la droite à la gauche , ne font fupportables , félon moi , que dans les corps d'entrée, qui n'ont aucun caractère d'exprefïion, 6 qui ne difant rien , font faits uni- quement pour donner le temps aux premiers d*nfeurs de reprendre leur refpiration. Elles peuvent avoir lieu dans un Ballet général qui termine Une Fête ; elles peuvent encore pafTer dans des pas d'exécution , de quatre , de fix , &c. quoiqu'à mon fens , il foie ridicule de facrifier , dans ces fortes de morceaux, l'exprefTion & Je fentiment à l'adrcfle du- corps &C à l'agilité des jambesjmaislafymmétriedoitfaireplace à la nature dans les Scènes d'action. Un exemple , quelque foible qu'il foie , me rendra peut-être plus intelligible , & fuffira pour étayer mon fentiment. Suk Va Danse.* 9 '"'' Une troupe de Nymphes , à l'afpéft imprévu d'une troupe de jeunes Faunes, prend la fuite, avec autant de préci- pitation que de frayeur ; les Faunes, au contraire, pourfuivent les Nymphes avec cet empreflèment , que donne or- dinairement l'apparence du plaiiïr : tan- tôt ils s'arrêtent pour examiner l'im- prefïîon qu'ils font fur les Nymphes ; celles-ci fufpendent en même temps leur courfe ; elles confiderent les Fau- nes avec crainte , cherchent à démêler leurs defleins, & à s'afTurer par la fuite unafyle qui puifle les garantir du danger qui les menace ; les deux troupes fe joignent , les Nymphes réfîftent , fe défendent & s'échappent , avec une adreflê égale à leur légèreté , Sec, Voilà ce que j'appelle une Scène d'action , où la Danfe doit parler avec lO .L ITT *. E 3 * feu , avec énergie i où les figurer fymmétriques&: comparées ne peuvent çtre employées fans altérer la. vérité , fans choquer la vraifemblance , fans affoiblir l'a&ion & refroidir l'intérêt. Voilà, dis -je, une Scène qui doit otfnr un beau défordre , & où l'An du Compofiteur ne doit fe montrer f . que pour embellir la nature. Un Maître de Ballets , fans intelli- gence & fans goût , traitera ce mor- ceau de Danfe machinalement , & le privera de Ton effet , parce qu'il n'en fentira pas l J efprit. Il placera fur plu- fieurs lignes parallèles les Nymphes & les Faunes ; il exigera fcrupuleufe- ment que toutes les Nymphes foient pofées dans des attitudes uniformes , & que les Faunes aient les bras élevés a la même hauteur ; il fe gardera bien 2 S vil ia DanJe. Il dans fa distribution de mettre cinq. Nymphes à droite, & fcpt Nymphes à gauche $ ce feroit pécher contres les" vieilles règles de l'Opéra ; mais il fera un exercice froid & conipaffé d'une Scène d'action qui doit être pleine de feu. •■•.-. : . Des critiques de mauvaife humeur* & qui ne connoifïènt point a/fez l'Art « pour juger de Ces différents effets » diront que cette Scène ne doit offrir que deux Tableaux ; que le defîr des Faunes doit tracer l'un , & la crainte des Nymphes peindre l'autre. Mais que de nuances différentes à ménager dans cette crainte & ce defîr ! Que de coups de pinceau variés ! que d'oppofîtions] que de gradation s & de dégradations à ©bferver,pourquedecesdeuxfentimentS il en réfulte une multitude de Tableaux^ tous plus animes les uns que les autres ! Les paffions étant les mêmes chez tous les hommes, elles ne différent qu'à pro- portion de leurs fenfations ; elles s'im- priment & s'exercent avec plus ou moins de force fur les uns que fur les autres, & fc manifestent au dehors avec plus ou moins de véhémence ôc d'impétuoûte. Ce principe pofé , Se que la nature dé- montre tous les jours , il y auroit donc plus de vrai à diverfifier les attitudes , à répandre des nuances dans l'exprelTion, &dès-lorsl'a&ion Pantomime de chaque Perfonnagc cefleroit d'être monotone. Ce feroit être aulTi fidelle imitateur qu'excellent Peintre, que de mettre de la variété dans l'exprelTion des têtes, de ' donner à quelques-uns des Faunes de la férocité ; à ceux - là moins d'èm» portement ; à ceux-ci un air plus, tendre ; SU R t'A" D A'tf S E, Xf aux autres enfin un caractère de. vo* Iupté, qui fufpendroit ou qui partàr geroit la crainte des Nymphes ; l'efquifle de ce Tableau détermine naturelle- ment la composition de l'autre y je Vois alors des Nymphes qui flottent entre le plaiiîr & la crainte \ j'en apper- çois d'autres qui me peignent par le contrafte de leurs attitudes,les différents mouvements dont leur ame eft agitée ; celles-ci font plus fieres que leurs con> pagnes ; celles-là mêlent à leur frayeur un fentiment de curiofité , qui rend le Tableau plus piquant : cette diverfîté eft d'autant plus féduifante qu'elle eft l'image de la nature. Convenez donc avec moi, Monfieur,quc la fymmécrie> fille de l'Art , fera toujours bannie de la Danfeen action. . : • .•. , Je demanderai à tous ceux qui ont des 14 • Lf'ttmf: préjugés d'habitude, s'ils trouveront de Il fymmétriedans un troupeau de brebis qui veut échapper à la dent meurtrier» des loups, ou dans des payfans qui abandonnent leurs champs & leurs ha* mcaux, pour éviter la fureur de l'enne-* mi qui les pourfuir? non fans doute; mais l'Art cft de favoir déguifer l'Art. Je ne proche point le défordre Cv la confu/îon , je veux au' contraire que la régularité Ci trouve dans l'irrégularité même; je demande des grouppes ingé? nieux,des fituations fortes, mais tou« jours naturelles, une manière de conif pofer qui dérobe aux yeux toute la peino du Compofîteur. Quant aux Figures , elles ne font en droit de plaire que lorf- qu'elles font préfentées avec vîtefTè , ôc delïinies avec autant de goût que d'élégance. Je fuis , &c. • Sur la Danse. ij V I I — — L E T T R E IL JE ne puis m'empêcher, Monueur, de défaprouver les Maîtres de Ballets, qui ont l'entêtement ridicule de vouloir que les figurants & les figurantes fe mo- dèlent exactement d'après eux, & com- paflent leurs mouvements , leurs gébes & leurs attitudes , d'après les leurs; cette finguliere prétention 'ne' peut-elle pas s'oppofer au développement des grâces naturelles des exécutants , & étouffer en eux le fentiment d'exprefiSon qui leur eft propre? : * Ce principe me paroît d'autant plus blâmable , qu'il efl: rare de trouver des Maîtres de Ballets qui fentent ; il y en a fi peu qui foient excellents Comédiens^ &.qui poûedent l'Art de peindre les l6 Lettr.i$ mouvements de I'ame, par les geftes^ Il eftjdis-jc, fi difficile de rencontrer parmi nous des Batyle & des Pilade * , que je ne faurois me difpcnfer de con- damner tous ceux qui par l'enthou- /iafme qu'ils ont d'eux - mêmes, cher- chent à fe faire imiter. S'ils fentenc faiblement, ils exprimeront de même, leurs geftes feront froids , leur phifiono- mic fans caractère , leurs attitudes fans paflîon. N'eft-cc pas induire les figu- rants à erreur, que de leur faire copier du médiocre ? N'eft-cc pas perdre Ton ouvrage que de le faire exécuter gau- chement ? Peut-on d'ailleurs donner des préceptes fixespour l'action Pantomime ? Les geftes ne font-ils pas l'ouvrage de l'ame, & les interprètes ridelles de fes mouvements ? * Danfcur» Pantomime! du tempi d'Augufle. Ûn %, Sur ia Danse. \f Un Maître de Ballets fenfé doit faire , dans cette circonftance , ce que font la plupart des Poètes , qui n'ayant ni les talents, ni les organes propres à la déclamation , font lire leur pièce > Se s'abandonnent entièrement à l'in- telligence des Comédiens pour la repréfenter. Ils affiftent , direz-vous > aux répétitions ; j'en conviens , mais ils donnent moins de préceptes que de confeils. Cette Scène me parole rendue faiblement ; vous ne mettes pas affe^ de débit dans telle autre, celle* ci nejl pas jouit avec ajfcz de feu, & le Tableau qui réfulte de telle Jituation me laijje quelque chofe à dejlrer : voilà le langage du Poëte. Le Maîrre de Ballets , à fon exemple , doit faire recom- mencer une Scène en action , jufqu'à ce qu'enfin ceux qui l'exécutent , aient B i8 Lettres rencontré cet inftant de naturel inné chez tous les hommes, inftant précieux qui fe montre toujours avec autant de force que de vérité , lorfqu'il eft produit par le fentiment. Le Ballet bien compofé cfl une Pein- ture vivante des palTîons, des mœurs, des ufages , des cérémonies , & du cojlumc de tous les Peuples de la terre > conféquemment , il doit être Panto- mime dans tous les genres , & parler à l'ameparles yeux. Eft- il dénué d'ex- prcflion , de tableaux frappants , de Situations fortes, il n'offre plus alors qu'un Spectacle froid & monotone. Ce genre de compofition ne peut fouffri* de médiocrité ; à l'exemple de la Pein- ture , il exige une perfection d'autant plus difficile à atteindre qu'il ed fubor- donné à l'imitation fidelle de la nature y StfR ia Danse. 19 & qu'il eft mal-aifé , pour ne pas dire impoflîble , de faifir cette forte de vérité féduifante qui dérobe l'illufion au Spectateur , qui le tranfporte en un inftant , dans le Heu où la Scène a dû fe paflfer j qui met fon ame dans la même fîtuation où elle fe- roit , s'il voyoit l'action réelle dont l'Arc ne lui préfente que l'imitation. Quelle précifion ne faut-il pas encore avoir, pour n'être pas au-deffus ouau- delfousde l'objet que l'on veut imiter? Il eft aufïî dangereux d'embellir fon mo- dèle , que de l'enlaidir ; ces deux défauts s'oppofent également à la reffemblancej l'un fait minauder la nature , l'autre- la dégrade. Les Ballets étant des repréfenta- tions, ils doivent réunir les parties du Drame. Les Sujets que l'on traite en. Bij. ' *io Lettres Danfe font pour la plupart vuidcs de fens, & n'offrent qu'un amas confus de Scènes, auffi mal coufues quedéfa- gréablement conduites ; cependant il eft en général indifpcnfable de fe fou- mettre a de certaines règles. Tout fujet de Ballet doit avoir Ton expofition , fon noeud & Ton dénouement. La réuf- fite de ce genre de Spe&aclc dépend en partie du bon chois des fujets & de leur dtftnbution. L'Art de la Pantomime eft fans doute plus borné de nos jours, qu'il ne l'étoic fous le règne d'Augufte ; il eft quantité de chofes qui ne peuvent fe rendre intelligiblement par le fecours des geftes. Tout ce qui s'appelle dialogue tranquille , ne peut trouver place dans la Pantomime. Si le Compofiteur n'a pas l'adrefle de retrancher de fon fujet Sur la Dans f. xt ce qui lui paroît froid & monotone > fbn Ballet ne fera aucune fenfation. Le Spectacle de M. Servandoni ne réufc fiflbit pas faute de geftes ; les bras de fes Acteurs n'étoient jamais dans l'i- naction -, cependant fes repréfentations Pantomimes étoient de glace j à peine une heure & demie de mouvement & de gcfte fournifToit-elle un fcul inftant au Peintre. Diane & Acteon , Diane & Endi* mion , Apollon & Daphné , Titort & l'Aurore, Acis & Galathée , ainfî que quantité de Sujets de cette eipe- ce , ne peuvent fournir à l'intrigue d'un Ballet en action, fans le fecours d'un génie vraiment poétique. Téle- maque dans l'Ifle de Calipfo , offre un Plan plus vafte , & fera le fujet d'un très - beau Ballet , Ci toutefois le Biij il Lettres Compofîteur a l'Arr d'élaguer du Poè*me,touc ce qui ne peuc fervir au Peintre; s'il a l'adrefîè de faire paroître Mentor à propos, 6c le talent de l'éloi- gner de la Scène , dès L'inftant qu'il pourroit la refroidir. Si les licences que l'on prend jour-! nellemcnt dans les compofitions théâ- trales, ne peuvent s'étendre au point de faire danfer Mentor dans le Ballet de Télemaque , c'eft une raifon plus que fufrtfantc,pour que le Compofiteurne fe ferve de ce perfonnage qu'avec beiu- coupdeménagemcnr.Nedanfant point, il devient étranger au Ballet •> fon cx- preflion d'ailleurs étant dépourvue des grâces que la Danfe prête aux geftes & aux attitudes , paroît moins animée, moins chaude , & conféquemment moins intéreflante ; il eft permis. aux ■v Sur la Danse. 25 «tands talents d'innover , de fortir des règles ordinaires , & de fe frayer des routes nouvelles, lorsqu'elles peuvent conduire à la perfection de leur Art. Mentor , dans un fpe&acle de Danfe , peut & doit agir en danfant ; cela ne „ choquera ni la vérité ni la vraifem- blance, pourvu que le Compofîteur ait l'Art de lui conferver un genre de Danfe & d'exprelîion analogue à fon caractère , à fon âge & à fou emploi : je crois, Monfîeur , que je rif. querois l'aventure, & que de deux maux j'éviterois le plus grand, c'eft l'ennui , perfonnage qui ne devroic jamais trouver place fur la Scène. C'eft un défaut bien capital que celui de vouloir alïbcier des genres contrai- Tes , & de mêler fans diftinction le férieux avec le comique , le noble avec Biv 14 Lettres le trivial, & le galant avec le burlefque. Ces fautes grofTieres, mais journalières, décèlent la médiocrité de l'cfprit, elles arhehent le mauvais goût & l'ignorance du Compo/îceur. Le caractère & le gen- re d'un Ballet ne doivent point être défigurés par des Epifodes d'un genre & d'un caractère oppofé. Les méta- morphofes , les transformations 6c les changements qui s'emploient commu- nément dans les Pantomimes angloifes des danfeurs de corde , ne peuvent être employés dans des fujets nobles ; c'eft encore un autre défaut, que de doubler & de tripler les objets : ces répétitions de Scène rcfroidifîènt l'ac- tion & appauvriflène le fujet. Une des parties eiTenticlles au Ballet, eft fans contredit, la variété ; les inci- dents & les tableaux qui en réfutant Sur i a Danse. ly doivent fe fuccéder avec rapidité : Ci l'action ne marche avec promptitude , fi les Scènes languifïènt , fi le feu ne fe- communique également par-tout , que dis-je ! s'il n'acquiert de nouveaux de- grès de chaleur, à mefurc que l'intrigue fè dénoue, le plan efl: mal conçu, mal combiné , il pèche contre les règles du théâtre , & l'exécution ne produit alors d'autre fenfation fur le fpectateur,que le froid* qu'elle traîne après elle. -» J'ai vu , le croiriez-vous , Monfieur , quatre Scènes femblables dans le même fujet; j'ai vu des' meubles faire l'expoution,lenceud de le dénouement d'un grand Ballet national ; j'ai vu enfin aflbcier des incidents burlcfques à l'action la plus noble & la plus voluptueufe : la Scène fe paflbit ce- pendant dans un lieu refpecté de toute l6 LlTTRIS l'Ane : de pareils contre-fens ne choquent-ils pas le bon goût? en mon. particulier j'en aurois été foiblement étonné , C\ je n'avois connu le mérite du Composteur ; cela m'a prefque perfuadé que les grands hommes ne font jamais de petites fautes , ôc qu'il y a plus d'indulgence dans la capitale, que par-tout ailleurs. Tout Ballet compliqué Se ditfus qui ne me tracera pas avec netteté & fans embarras l'action qu'il repréfente ; dont je ne pourrai deviner l'intrigue qu'un Programe à la main ; tout Ballet , dont je ne fentirai pas le plan , Se qui ne m'offrira pas une expofition , un nœud Se un dénouement , ne fera plus , fuivant mes idées, qu'un (impie divertiflement deDanfe, plus ou moins bien exécuté , & qui ne Sur la Danse. 27 m'affectera que médiocrement , puif- qu'il ne portera aucun caractère , & qu'il fera dénué de toute exprefïion. Mais la Danfe de nos jours eft belle; elle eft , dira-t-on , en droit de fé- duire & de plaire -, dégagée même du fentiment & de l'efprit dont vous voulez qu'elle fe décore. Je conviendrai que l'exécution méchanique de cet Art eft portée à un degré de perfection qui ne laifte rien à deflrer j j'ajouterai même qu'elle a quelquefois des grâces, mais . Ja grâce n'eft qu'une petite partie des qualités qu'elle doit avoir. . Les pas , l'aifance & le brillant de leur enchaînement , Va-plomb , la fer- meté, lavîtefïè, la légèreté, la préci- fion , les oppofitions des bras avec les jambes, voilà ce que j'appelle le mécha- nifme de la Danfe. Lorfque toutes cc& aS LaTTa.Es parties ne font pas mifes en œuvre par rcfprir, lorfquc le génie ne dirige pas tous ces mouvements , & que le fenti- ment & l'expreflïon ne leur prêtent pas des forces capables de m 'émouvoir & de m'intérefler ; j'applaudis alors à l'adrefîc , j'admire l'homme machine , je rends juftice à fa force , à fon agilité ; mais il ne me fait éprouver aucune agitation ; il ne m'attendrit pas , & ne me caufe pas plus de fenfation que ' l'arrangement des mots fuivants:/â/r.. pas . . le . . la., honte . . non . . crime . . & . . réchafaud. Cependant ces mots arrangés parle grand homme compo- fent ce beau Vers du Comte d'Eflex : Le crime fait la honte & non pas l'êchafaui. Il faut conclure de cette comparaifon que la Danfe renferme en elle tout ce Sur la Danse. *> qui cft nécefîàire au beau langage , & qu'il ne fuffit pas d'en connoître l'Al- phabet. Qu'un homme de génie ar- range les lettres, forme & lie les mots, elle ceflèra d'être muette , elle parlera avec autant de force que d'énergie , & les Ballets alors partageront avec les meilleures Pièces du théâtre la gloire de toucher, d'attendrir , défaire cou- ler des larmes i &d'amufer, de féduire & de plaire dans les genres moins férieux. La Danfe embellie par le fenti- ment, & conduite par le génie , recevra enfin avec les éloges Se les applaudiflè- ments que toute l'Europe accorde à la Poéfie & à la Peinture , les récompenfes glorieufes dont on les honore. Je fuis , &c. 3© Lettres LETTRE III. O I les grandes paffions conviennent à la Tragédie, elles ne font pas moins néceflàires au genre Pantomime. Notre Art eft aflujetti en quelque façon aux règles de la perfpcdtive -, les petits dé- tails fe perdent dans l'éloignemenr. Il faut dans les Tableaux de la Danfe des traits marqués, de grandes parties , des caractères vigoureux , des mafTes har- dis , des oppe/îcions & des contraftes aulTi frappants qu'artiftement ménagés. U eft bien fingulier, que l'on aie comme ignoré jufqu'à préfent que le genre le plus propre à l'expreiïîon de la Danfe eft le genre tragique ; il fournie de grands Tableaux , des fituaùons ' nobles & des coups de théâtre heureux; d'ailleurs , les pafïîons étant plus for- tes & plus décidées dans les Héros que dans les Hommes ordinaires, l'imita- tion en devient plus facile , & l'a&ion du Pantomime plus chaude, plus vraîç & plus intelligible. Un habile Maître doit prefîèntir d'ua coup d'ceil l'effet générai de toute la. machine , & ne jamais facrifier le tout à la partie. Ce n'cft qu'en oubliant pour quel- ques inftants, les principaux perfonna- ges de la repréfenration^ qu'il pourra penfer au plus grand nombre j fixe-t-il toute fon attention fur les premiers danfeurs & les premières danfèufcs , fon action dès-lors efl: fufpendue , la. marche des Scènes ralentie, 6c l'exécu- tion fans effet. . » . . . . • 3* Lettres Les principaux Perfonnages ds la Tragédie de Mérope , font Mé- rope , Polifonte , Egifte , Narbas j mais quoique les autres Acteurs ne foient point chargés de Rôles auffi beaux ni auffi importants , ils ne con- courent pas moins à l'action générale & à la marcl.e du Drame qui feroic coupée & fufpendue , d l'un de ces perfonnages manquoit à la repréfenta- tion de cette Pièce. Il ne faut pointd'inutilité au Théâtre, conféquemment on doit bannir de la Scène ce qui peut y jeter du froid, & n'y introduire que le nombre exact d'Ac- teurs néceflaircs à l'exécution du Drame. Un Ballet eft une pièce de ce genre ; il doit être divifé par Scènes & par Actes; chaque Scène en particulier, doit avoir, auifi que l'Acte un commencement , un Sôr'ia Danse. 3 j Un milieu & une fin ; c'eft-à-dire , fon ex* pofition , fon nœud & Ton dénouement. J'ai dit que les principaux perfon- nages d'un Ballet dévoient être ou- bliés pour quelques inftants ; j'imagine en effet qu'il eft moins difficile de faire jouer des rôles tranfcendants à Hercule & Omphale , à Ariane & Bachus, à Ajax & Ulifle, &c. qu'à vingt-quatre perfonnes qui feront de leur fuite. S'ils ne difent rien fur la Scène , ils y font de trop , & doivent en être bannis 5 s'ils y parlent, il faut que leur conver- fation foit toujours analogue à celle des premiers A&eurs. l L'embarras n'eft donc pas de donner un caractère primant & diftin&if à Ajax & Ulifîè , puifqu'ils l'ont natu- rellement , & qu'ils font les Héros de la Scène -, la difficulté confifte à y J4 L E T T R I S introduire les Figurants , avec décence j à leur donner à tous des Rôles plus ou myins forts; à les aflbcier aux actions de nos deux Héros ; à placer adroitement des femmes dans ce Ballet ; à faire partager à quelqu'une d'elles Ja /îtuarion d'Ajax & à faire pencher enfin le plus grand nombre en faveut d'UlilTc. Le triomphe de celui-ci c\: la mort de l'autre prelcntcnt nu génie une foule de Tableaux plus piquants , plus pittorefques les uns que les autres , & dont les contraftes & le coloris doivent produire les plus \ivcs fenfations. Il cft aifé de concevoir d'après mes idées , que le Ballet Pantomime doit toujours être en action , & que les Figurants ne doi- vent prendre la place de l'Acteur qui quitte la Scène , que pour la remplira leur tour, non pas amplement par des- > Sun. la Dan Se. fy jîgures fymmétriques&dcs pas compaf- fes , mais par une expreflion vive &• animée , qui tienne le Spectateur tou- jours attentif au fujet que les Acteurs précédents lui ont expofé. Mais par un malheureux effet de l'ha- bitude ou de l'ignorance, il eft peu de Ballets raifonnes ; on danfe pour dan- fer j on s'imagme que le tout conMe dans l'action des jambes, dans les fauts élevés, & qu'on a rempli l'idée que les gens de goût fe forment d'un Ballet, lorfqu'on le charge d'exécutants qui n'exécutent rien, qui fe mêlent, qui fe heurtent , qui n'offrent que des Ta- bleaux froids & confus , défîmes fans goût , grouppés fans grâce , privés de toute harmonie, & de cette expreflion, fille du fentiment, qui feule peut em«* bellir l'Art , en lui donnant la vie, Cij 36 Lettres Il faut convenir néanmoins que l'on rencontre quelquefois dans ces fortes de compofitions , des beaute's de dé- tail, &c quelques étincelles de génie j mais il en eft très-peu qui forment un tout & un cnfcmble parfait : le Tablcsu péchera ou par la compofition , ou par le coloris i ou s'il eft defliné correc- tement , il n'en fera peut -être pas- moins fans goût , fans grâce & fans imagination. . Ne concluez pas de ce que j'ai dit plus haut , fur les Figurants & fur les Figurantes , qu'ils doivent jouer des Rôles aufïi forts que les premiers Sujets j mais comme l'action d'un Ballet eft tiède , fi elle n'eft générale, je fou- tiens qu'il faut qu'ils y participent avec autant d'Art que de ménagement. car il eft important que les Sujets. > Sur la Danse, $7 ■chargés des principaux Rôles , confer- Venc de la force & de la fupériorité fur les objets qui les environnent. L'Art du Gompoficeur eft donc de rapprocher & de réunir toutes fes idées en un feu! point, afin que les opérations de VeC- prit & du génie y aboutiflent toutes. Avec ce talent, les caractères paroîtront dans un beau jour, & ne feront m facrifîés , ni effacés par les objets qui ne font faits que pour leur prêter du nerf & des ombres. Un Maître de Ballets doit s'attacher à donner à tous les Acteurs danfants une action , une expreflion & un carac- tère différents; ils doivent tous arriver au même but par des routes oppofécs,& concourir unanimement & de concert à peindre par la vérité de leurs geftes & de leur imitation, l'action que le Ciij 38 Lettrbs Compofiteur a pris foin de leur tracer. Si l'uniformité règne dans un Ballet , Ci l'on ne découvre pas cette diverficé d'expreflion , de forme , d'attitude &: de • caractère que l'on rencontre dans la -nature ; C\ ces nuances légères , mais imperceptibles, qui peignent les mêmes pafTionsavec des traits plus ou moins marqués, 6V: des couleurs plus ou moins vives, ne font point ménagées avec Art & diftribuées avec goût &: délicatefle, alors le Tableau efl à peine une copie médiocre d'un excellent Original, & comme il ne préfente aucune vérité, il n'a ni la force, ni le droit d'émouvoir ni d'affecter. Ce qui me choqua , il y a quelques années , dans le Ballet de Diane & Bndimion que je vis exécuter à Paris, •cft moins l'exécution méchanique » V Sur i a D ans e %$ que la mauvaife diftribution du Plan. Qu'elle idée de faifir pour l'action, l'inftant où Diane eft occupée à donner a Endimion des marques de fa ten- drefïè ? Le Compofitcur eft-il excufable d'aflbcier des payfans à cette Déefïè, & de les rendre témoins de fa foibleflê & de fa paflîon, & peut -on pécher plus grofTïérement contre la vraifem* blanceî Diane, fuivant la fable, ne voyoit Endimion que lorfque la nuic faifoit fon cours, & dans le temps où les mortels font livrés au fommeil 5 cela ne doit-il pas exclure toute fuite? L'amour feul pouvoit être de la partie j mais des Payfans, des Nymphes, Diane à la cha(Te ; quelle licence ! quel contre- fens ! ou pour mieux dire, quelle igno- rance ! On voit aifément que l'Auteur n'avoit qu'une idée confufe & imp'ar- Civ ^o Lettres faite de la Fable j qu'il a mêlé celle, d'A&con où Diane eft: dans le bain avec fes Nymphes, à celle d'Endimion. Le nœud de ce Ballet ctoit fingulier ; les Nymphes y jouoient le perfonnage de la chafteté j elles vouloient mafTa- crer l'Amour 6V: le Berger j mais Diane, moins vertueufe qu'elles, & emportée par fa paffion, s'oppofoit à leur fureur, & voloit au-devant de leurs coups ; l'Amour pour les punir de cet excès de vertu les rendoit fcnfibles. De la haine elles pafloient avec rapidité à la ten- dreffe , & ce Dieu les unifîbit aux Payfans. Vous voyez , Monfieur , que ce plan eft contre toutes les règles & que la conduite en eft auffi peu in- génieufe , qu'elle eft faufle. Je com- prends que le Compofitcur a tout facrifié à l'effet , &: que la Scène des K?\ Sur ia Dan je. 41 flèches en l'air , prêtes à percer l'Amour > l'avoit féduic j mais cette Scène étoic déplacée. Nulle refïèmblance d'ailleurs dans le Tableau ; on avo't prêté aux Nymphes le caractère & la fureur des Bacchantes qui déchirèrent Orphée > Diane avoit moins l'expreflion d'une amante que d'une Furie; Endimionpeu reconnoiflant & peu fenfible à la fcene qui fe paflbit en fa faveur , paroiflbic moins tendre qu'indifférent ; l'Amour n'étoit qu'un enfant craintif , que le bruit intimide & que la peur fait fuir: tels font les caractères manques, qui affoibliffoient le Tableau , qui le pri- voient de fon effet, &qui dégradoient le Compofîteur. Que les Maîtres de Ballets qui vou- dront fe former une idée jufte de leur Art , jettent attentivement les yeux fur 41 Lettres les batailles d'Alexandre , peintes par Lebrun \ fur celles de Louis XIV , peintes par VandtT'MtuUn , ils verront que ces deux Héros qui font les Sujets princi- paux de chaque Tableau , ne fixent point feuls l'ceil admirateur ; cette quantité prodigieufe de combattants , de vaincus &de vainqueurs , partage agréablement les regards , Se concourt unanimement à la beauté Se à la perfection de ces chcf-d'ceuvrcs ; chaque tête a Ton ex- preffion Se fon caractère particulier j chaque attitude a de la force Se de l'énergie ; les grouppes , les terraiTe- ments , les renverfements font auffi pittorefques qu'ingénieux : tout parle , tout intérefTe , parce que tout cfl vrai \ parce que l'imitation de la nature eft fidellc-, en un mot, parce que la toile fcmble refpircr. Que l'on jette enfuite Sur ia Danse. 4$ fur ces Tableaux un voile qui dérobe à la vue les fieges , les batailles , les trophées , les triomphes ; que l'on ne laifle voir enfin que les deux Héros ; l'intérêt s'afFoiblira ; il ne reftera que les Portraits de deux grands Princes. "* Les Tableaux exigent une action , de$ détails , un certain nombre de Perfon* nages, dont les caractères, les attitudes & les geftes doivent être aufïi vrais ôC auffi naturels qu'exprefïïfs. Si le Spec» tateur éclairé ne démêle point au pre- mier coup d'ceil, l'idée du Peintre; fi le trait d'Hiftoire dont il a fait choix, ne fe retrace pas à l'imagination du con» noiffeur avec promptitude , la diftribu* tion eft défeCtueufe , l'inftant mal choi/î, & la compofition froide 8c de mauvais goût. Cette différence du Tableau au Por? 44 Lettres trait devroit être également reçue danj la Danfe ; le Ballet, comme je le fens, & tel qu'il doit être , fe nomme à jufte titre Ballet ; ceux au contraire qui font monotones Se fans exprefTîon ; qui ne préfentent que des copies tiedes & im- parfaites de la nature , ne doivent s'appeller que des divertiffernents fafti- dieux, morts & inanimés. Le Ballet eft .l'image du Tableau bien compofé , s'il n'en efl l'original ; vous me direz peut-être qu'il ne faut qu'un feul trait au Peintre , & qu'un feul inftant pour caractérifer le Sujet de fon Tableau , mais que le Ballet efl une continuité d'actions, un enchaîne- ment de circonftances qui doit en offrir une multitude j nous voilà d'accord , & pour que ma comparaifon foit plus jufte, je mettrai le Ballet en action, en Su*, là Danse. '4$. parallèle avec la galerie du Luxembourg, peinte par Rubcns : chaque . Tableau, présente une Scène, cette Scène conduit naturellement à une autre ; de Scène en Scène on arrive au dénouement , & l'oeil lit fans peine & fans em- barras l'Hifcoire d'un Prince dont la mémoire cft gravée par l'amour & la reconnoiffance dans le cœur de tous les François. Je crois décidément, Monfieur, qu'il cfi: auflî facile à un grand Peintre & à un célèbre Maître de Ballets , de faire un Poëme ou un Drame en Peinture Se en Danfe , qu'il eft aifé à un excellent Poëce d'en - compofer un j mais fi le génie manque , on n'arrive à rien ; ce n'eft point avec les jambes que! l'on peut peindre i tant que la tête des Danfeurs ne conduira pas leurs 4$ .Lettr es pieds >' ils s'égareront toujours , leu* exécution fera machinale > & ils fc deiTineront eux-mêmes froidement 8c de mauvais goût. ' Je fuis , &c. •■— — ^^— ■ ^^ 5555 555 ""* ^"^^ "* LETTRE IV. JL ADanfe & les Ballets font aujour- d'hui , Monheur, la folie du jour \ ils fonc fuivis avec une cfpece de fureur, ôc jamais Art ne fut plus encouragé par les applaudifïements que le nôtre. La Scène françoile la plus riche de l'Eu- rope en Drames de l'un & de l'autre genre, & la plus fertile en grands ta- lents , a été forcée, en quelque façon , pour fatisfaireau goût du Public , & Ce mettre à- la mode , d'aflbeier les DanfcS ^ Sva l a Danse. 47 àfe$ Repréfentations, &d'étayer,pour ainfi dire , les chef- d'oeuvres des plus iliuftres Poètes , par des divertifïèments . ou des Bambochades qui dégradoient la Noblelïè & la Majefté de ce Théâtre. Cette difproportion de genre & ce con- traire choquant a déterminé les Comé- diens François à engager le fieur Hus* On m'écrit qu'il a débuté avec le plus brillant fuccès par le Ballet de la Mort d'Orphée. La Danfe férieufe & héroï- que eft fans contredit la feule qui puifïê convenir à un Théâtre ou tout refpire la décence 6c la grandeur. Que fon génie le porte toujours à traiter des fujets d'un genre noble & élevé ! Qu'il en puife quelques - uns dans les Tra- gédies qu'il voit repréfenter tous les jours , & qu'il abandonne tour ce qui eft au-deflbus du calant & du voluptueux 4$ Lettres à tous Maîtres de Ballets fubalternes ic plagiaires. Le goût vif & déterminé pour les Bal- lets eft général; tous les Souverains en décorent leurs Spectacles , moins pour fe modeler d'après nos ufages, que pour fatisfaire au plaifir que procure cet Art. La plus petite troupe de Province traîne après elle un eflaim de Danfeurs de de Danfeufes ; que dis-je î les farceurs & les marchands d'Orviétan comptent beaucoup plus fur la vertu de leurs Ballets, queMur celle de leur Baume; c'eft avec des entrechats qu'ils fafei- nent les yeux de la populace ; Se le débit de leurs remèdes augmente ou diminue à proportion que leurs divertiflements font plus ou moins nombreux. L'indulgence avec laquelle le Public applaudit Sur. la Dàhse. 49 applaudit à de fimples ébauches , de- vroit , ce me femble , engager l'Artifte à chercher la perfection. Les éloges doivent encourager cV non éblouir au point de pcrfuadcr qu'on a tout fait & qu'on a atteint au but auquel on peut parvenir. La fécurité de la plupart des Maîtres , le peu de foin qu'ils fc donnent pour aller plus loin, me feroient foupçonner qu'ils imaginent qu'il n'efî rien au-delà de ce qu'ils favent , & qu'ils touchent aux bornes de l'Art. ■ Le Public de fou côté aime à fe faire une douce illufîon, & à fe pcrfuadcr que le goût & les talents de fon fiecle font fort au-defTus de ceux des fîecles précédents ; il applaudit donc avec fureur aux cabrioles de nos Danfeurs , & aux minauderies de nos Danfeufes. Je ne parle point de cette partie da D jo Lettres Public qui en eft l'amc & le rcfTort , de ces hommes fenfés qui, dégagés des pré- jugés de l'habitude , gémiflent de la dépravation du goût , qui écoutent avec tranquillité, qui regardent avec attention , qui pefent avant de ju- ger , & qui n'appîaudiflent jamais que lorfque les chofes les remuent , les affectent & les tranfportent ; ces battements de mains prodigués au ha- zard ou fans ménagement perdent fouvent les jeunes gens qui fe livrent au Théâtre. Les applaudiflemcnts font les aliments des Arts, je le fais, mais ils cefient d'être falutaires , s'ils ne font diftribués à propos : une nour- riture trop forte , loin de former le tempérament , le dérange & l'affoi- blit y les commençants au Théâtre font l'image des enfants qu'un amout Sur la Danse. ;i trop aveugle & trop tendre perd fans reflburce. On apperçoit les défauts & les imperfections , à mefurc que l'illuflon s'efface & que l'enthoufiafme ces coëfFurcs gigantefques , qui font » perdre à la tête les juftes proportions Div ■ 55 Lettres » qu'elle doit avoir avec le corps: fe- ncouezl'ufage de ces paniers roides & Mguindés qui privent l'exécution de Tes » charmes , qui défigurent l'élégance »des attitudes, & qui effacent la beauté »dcs contours que le bufte doit avoir M dans Tes différentes pofitions. » Renoncez à cette imitation fervile »qui ramené infenfiblemcnt l'Art à fon >♦ berceau ; voyez tout ce qui cft rc- »latif à votre talent ; foyez original ; wfaites-vous un genre neuf d'après les » études que vous aurez faites : co- upiez , mais ne copiez que la na- ture; c'eft un beau modèle , il n'é- » gara jamais ceux qui l'ont exactement » fui vie. »Et vous jeunes gens , qui voulez wvous mêler défaire des Ballets ,& qui h croyez que pour y réufïïr, il ne s'agit - Sur ia Danse. $7 «que d'avoir figuré deux ans fous un » homme de génie, commencez par en » avoir. Sans feu, fans efprit , fans » imagination, fans goût & fans con- Mnoiflance, ofez - vous vous flatter » d'être Peintres ? Vous voulez compofer «d'après l'Hiftoire, & vous l'ignorez 5 • » d'après les Poètes, & vous ne les «connoiflez pas : appliquez - vous à «les étudier i que vos Ballets foient des «Poèmes j apprenez l'Art d'en faire «un beau choix. N'entreprenez ja- «mais de traiter de grands defïèins , »fans en avoir fait un Plan raifonnéf » jettez vos idées fur h papier , relifez- » les cent fois \ divifez votre Drame par » Scènes ; que chacune d'elles foit »intére(Tante, & conduife fuccefïïve- «ment fans embarras , fans inutilité «à un dénouement heureux > évitez < ;8 Lettres? «foigneufement les longueurs j elles «refroidirent l'action , & en ra'cn- «tiflTent la marche: fongez que les Ta* «bleaux. ôc les /îtuations font les plus » beaux moments de la composition: » Faites danfei vos figurants & vos fîqu- »rantes,maisqu':lsparîcnt& qu'ils peig* wnent en danfant ; qu'ils foient Pan* «tomimes * & que les pallions les «rriétamorphofent à chaque inftanr. >t Si leurs geftes Se leurs physionomies «font fans celle d'accord avec leur «ame * l'expreffion qui en réfultcra* «fera celle du fentimenc, & vivifiera' «votre ouvrage. N'allez jamais à la «répétition la tête pleine de figures èV «vuide de bon fens ; foyez pénétrés de » votre fujet * l'imagination vivement «frappée de l'objet que vous Voudrez «peindre vous fournira Ici traits * \ S vu. u Danse. jj »les couleurs & les pinceaux. Vos » Tableaux auront du feu , de l'éner- »gie;ils feront pleins de vérité, lorfque » vous ferez affectés & remplis de vos m modèles. Portez l'amour de votre Art »jufqu'à l'enthôunafmc. On ne réuflit » dans les compositions théâtrales qu'au- »tant que le cœur eft agité ; que l'ame »eft vivement émue i que l'imagina- » tion eft embrafée ; que les partions wtonnent , & que le génie éclaire. » Etes - vous tiedes , au contraire ; » votre fang circule-t-il paisiblement wdans vos veines j votre cccurcft-ildc » glace; votre ame eft-elle infcnfible? » renoncez au Théâtre ; abandonnez »un Art qui n'eft pas fait pour vous. » Livrez-vous à un métier où les mou- »vememsde l'ame foienr moins nécef- » faires que les mouvements des bras , 6o "Lbttrii »& où le génie aie moins à opérer que »les mains. » Ces avis donnés & fuivis , Monfieur, délivreroient Ja Sccne d'une quantité innombrable de mauvais Danfcurs, de mauvais Maîtres de Ballets , & enrichi- i voient les forges & les boutiques des artifans d'un très-grand nombre d'ou- vriers , plus utiles aux- befoins de la Société, qu'ils ne l'étoient à Tes amu- fements & à Tes plaifirs. Jtfuis, &c. Sur t a D anse. 61 LETTRES j x Our vous convaincre, Monfieur,. de la difficulté qu'il y a d'exceller dans notre Art , je vais vous faire l'efquiue des connoifTanccs que nous devrions avoir , connoiflanecs, qui toutes indif- penfables qu'elles font, ne caraétéri-, fenc cependant pas diitindtcment le Maître de Ballets j car on pourroit les pofleder, fans être capable de compofcr : le moindre Tableau , de créer le moin- dre grouppe, & d'imaginer la moindre £tuation. A en juger par la quantité prodigieufe . des Maîtres en ce genre qui fe trouvent: répandus dans l'Europe , on feroit tenté «le croire que cet Art eft aufll facile. 6l L £ T T K 1 S qu'il cft agréable ; mais ce qui prou- ve clairement qu'il eft mal-aifc d'y réufTir,& de le porter à la perfection, c'eft que ce titre de Maître de Ballets, fi légèrement ufurpé , n'eft que trop rarement mérité. Nul d'entr'eux ne peut exceller, s'il n'eft véritablement favorifé par la nature. De quoi peut-on être capable fans le fecours du génie , de l'imagination & du goût ? Comment furmonter les obftaclcs, applanir les difficultés, & franchir les bornes de la médiocrité, fi l'on n'a reçu en partage le germe de fon Art ; fi l'on n'eft enfin . doué de toutes les qualités & de tous les talents que l'étude ne donne point; qui ne peuvent s'acquérir par l'habi- tude, & qui innés dans le grand Ar- tifte , font les forces qui lui prêtent des ailes , & qui l'élevent d'un vol rapide t^*^ fe Svji la Danse. C\ au plus haut point de perfection , & au plus haut degré de gloire. Si vous confultez Lucien , vous ap* prendrez de lui , Monfieur , toutes les qualités qui diftinguent & qui caracté- rifent le grand Maître de Ballets , & vous verrez que l'Hiftoire , la Fable , les Poëmes de l'antiquité & la Science des temps exigent toute Ton applica- tion. Ce n'eft en effet que d'après d'exactes connoifTances dans toutes ces parties que nous pouvons efpcrer de réufïir dans nos comportions. Réu«« niflons le génie du Poëre & le génie du Peintre < puifque notre Art n'em- prunte fes charmes que de l'imitation parfaite des objets. Une teinture de Géométrie ne peut ccre en«ore que très-avantageufe : elle répandra de la netteté dans les figures , têt Lettres de la jufteiTe dans les combinaifons , de la précifion dans les formes. En abré- geant les longueurs, elle prêtera du feu à l'exécution ; le goût fe chargera de l'élégance, le génie enfantera la variété, & l'cfprit conduira la diftribution. Le Ballet cft une efpece de machine, plus ou moins compliquée, dont les différents effets ne frappent 6V ne fur- prennent qu'autant qu'ils font prompts & multipliés. Ces liaifons Cv ces fuites de figures ; ces mouvements qui fe fuc- cédent avec rapidité ; ces formes qui tournent dans des fens contraires ; ce mélange d'enchaînements y cet enfem- ble Se cette harmonie qui régnent dans les temps , & dans les développements : tout ne vous peint-il pas l'image d'une machine ingénieufement conftruite ? Les Ballets , au contraire , qui traînent après Sur ia Danse, 6y après eux le défordre & la confufion , dont la marche eft inégale , dont les. Figures font brouillées, ne relTemblent-. îls pas à ces Ouvrages de méchanique mal combinés, qui chargés d'une quan- tité immenfe de roues & de reiïbrts , trompent l'attente de l'Artiite & l'efpé- rance du Public , parce qu'ils pèchent également par les proportions & la jufteflè î Nos productions tiennent fouvent encore du merveilleux. Plufieurs d'en- tr'elles exigent des machines : il eft , par exemple, peu de fujets dans Ovide, que l'on puifïe rendre, fans y afïbcier les changements , les vols , les méta- morphofes , &c. Il faut donc qu'un Maître de Ballets renonce aux Sujets de ce genre , s'il n'eft machinifte lui- même. On ne trouve malheureufement E &6 LETTfcl* en Province, que des manœuvres ou des garçons de Théâtre, que la protection comique élevé par degré à ce grade > leurs talents conûitcnt & fe renferment dans la feience de lever les luflrcs qu'ils ont mouchés long -temps, ou dan $ celle de faire defeendre par façades une gloire mal équipée. Les Théâtres d'Ita- lie ne brillent point par les machines ; ceux de l'Allemagne, conftruits fur Jes mêmes plans, font également privés de cetee partie enchantereflè du Specta- cle j enforte qu'un Maître de Ballets fe trouve fort embarrafle dans ces Théâtres, s'il n'a quelque connoiffance du méchanifme ; s'il ne peut développer fes idées avec clarté , & conilruirc à cet effet de petits modèles, qui fervent tou- jours plus à l'intelligence des ouvriers, que tous les difeour* , quelque clairs Sur ia Dans f. 6? ôc quelque précis qu'ils puiflcnt être, . Les Théâtres de Paris & de Londres, , fpnt ceux ou l'on trouve dans ce genre les plus grandes reflburces. Les Anglois font ingénieux i leurs machines de- Théâtre font plus Amplifiées que le* nôtres , aufïï les effets en font-ils aufïi prompts que fubtils. Chez eux tous les Ouvrages qui concernent la manoeuvre, font d'un fini & d'une délicateflè admi- rables > cette propreté , ce foin & cette exactitude qu'ils emploient dans les plus petites parties , peuvent contribuer, fans doute à la vîtefle & à la précifîon. C'eft principalement dans leurs ^anto«? mimes, genre trivial, fans goût , fans intérêt, & d'une intrigue baffe, que les chefs-d'œuvres du méçhanifme fe dé- ploient. On peut (impie, facile, qui tend à ne jamais rien exiger du cheval, que dans des temps juftes, naturels & pofïîbles ; temps qui font les feuls où l'exécution n'eft point pénible à l'animal , & où il ne fauroit fe fouftraire à l'obéiiîance. Le Peintre n'étudie point auflî l'A- natomie pour peindre des Squelettes ; il ne defïine point d'après l'Ecorché de Michcl-Angt pour placer ces Figures hideufesdans Ces Tableaux; cependant ces études lui font abfoiument utiles pour rendre l'homme dans fes propor- tions , & pour le deflmer dans fes mouvements & dans fes attitudes. . Si le nud doit fe faire fentir fous la d-raperic ,il faut encore que les os fe Eiv -yi " Lettres' falîènt fentir fous les chairs. Ilefteflen- tiel de difcemer la place que chaque partie doit occuper: l'homme enfin doit fe trouver fous la draperie ; l'écorché fous la peau ; & le fquélcttc fous les chairs , pour que la Figure foit deffinée dans la vérité de la nature , & dans les proportions rationnées de l'Art. Le Dcfleincft trop utile aux Ballets, •pour que ceux qui les compofent , ne s'y attachent pasfericufement.il contri- buera à l'agrément des formes \ il répan- dra de la nouveauté & de l'élégance dans les Figures, de la volupté dans les grouppes, des grâces dans les pofi- tions du corps, delà précifion & de la juftefle dans les attitudes, & la Danfe femera en quelque façon des fleurs fur les chemins que le goût lui tracera. ; Néglige-t-onle Deifeinîon commet des Sur la Danse. 7) fautes groflîeres dans la compo/îtion. Les têtes ne fe trouvent plus placées agréablement , & contraftent mal avec les effacements du corps ; les bras ne font plus pofés dans des iîtuations ai- fées ; tout eft lourd , tout annonce la peine , tout eft privé d'enfemble & d'harmonie. Le Maître de Ballets qui ignorera la mu fique , phrafera mal les airs; il n'en faifira pas l'efprit & le caractère j il n'ajuftera pas les mouvements de la Danfe à ceux de la mefurc avec cette précifion & cette fînefle d'oreille, qui font abfolument néceflaires , à moins qu'il ne foit doué de cette fenfibilité d'organe , que la nature donne plus communément que l'Art, Se qui eft fort au-defius de celle que l'on peut acquérir par l'application & l'exercice. 74 Lettres Le bon choix des airs eft une partie auflG cflcnticlle à la Danfe, que le choix des mots Se le tour des phrafes l'eft à l'éloquence. Ce font les mouve- ments Se les traits de la mufique qui fixent & déterminent tous ceux du dan- jfeur. Le chant des airs eft-il uniforme & fans goût ? le Ballet fc modèlera d'après lui ; il fera froid & LanguùTant. Par le rapport intime qui fc trouve entre la Mufique Se la Danfe , il n'eft pas douteux , Monficur , qu'un Maître de Ballets retirera des avantages cer- tains de la connoiffance pratique de cet Art j il pourra communiquer fes idées au Muficien , Se s'il joint le goût au favoir , il compofera fes airs lui- même, ou il fournira au Compofïteur les principaux traits qui doivent ca- ra&érifer fon a&ion j ces traits étanc > Sur ia Dans ï. 7 $ exprcflîfs & variés, la Danfe ne pourra ïnanquer de l'être à fontour. La MuH- mais on y trouve cependant certains traies frappants , certain air de rcilemblance , qui annonce leur union intime & le befoin qu'ils ont les uns des autres pour s/élever, pour Sir il t a Danse. 77 s'embellir , & pour fe perpétuer. De ce rapport des Arts , de cette harmonie qui règne entr'eux , il faut conclure , Monficur , que le Maître de Ballets , dont les connoiflanecs fe- ront le plus étendues , & qui aura le plus de génie & d'imagination , fera celui qui mettra le plus de feu , de vérité, d'efprit & d'intérêt dans fes compofitions. Je fuis, &c. ''• 7% Lettre? LETTRE VI. ^ I les Arts $'enrr*aident , Monfîcur ) s'ils offrent des fecours à la Danfe , U Nature femble s'empreflèr à lui en préfenter à chaque inftant de nou* veaux ; la Cour & le Village , les Eléments, les Saifons , tout concourt à lui fournir les moyens de fc variei & de plaire. Un Maître de Ballets doit donc tout voir , tout examiner , puifque tout ce qui exifte dans l'univers peut lui fervir de modelé. Que de Tableaux diversifiés ne trou- Vera-t-il pas chez les Artifans! Chacun d'eux a des attitudes différentes, rela- tivement aux pofïtions & aux mouve- ments que leurs travaux exigent. Cette Sur ia Danse. 79 allure, ce maintien, cette façon de fc * mouvoir , toujours analogue à leur, métier & toujours plaifante, doit être faifie par le Compofiteur j elle eft d'autant plus facile à imiter qu'elle cft ineffaçable chez les gens de métier % cuflent-ils même fait fortune & aban- donné leurs profefïîons j effets ordi- naires de l'habitude , lorfqu'elle efl: contractée par le temps, & fortifiée par les peines & les rravaux. Que de Tableaux bizarres & fîngu- liers ne trouvent - ils pas encore dans la multitude de ces oififs agréables , de ces petits Maîtres fubalternes qui font les finges , & les copies chargées des ridicules de ceux à qui Tâge , le nom, ou la fortune femblent donner des privilèges de frivolité , d'inconféquencc & de fatuité i 8o Lettres Les embarras des rues ; les prome- nades publiques ; les guinguettes ; les amufements & les travaux de la cam- pagne ; une noce villageoile j la chaffe -, la peche ; les moiffons j les vendanges; la manière ruftique d'arrofer une fleur , de la cueillir, de la préfenter à fa Ber- gère i de dénicher des oifeaux ; de jouer du chalumeau : tout lui offre des Ta- bleaux pittorcfques & variés , d'un genre &: d'un coloris différents. Un camp ; des évolutions militaires ; les exercices ; les attaques & les défaites des places ; un port de mer ; une rade ; un embarquement & un débarque- ment : voilà des images qui doivent attirer nos regards , & porter notre Art à fa perfection, fi l'exécution en cft .naturelle. Les chefs-d'eeuvres des Racine , des Corneille , Sur t a Daî*se. Si Corneille , des Foliaire , des Crebillon ne peuvent-ils pas encore fervir de modèle à la Danfe dans le genre no- ble ? ceux des Molière , des Regnard & de plufieurs Auteurs célèbres , ne nous préfentent-ils pas des Tableaux d'un genre moins élevé ? Je vois le Peuple danfant , fe récrier à cette pro- position j je l'entends qui me traite d'infenfé: mettre des Tragédies & desr Comédies en Danfe î quelle folie ! Y a- t-il de la poffibilité î oui fans doute : reflerrez l'action de l'Avare j retranchez de cette Pièce tout dialogue tranquille ; rapprochez les incidents ; réunifiez tous les Tableaux épars de ces Drames, & vous réufïîrez. Vous rendrez intelligiblement la Scène de la Basue ; celle où l'Avare fouille la Flèche, celle où Frofine l'entretient F Si Lettres de fa maîtreflè > vous peindrez le dé- fefpoir & la fureur d'Arpagon , avec des couleurs aufiî vives que celles que Molière a employées , fi toutefois vous avez une amc. Tout ce qui peut fervir à la Peinture, doit fervir a la Danfe ; que l'on me prouve que les Pièces des Auteurs que je viens de nommer font dépourvues de caractère, dénuées d'intérêt , privées de fitua- tions fortes, & que les Boucher & les Vanloo ne pourront jamais imaginer d'après ces.chefs-d'œuvres, que des Ta- bleaux froids & défagréables , alors je conviendrai que ce que j'ai avancé n'eft: qu'un paradoxe > mais s'il peut réfulrer de ces Pièces une multitude d'excellents Tableaux., j'ai gain de caufe ; ce n'eft plus ma faute fi les Peintres Panto- mimes, nous manquent , & fi le génie S itr la Danse. 8$ ne fraie point avec nos danfeurs. Batylt , Pilade , Hilas ne fuccéde- rent-ils pas aux Comédiens, lorfqu'ils furent bannis de Rome j ne commence- rent-ils pas à repréfenter en Pantomi- mes les Scènes des meilleures Pièces de ce temps ? Encouragés par leurs fuccès , ils tentèrent de jouer des Actes féparés , & la réuflîte de cette entreprife les détermina enfin à donner des Pièces entières qui furent reçues avec des applaudifïèments univerfcls. Mais ces Pièces, dira-t-on, étoient généralement connues ; elles fervoienr, pour ainfi dire, de Programmes aux Spectateurs , qui les ayant gravées dans la mémoire fuivoient Y Acteur fans peine, & le devinoient même avant qu'il s'ex-» Primât. N'aurons -nous pas les mêmes avantages , lorfque nous mettrons eu 84 , L B T T R ! J panfe les Draina les plus eftimés àc notre. Théâtre ? Serions - nous moins bien organifés que ks Danfcurs de Rome , & ce qui s'eft fait du temps à'Augff/k ne peut -il fç faire aujour- d'hui ? Ce fçroic avilir les hommes que de le penfer , & déprifer le goût & J'efprit de notre ficclc que de le croire. Revenons à mon fujet; il faut qu'un Maître de Ballets connoiflè les beautés &: les imperfections de la nature. Cette étude le déterminera toujours à en faire un beau choix ; ces peintures d'ailleurs, pouvant être tour-à-tour hiftoriques » poétiques , critiques , allégoriques & morales , il ne peut fe difpenfer de pren- dre des modèles dans tous les rangs , dans tous les états, dans toutes les con- ditions. A-t-il de la célébrité , il pourra par la magie & les charmes de fon Art, ; Sur la Danse. 8/ ainfi que le Peintre & le Poète, faire détefter & punir les vices, récompenfer & chérir les vertus. Si le Maître de Ballets doit étudier la nature , & en faire un beau choix -, Ci celui des fujets qu'il veut traiter en Danfc contribue en partie à la réufïîtc de Ton Ouvrage , ce n'eft qu'autant qu'il aura l'Art & le génie de les em- bellir , de les difpofer , & de les diftri- buer d'une manière noble & pitto- refque. Veut-il peindre , par exemple , la jaloufie & tous les mouvements de fureur & de défefpoir qui la fuivent> qu'il prenne pour modèle un homme dont la férocité & la brutalité naturelle foit corrigée par l'éducation ; un porte- faix feroit dans fon genre un modèle aufïi vrai; mais il ne feroit pas fi beau j F iij Stf Lettres Le b£tpn dans fes mains fuppléeroit au défaut d'e.xprelTîdn , & cette imitation , quoique prife dans la nature, révolter jro;c l'humanité, & ne traceroit que le Tableau choquant de fes imperfections. P'ailleurs l'a&ion d'un crocheteur ja* loux,fera moins pittorefque que celle d'un homme dont lesfentiments feront ilevés. Le premier fe vengera dans l'infime en faifant fentir le poids de fou bras } le fécond , au contraire , luttera contre les idées d'une vcht geance auflî baffe que déshonorante i ce combat intérieur de la fureur & de l'élévation de l'ame prêtera de la force & de l'énergie à fa démar^ che , à Ces geftes , à Ces attitudes , à fa phyfionomie, à Ces regards; tout carac- térifera fa pafllon , tout décèlera la fituation de fon cœur ; les efforts qu'il ^^P*^, Sur la Danse 87 fera fur lui - même pour modérer les mouvements dont il fera tourmente, ne ferviront qu'à les faire éclater avec plus de véhémence & de vivacité : plus la pafïion fera conrrainte , plus la cha- leur fera concentrée , & plus les étin- celles auront de feu. Tel un Volcan , dont la tranquillité n'eft qu'apparente , & dont le bruit fourd & confus n'annonce qu'un ra- vage prochain ; il mine & renverfe ce qui lui réfîfte ; il fe fraie des routes fou- terreines ; il perce leurs extrémités , il fe fait jour enfin , & Ces irruptions n'en font alors que plus funeftes & plus dangereufes. L'homme groiïîer & ruftique ne peut fournir au Peintre qu'un feul inftant ; celui qui fuit fa vengeance , eft tou- jours celui d'une joie balïè & triviale. F iv $3 Lettres L'homme bien né lui en préfente au contraire une multitude ; il exprime fa paflion & Ton trouble de cent ma- nières différentes , «M'exprime toujours avec autant de feu que de noblcfle. Que d'oppofitions & de contraires dans Tes geftes ! que de gradations & de dégradations dans Tes emportements j que de nuances &: de tranfitions diffé- rentes fur fa phyfionomie ! que de viva- cité dans Tes regards ! quelle expreflion , quelle énergie dans Ton filence ! L'inftant où il eft détrompé offre encore des Tableaux plus variés, plus féduifanrs, & d'un coloris plus tendre & plus agréa- ble. Ce font tous ces traits que le Maître de Ballets doit faifir; c'eft enfin l'amour du vrai , du grand & du fublime qui doit conduire fes crayons & déterminer fes pinceaux. K ~ . Sur la Danse. S9 Les Composteurs célèbres, ainfîque les Poètes & les Peintres illuftres fe dé- gradent toujours lorfqu'ils emploient leurs temps , & leur génie a des pro- ductions d'un genre bas & trivial. Les grands Hommes ne doivent créer que de grandes chofes , & ' abandonner toutes celles qui font puériles à ces êtres fubalternes, à ces demi-talents dont l'e- xiftence feroit abfolument ignorée, Ci l'on ne les voyoit ramper fervilement aux pieds des grands, Se encenfer les idoles de l'opulence. La nature ne nous offre pas toujours des modèles parfaits ; il faut donc avoir l'art de les corriger, de les placer dans des pofitions agréables, dans des jours avantageux, dans des fîtuations heu- reufes, qui dérobant aux yeux ce qu'ils ont de défectueux, leur prêtent encore f# Lettrii les grâces & ks charmes , qu'ils de- yroient avoir pour être vraiment beaux. Le difficile, comme je J'ai déjà dit, eft d'embellir la nature fans la défigu- rer s de favoir conferver tous Tes traits; d'avoir le talent de les adoucir, ou de leur donner de la force. L'inftant efc J'amc des Tableaux ; il eft mal-aifé de le faiiïr, encore plusmal-aifé de le rendre avec vérité. La nature ! la nature ! & nos Comportions feront belles ; renonçons à l'Art, s'il n'emprunte fes traits , s'il ne fe pare de fa fimplicitéjiln'eft: féduifant qu'autant qu'il fedéguife,& il ne triom- phe véritablement , que lorfqu'il eft méconnu , & qu'on le prend pour elle. Je crois, Monûeur , qu'un Maître de Ballets qui ne fait point parfaitement la Danfe, ne peut compofer que médio- crement. J'entends parDanfe le férieux ; y Sur la Danse. $l .il eft la bafc fondamentale^du Ballet. En ignore -r- on les principes ? on a peu de reflburce ; il faut dès-lors renon- cer au grand , abandonner l'Hiftoire , la Fable , les genres nationaux , & fe livrer uniquement à ces Ballets de Pay- fans , dont on eft: rebattu & ennuyé depuis Fojfan , cet excellent Danfeur comique , qui apporta en France la fureur de Sauter. Je compare la belle Danfe à une Merc-langue ; les genres mixtes & corrompus qui en dérivent, à ces Jargons que l'on entend à peine , & qui varient à proportion que l'on s'é- loigne de la Capitale où règne le lan- gage épuré. Le mélange des couleurs, leur dégra- dation & les effets qu'elles produifent à la lumière, doivent fixer encore l'at- tention du Maître de Ballets ; ce n'eft* ji Lettres que d'après l'expérience que je fuis con- vaincu du relief que cela donne aux Figures , de la netteté que cela répand dans les formes , & de l'élégance que .cela prête aux grouppes. J'ai fuivi Àms/es Jaloufus ou la Fctes du ferrait la dégradation des lumières que les Peintres obfervent dans leurs Tableaux ; les couleurs fortes & entières tenoient la première place , & formoient les par- ties avancées de celui - ci , les cou- leurs moins vives & moins éclatantes étoient employées enfuite. J'avois ré- fervé les couleurs tendres & vaporeufes pour les fonds j la même dégradation étoit obfervée encore dans les tailles : l'exécution fe relfentit de cette heureufe distribution ; tout étoit d'accord , tout étoit tranquille , rien ne fe heurtoit , rien ne fe détruifoit > cette harmonie Su k la Dansé. 9$ féduifit l'œil, & il embraflôit toutes les parties fans fe fatiguer j mon Ballet eut d'autant plus de fuccès que dans celui que j'ai intitulé le Ballet Chinois, & que je remis à Lyon * , le mauvais arrangement des couleurs & leur mé- lange choquant blefloit les yeux ; toutes les Figures papillotoient &paroifloient confufes , quoique deffinées correcte- ment j rien enfin ne faifoit l'effet qu'il auroit dû faire. Les habits tuèrent , pour ainfi dire l'ouvrage, parce qu'ils croient dans les mêmes teintes que la décoration : tout étoit riche , tout étoic brillant en couleurs , tout éclatoit avec la même prétention -, aucune partie n'étoit facrifiée, & cette égalité dans * Ce Ballet a été donné à Paris & à. Londres, avec des habits pleins de goût, de la compolltion dufieur Boqact , DdFuutem de l'Académie Royale de Mufique. 94 Lettres les objets privoit le Tableau de Ton effet , parce que rien n'étoit en oppofi- tion. L'oeil du Spectateur fatigué ne diftinguoit aucune forme ; cette multi- tude de Danfcurs qui traînoient après eux le brillant de X'Oriptau , & l'af- femblage bizarre des couleurs éblouif- foient les yeux fans les fatisfaire. La diftribution des habits étoit telle que l'homme cetToit de paroître dès l'inftant qu'il ce(foit de fe mouvoir \ cependant ce Ballet fut rendu avec toute la pré- cinon pofïîble. La beauté du Théâtre lui donnoic une élégance & une netteté qu'il ne pouvoit avoir à Paris , fur celui de M. Monnet ; mais, foitque les habits & la décoration n'aient pas été d'ac- cord , foit enfin que le genre que j'ai adopté l'emporte fur celui que j'ai quitté , je fuis obligé de convenir que Sur. là Danse. $j «le tous mes Ballets , c'eft celui qui a fait ici le moins- de fenfation. La dégradation dans Ici tailles & dans les couleurs des vêtements cfi: in- connue au Théâtre ; ce n'eft pas la feule partie que l'on y néglige , mais cette négligence ne me paroît pas excufablc dans de certaines circonftances , fur- tout à L'Opéra , Théâtre de la fiction ; Théâtre où la Peinture peut déployer tous fes tréfors > Théâtre qui fouvent dénué d'action forte & privée d'intérêt vif x doit être riche en Tableaux de tous les genres x ou du moins devroir l'être. Une décoration de quelque efpece qu'elle foit eft un grand Tableau pré- paré pour recevoir des Figures. Les Actrices '& les Acteurs,, les Danfeurs & les Danfeufes font les perfonnages qui doivent l'orner Se l'embellir > mais yG Littr.es pour que ce Tableau plaife & ne choque point la vue, il faut que de jufres propo- rtions brillent également dans les diffé- rentes parties qui le compofent. Si dans une décoration , repréfen- tant un Temple ou un Palais or & azur, les habillements des Acteurs font bleus & or , ils détruiront l'effet de la décoration , & la décoration à fon tour privera les habits de l'éclat qu'ils au- roienteu fur un fonds plus tranquille. Une telle difhïbution dans les couleurs éclipfera le Tableau ; le tout ne formera qu'un Camaïeux, genre froid & mo- notone , que les gens de goût regarde- ront toujours comme un enfant illégi- time de la Peinture. Les couleurs des draperies & des ha- billements doivent trancher fur la dé- coration -, je la compare à un beau fonds, "% Svk la Danse. $y fonds, s'il n'eft tranquille, s'il n'eft harmonieux , fi les couleurs en font trop vives & trop brillantes , il détruira le charme du Tableau. Il privera les Figures du relief qu'elles doivent avoir $ rien ne fe détachera , parce que rien ne fera ménagé avec Art , & le papillotage qui réfultera de la ^nauvaife entente des couleurs , ne préfentera qu'un pan- neau de découpures , enluminé fans goût & fans intelligence. Dans les décorations d'un beau fimple & peu varié de couleurs , les habits riches Se éclatants peuvent être admis , ainfi que tous ceux qui feront coupés par des couleurs vives ôc entières. Dans les décorations de goût & d'i- dée, comme Palais Chinois , Place publique de Conltantinople, ornés pour G 95 Lettres une Fête, genre bizarre qui ne Tournée ia compofition à aucune règle févere , qui laifîe un champ libre au génie , & dont le mérite augmente à proportion de la fingularité que le Peintre y ré- pand; dans ces fortes de décorations , dis-je, brillantes en couleurs, chargées d'étoffes, rehaufljfes d'or & d'argent, il faut des habits drapés dans le cojlu- me , mais il les faut fimples & dans des nuances entièrement oppofees à celles qui éclatent le plus dans la déco- ration. Si l'on n'obferve exactement cette règle, tout fe détruira faute d'om- bres &: d'oppofitions ; tout doit être d'accord, tout doit être harmonieux au Théâtre, lorfque la décoration fera faite pour les habits, & les habits pour la décoration , le charme de la repré- fentation fera complet. Su k la Danse, . <> t> < La dégradation des tailles ne doit pas être obfervée moins fcrupuleufemen* dans les inftants où la Danfe fait partie de la décoration. L'Olympe ou le Par- nafle font du nombre de ces morceaux , où le Ballet forme & compofe les trois quarts du Tableau , morceaux qui ne peuvent féduire & plaire Ci le Peintre & le Maître de Ballets ne font d'accord fur les proportions , la diftribution & les attitudes des perfonnages. Dans un Spectacle aufli riche en ref- fources que celui de notre Opéra, n'efi:- il pas choquant & ridicule de ne point trouver de dégradations dans les tailles, • lorfqu'on s'y attache & qu'on s'en occu- pe dans les morceaux de Peinture qui ne font qu'accefloires au Tableau ? Jupi- ter par exemple, au haut de l'Olympe, pu Apollon au fommet du Parnafle^, ne * ai) ioo Lettres devroicnt-ils pas paroîtrc plus' petits à raifon de l'éloignement que les Divi- nités & lesMufes qui étant au -deflous d'eux font plus rapproches du Specta- teur. Si pour faire illufion, le Peintre fe foumet aux règles de la perfpcdive, d'où vient que le Maître de Ballets qui eft Peintre lui-même , ou qui dc- vroit l'être , en fecoue le joug ? Com- ment les Tableaux plairont-ils, s'ils ne font vraifemblablcs , s'ils font fans proportion , ôc s'ils pèchent contre Jes règles que l'Art a puifé dans la na- ture par la comparaifon des objets ? C'eft dans les Tableaux fixes & tran- quilles de la Danfe que la dégradation doit avoir lieu ; elle eft moins impor- tante dans ceux qui varient & qui Ce forment en danfant. J'entends par Ta- bleau fixe tout ce qui fait grouppe dans Sur ia Danse. .101 l'éloignement j tout ce qui eft dépen- dant de la décoration, & qui d'accord avec elle , forme une grande machine bien entendue. Mais comment, me direz-vous, ob- ferver cette dégradation ? Si c'eft un Vejlris qui danfe Apollon , faudra-t-il priver le Ballet de cette reflburce , & facrifier tout le charme qu'il y répandra au charme d'un feul inftant ? Non, Monfieur , mais on prendra pour le Tableau tranquille un Apollon propor- tionné aux différentes parties de la .machine ; un jeune homme de quinze ans que l'on habillera de même que .le véritable Apollon ; il defeendra du Parnafle , & à l'aide des ailes de la dé- coration on Vefcamotera , pour ainfi dire , en fubftituant à fa place la taille .élégante & le talent fupérieur. . • Giij ïfci, L E* T R ï S- • Ccft par des épreuves réitérées que je fuis convaincu des effets admirable! que produifent les dégradations. Le premier cfTai que j'en fis , & qui me •réuffit, fut dans un Ballet de ChafTeurs ; & cette idée , peut-être neuve dans les Ballets , fut enfantée par l'impreffion que me fit une faute grofliere de M. Scrvandoni , faute d'inattention , & qui ne peut détruire le mérite de ce grand Peintre \ c'étoit , je crois , dans la repréfentation de la Forêt enchantée » Spectacle plein de beauté & tiré du Taffe. Un pont fort éloigné étoit placé à la droite du Théâtre ; un grand nombre de Cavaliers défiloient ; chacun d'eux -avoit l'air & la taille gigantefque & paroifTbit beaucoup plus grand que la totalité du Pont; les chevaux poftiches étoient plus petits que les Svk ia Danse. j«j hommes , & ces défauts de proportion choquèrent les yeux même les moins connoiffeurs. Ce Pont pouvoit avoir de juftes proportions avec la décora-, don , mais il n'en avoit pas. avec les objets vivants qui dévoient le pafïer : il falloit donc oulesfupprimer, ou leur en fubfKtuer de plus petits ; des enfants > par exemple , montés fur des chevaux modelés , proportionnés à leurs tailles , &au Pont , quidans cette circonftance étoitla partie qui devoit régler & dé- terminer le Décorateur , auroient pro- duit l'effet le plus féduifant Se le plus vrai. J'eflaiai donc dans une chaflè d'e- xécuter ce que j'avois defiré dans le Spectacle de M. Servandoni ; la déco- ration repréfentoit une Forée , dont les routes étoient parallèles au Spectateur. G iv i©4 Lettres Un Pont tcrminoit le Tableau , en laif- fant voir derrière lui un Payfage fort éloigné. J'avois divifé cette entrée en fix claifes toutes dégradées ; chaque clafle étoit compofée de trois Chaflcurs & de trois Chafferefles > ce qui formoit en tout le nombre de trente-fix Figurants ou Figurantes ; les tailles de la première clafle traverfoient la route la plusproche du Spectateur - y celles de la féconde les remplaçoient en parcourant la route fuivante j & celles de la troiflcmc leur fuccédoient en paffant a leur tour fous la troisième route, ainfï du refte , jus- qu'à ce qu'enfin la dernière clafle com- pofée de petits enfants termina cette courfe en paflant fur le Pont. La dé- gradation écoit Ci correctement obfer- vée que l'œil s'y trompoit ; ce qui n'é- toit qu'un effet de l'Art &: des propor-» Sur l'A Danse. 10/ tîons, avoit l'air le plus vrai & le plus naturel } la fiction étoit telle , que le Public n'attribuoit cette dégradation qu'à l'éloignement des objets , & qu'il s'imaginoit que c'étoit toujours les mêmes Chafleurs & les mêmes Chaflè- reflès qui parcouroient les différents- chemins de la forêt. La mufique avoit la même dégra dation dans fes fons, & devenoit plus douce, à mefure que la chaffe s'enfonçoit dans la forêt , qui étoit vafte & peinte de bon goût. Voilà , Monfieur , l'illufion que pro- duit le Théâtre, lorfque toutes les par- ties en font d'accord , & que les artiftes prennent la nature pour leur guide & leur modèle. Je crois que j'aurai à peu près rempli l'objet que je me fuis propofé dans cette Lettre , en vous faifant faire; *o6 Lettres encore une obfervation fur l'entente des couleurs. Les Jaloufies ou les Feus du ferrait vous ont offert l'efquifTe de la diftribution qui doit régner clans les quadrilles des Ballets, mais comme il eftplus ordinaire d'habiller les Danfeurs & les Danfeufes uniformément , j'ai Fait une épreuve qui m'a réufïi, &qui ôte à l'uniformité des habits le ton dur & monotone qu'ils ont ordinairement ; c'eft la dégradation exaéte de la même couleur divifée dans toutes les nuan- ces, depuis le bleu foncé jufqu'au bleu le plus tendre ; depuis le rofe vif juf- qu'au rofe pâle; depuis le violet ju£ qu'au lilas clair : cette diflribution d onne du vafte & de la netteté aux Figures j tout fe détache & fuit dans de juftes propor- tions ; tout enfin a du relief & fe décou- pe agréablement de defliis les fonds. . Sur la Danse. 107 Si dans une décoration repréfentant «ne entrée de l'Enfer, le Maître de Ballets veut que la levée du rideau laide voir & ce lieu terrible & les tour- ments des Danaïdcs , des Ixion , des Tcntale , des Syfyphc , & les différents emplois des Divinités infernales ; s'il veut enfin offrir au premier coup d'oeil un Tableau mouvant & effrayant des fupplices des Enfers, comment réuflîra- t-il dans cette compofition momenta- née, s'il n'a l'Art de fa voir diftribuer les objets & de les ranger dans la place que chacun d'eux doit occuper j s'il n'a le ta- lent de faifir l'idée première du Peintre , & de fubordonner toutes les fiennes au fonds que celui-ci lui a préparé ? Cefon t des rochers obfcurs & lumineux , des parties éteintes, & des parties brillantes defeu y c'eftune horreur bien entendue, io8 Lettres qui doit régner dans le Tableau ; tout doit être affreux , tout enfin doit affi- cher le lieu de la Scène , & annoncer les tourments Se les douleurs de ceux qui la rempliflent. Les habitants des Enfers , tels qu'on les reprefente au Théâtre, font vécus de toutes les cou- leurs qui compofent les flammes ; tantôt le fond de leur habit eft noir , tantôt il cft ponceau, ou couleur de feu ; ils empruntent enfin toutes les teintes qui font employées dans la décoration. L'attention que doit avoir le Maitre de Ballets, c'eft de placer fur les parties obfeures de la décoration les habits les plus clairs &: les plus brillants, & de diflribuer fur toutes les mafles de clair les habits les plus fombres & les moins éclatants ■> de ce bon arrange- ment naîtra l'harmonie ; la décoration Sur. la Danse. i©$ fcrvira, fi j'ofe m'exprimer ainfi, de rcpoujfoir au Ballet $ celui-ci à fou tour augmentera le charme de la Pein- ture, & lui prêtera toutes les forces capables de féduire , d'émouvoir & de faire illufion au Spectateur. Je fuis y &c. LETTRE FIL V^/ U e dîtes-vous , Moniteur , de tous les titres dont on décore tous les jours ces mauvais divertifïèments deftinés en quelque façon à l'ennui , & que fuivent toujours le froid & la mélan- colie^- on les nomme tous Ballets Pan- tomimes , quoique dans le fond, ils ne îiifent rien. La plupart des Danfeurs no Lettres ou des Compofîteurs dcvroient adopter l'ufage que les Peintres fuivoient dans lesfîecles d'ignorance} ils fubftituoient à la place du mafque des rouleaux de papier qui fortoient de la bouche des perfonnages,& fur cesrouleaux l'action, l'exprefïîon & la fîtuation que chacun d'eux devoit rendre étoient écrites. Cette précaution utile qui mettoit le Spectateur au fait de l'idée Se de l'exé- cution imparfaite du Peintre, l'inftrui- roit aujourd'hui de la fignification des mouvements méchaniques & indéter- minés de nos Pantomimes. Le dialogue fpirituel des pas de deux ; les réflexions agréables des entrées feuls , & les con- ventions xaifonnées des Figurants & x des Figurantes de nos jours feroient bientôt expliqués. Un bouquet , un râ- teau , une cage , une vielle , ou une S tr r ia Danse. iii "guittarej voilà à peu près ce qui four- nit l'intrigue de nos fuperbes Ballets } voilà les fujets grands 6c vaftes qui naiflènt des efforts de l'imagination de nos Compofiteurs. Avouez, Monfieur, qu'il faut avoir un talent bien éminent Se bien fupérieur pour les traiter avec quelque diftin&ion. Un petit pas tri- coté mal adroitement fur le coup de pied , fert d'expofition , de nœud & de dénouement à ces chefs-d'œuvres ; cela Teut dire , voulez - vous danfèr avec moi? & l'on danfe ; ce font là les dra- mes ingénieux dont on nous repaît ; c'eft ce qu'on nomme des Ballets d'in- vention, de la Danfe Pantomime; mais laifïons-en ramper paisiblement les Auteurs ; les ailes font des ornements «Étrangers & des inftruments inutiles pour quiconque ne peut devoir fon iio Lettres ou des Compofiteurs dcvroient adopter l'ufage que les Peintres fuivoient dans les/îecles d'ignorance} ilsfubftituoient à la place du mafque des rouleaux de papier qui fortoient de la bouche des perfonnr.ges,&: fur ces rouleaux l'action, l'exprefTion & la îituarion que chacun d'eux devoir rendre croient écrites. Cette précaution utile qui mettoit le Spectateur au fait de l'idée 6c de l'exé- cution imparfaite du Peintre, l'inftrui- roit aujourd'hui de la lignification des- mouvements méchaniques & indéter- minés de nos Pantomimes. Le dialogue fpirituel des pas de deux ; les réflexions agréables des entrées feuls , & les con- ventions xaifonnées des Figurants & des Figurantes de nos jours feroient bientôt expliqués. Un bouquet, un râ- teau, une cage, une vielle, ou une Sur la Danse. .113 grimace à contre-fens , enfin lorfque l'action qui devoit être accompagnée & foutenue par la grâce eft une fuite d'efforts répétés , d'autant plus défa- gréablcs pour le Spectateur qu'il fouf- fre lui-même du travail pénible & forcé de l'exécutant. Tel eft cependant , Monfieur , le genre dont le Théâtre eft en poffefïion j & il faut convenir que nous fommes riches en fujets de cette efpece. Cette fureur d'imiter ce qui n'eft pas imitable , fait &c fera la perts d'un nombre infini de Danfeurs & de Maîtres de Ballets. La parfaite imita- tion, demande que l'on ait en foi le même goût , les mêmes difpofitions , la même conformation , la même intel- ligence » & les mêmes organes de l'ori- ginal que l'on fe propofe d'imiter ; or comme il eft rare de trouver deux H 1 14 Lettres êtres également refTcmblants en tout , il eft auffi rare de trouver deux hom- mes dont les talents, le genre & la manière foient exactement femblables. Le mélange que les Danfeurs ont fait de la cabriole avec la belle Danfe a altéré Ton caractère & déerrade fa no- bleflej c'eft un alliage qui diminue fa valeur Se qui s'oppofe , ainfi que je le prouverai dans la fuite , à l'expreffion vive & à l'action animée qu'elle pour- roit avoir , fi elle fe dégageoit de toutes les inutilités qu'elle met au nombre de fes perfections. Ce n'eft pas d'aujour- d'hui que l'on donne le titre de Ballet à des Danfes figurées que l'on ne de- vroit appeller que du nom de divertif- fement ; on prodigua jadis ce titre à toutes les fêtes éclatantes qui fe don- nèrent dans les différentes Cours de Svx. la Dans s. uj l'Europe. L'examen que j'ai fait de touces ces fêtes me perfuade que l'on a eu tort de le leur accorder. Je n'y ai jamais vu la Danfe en action ; les grands récits étoient mis en ufage au défaut de l'ex- preffion des Danfeurs , pour avertir le Spectateur de ce qu'on alloit repré- Tenter ; preuve très - claire & très-conr vaincante de leur ignorance , ainfi que du filence & de l'inefficacité de leurs mouvements. Dès le troi/ieme lîecle on commcnçoit à s'appercevoir de la monotonie de cet Art , & de la négligen- ce des Artifles ; St. Auguftin lui-même , en parlant des Ballets , dit qu'on étoit obligé de placer fur le bord de la Scène un homme qui expliquoit à haute voix l'action qu'on alloit peindre. Sous le règne de Louis XIV, les récits , les dialogues & les monologues ne fer- Hij • ït6 Lettres voient-ils pas également d'interprètes 1 la Danfe ? Elle ne faifoit que bégayer. Ses Tons foibles &: inarticulés avoienc bcfoin d'être foutenus par la Mufiquc & d'être expliqués par la Poéfîe , ce qui équivaut fans doute à l'efpecc de Héros d'Armes du Théâtre , au Crieur pu- blic dont je viens de vous parler. Il eft en vérité bien étonnant , Monfieur , que l'époque glorieufc du triomphe des beaux Arts, de l'émulation de des progièsdes Art.ftes, n'ait point été celle d'une révolution dans la Danfe &: dans les Ballets ; & que nos Maîtres , non moins encouragés & non moins excités alors par les fuccès qu'ils pouvoient fe promettre dans un ficelé où tout fem- blo:t élever &' féconder le génie , foienr. demeurés dans la langueur & dans une honteufe médiocrité. Vous favez que le Sur la Danse. 117 langage de la Peinture, de la Poéfie & de la Sculpture, étoit déjà celui de l'élo- quence & de l'énergie. La Mufîque , quoiqu'encore au berceau , commençoit à s'exprimer avec nobleftè ; cependant la Danfe étoit fans vie , fans caractère & fans action. Si le Ballet eft le frère aîné des autres Arts , ce n'eft qu'autant qu'il en réunira les perfections ; mais on ne fauroit lui déférer ce titre glorieux dans l'état pitoyable où il fe trouve , & con- venez avec moi , Monfîeur, que ce frère aîné fait pour plaire , eft un fujet déplorable , fans goût , fans efprit , fans imagination , 8c qui mérite à tous égards l'indifférence Se le mépris de fes feeurs. Nous connoiflbns parfaitement le nom des hommes illuftres qui fe font diftingués alors, nous n'ignorons pas meme ceux des Sauteurs, qui brilloient Hiij 1 1 8 Lettres par leur foupLefTe & leur agilité, & nous n'avons qu'une idée très-impar- faite du nom de ceux qui compofoient les Ballets ; quelle fera donc celle que nous nous formerons de leurs talents ? Je confidere toutes les productions de ce genre dans les différentes Cours de l'Europe , comme des ombres incom- plètes de ce qu'elles font aujourd'hui & de ce qu'elles pourront être un jour ; j'imagine que c'eft à tort que l'on a don- né ce nom à des Spectacles fomptueux , à des Fêtes éclatantes qui réunilToienc tout à la fois la magnificence des dé- corations , le merveilleux des machi- nes , la richeffe des vêtements , la pompe du cojîume , les charmes de la Poéfie, de la Mufique & de la Décla- mation , le féduifant des voix , le bril- lant de l'artifice & de l'illumination , Vv Su k la Danse. 119 l'agrément delà Danfe & des Ballets, ramufement des Sauts périlleux & des tours de force : toutes ces parties déta- chées forment autant de Spectacles différents } ces mêmes parties réunies en compofent un digne des plus grands Rois. Ces Fêtes étoient d'autant plus agréables qu'elles étoient diverflfiées ; que chaque Spectateur pouvoir y fa- vourer ce qui éroit relatif à fon goût & à fon génie ; mais je ne vois pas dans tout cela ce que je dois trouver dans le Ballet. Dégagé des préjugés de mon état, & de toutcnthoufiafme, je confi- dere ce Spectacle compliqué comme celui de la variété & de la magnifî- cence , ou comme la réunion intime des Arts aimables ; ils y tiennent tous un rang égal ; ils ont dans les Program- mes les mêmes prétentions ; je ne Hiv lio Lettres conçois pas néanmoins comment la Danfepeut donner un titre à cesdiver- tilTements, puifqu'clle n'y eft point en action , qu'elle n'y dit rien , & qu'elle n'a nulle tranfccndancc fur les autres Arts qui concourent unanimement &: de concert aux charmes , à l'élégance & au merveilleux de Tes repréfentations. Le Ballet eft , fuivant Plutarquc , une conversation muette, une peinture parlante &: animée qui exprime par les mouvements , les figures & les geftes. Ces figures font fans nombre, dit cet Auteur, parce qu'il y a une infinité de chofes que le Ballet peut exprimer. Phrynîcus , l'un des plus anciens Au- teurs tragiques , dit que le Ballet lui fournifToit autant de traits «Se de figures différentes que la Mer a de flots aux grandes marées d'hiver, Sxtr la Danse, m Conféquemment un Ballet bien fait peut Te paflcr aifément du fecours des paroles ; j'ai même remarqué qu'elles rcfroidifïbicnt l'action, qu'elles afToi- bliflbicnt l'intérêt. Je ne fais aucun cas d'un fujct Pantomime qui pour fe faire entendre , a recours au récit ou au dialogue. Tout Ballet qui dénué d'intrigue , d'action vive 8c d'intérêt , ne me déploie que les beautés mécha- niques de l'Art , 8c qui décoré d'un titre ne m'offre rien d'intelligible , ref- femblc à ces Portraits 8c à ces Tableaux que les premiers Peintres firent, au bas defquels ils étoient obligés d'écrire le nom des perfonnages qu'ils avoient voulu peindre, 8c l'action qu'ils dé- voient repréfenter ; tant l'imitation étoit imparfaite , le fentiment foible- Bïcnt exprime, la paflion mal rendue, 111 L E T T R I S le deflèin peu correct , & le coloris peu vraiferriblable. Lorfque les Danfeurs animés par le fentiment, fe transforme- ront fous mille formes différentes avec les traits variés des paffions; lorfqu'ils feront des prothées , 6v que leur phy- sionomie oc leurs regards traceront tous les mouvements de leur amc; lorfque leurs bras forciront de ce chemin étroit que l'école leur a preferit i & que par- courant avec autant de grâce que de vérité un efpace plus confidcrable , ils décriront par des polirions jufles les mouvements fucceffifs des palTionsi lorfqu'enfin ils afTocieront l'efprit & le génie à leur Art ; ils fe diftingueront ; les récits dès-lors deviendront inutiles i tout c -lera , chaque mouvement dictera une phrafe j chaque attitude peindra une fituation -, chaque gefte dévoilera S V R U'DanJ!. I1J une penfée } chaque regard annoncera un nouveau fentiment ; tout fera fédui- fant parce que tout fera vrai , & que l'imitation fera prife dans la nature. Si je refufe le titre de Ballet à toutes ces Fêtes ; Ci la plupart des Danfes de l'Opéra , quelques agréables qu'elles me paroiflent, ne Te préfentent pas «à mes yeux avec les traits diftingués du Ballet , c'eft: moins la faute du célèbre Maître qui les compofe, que' celle des Poètes. Le Ballet , dans Quelque genre qu'il foit j doit avoir , fuivant Arijlote , ainfi que la Poéfie deux parties différentes qu'il nomme partit de qualité 8c partie de quantité. Il n'y a rien de fenfible qui n'ait fa matière , fa forme & fa figure > conféquemment le Ballet ccfTe d'exifter s'il ne renferme ces parties eflentielles i*4 Lettres qui caractérifc nt , & qui désignent tous les êtres tant animés qu'inanimés. Sa matière cft le fujet que l'on veutrepré- fenter; fa forme cft le tour ingénieux qu'on lui donne ; & fa figure fe prend des différentes parties qui le compofent. la forme conftitue donc les parties de qualité y & l'étendue, celles de quantité; voilà, comme vous voyez, les Ballets fubordonnés en quelque forte aux rè- gles de la Poche ; cependant ils diffé- rent des TragéJies & des Comédies en ce qu'ils ne font point aflujcttis à l'u- nité de lieu , à l'unité de temps & à l'unité d'action j mais ils exigent abfo- lumentune unité de dcfTem , afin que toutes les Scènes fe rapprochent & aboutiflent au même but. Le Ballet cft donc le frère du Poème ; il ne peut fouffrir la contrainte des relies étroites ; Sur la' Dan». iij du Drame j ces entraves que le génie s'impofe, qui rétrécirent l'efprit, qu* reflèrrent l'imagination , anéantiraient totalement la compofition du Ballet & le priveroient de cette variété qui en eft: le charme. Il feroit avantageux , Monfieur, aux Auteurs de fecouer le joug & de quitter la gène. Ci toutefois ils avoient la fa- gefle de ne pas abufer de la liberté, ÔC d'éviter les pièges qu'elle tend à l'ima- gination ; pièges dangereux dont les Poètes Anglois les plus célèbres n'ont pas eu la force de Ce garantir. Cette différence du poëme au Drame ne con- clut rien contre ce que je vous ai dit dans mes autres Lettres ; puifque ces deux genres de Poéile doivent égale- ment avoir une expolîtion, un nœud & un dénouement. n6 Lettres En rapprochant toutes mes idées } en réuni/Tant ce que les Anciens ont dit des Ballets ; en ouvrant les yeux fur mon Art; en examinant fes difficultés; en confidérant ce qu'il fut jadis, ce qu'il eft aujourd'hui & ce qu'il peut être Ci l'efprit vient à Ton aide, je ne puis m'aveugler au point de convenir que la Danfe fans action , fans règle, fans cfprit & fans intérêt , forme un Ballet ou un Poème en Danfe. Dire qu'il n'y a point de Ballets à l'Opéra , feroit une faufleté. L'Acte des Fleurs j l'Acte d'Eglc dans les Talents Lyriques ; le Prologue des Fêtes Grecques & Romai- nes ; l'Acte Turc de l'Europe galante ; un Actcentr'autres de Cajîor & Poltux, & quantité d'autres , où la danfe eft , ou peut être mife en action avec facilité & fans effort de génie de la part du Svk la Danse. 117 Compofiteur,' m'offrent véritablement des Ballets agréables & très - intérêt fants i mais les Danfes figurées qui ne difent rien j qui ne préfentent aucun fujet ; qui ne portent aucun caractère ; qui ne me tracent point une intrigue fuivie & raifonnée ; qui ne font point partie du Drame & qui tombent, pour ainfi parler, des nues , ne font à mon fens , comme je l'ai déjà dit , que de fimples divertiffements de Danfe , &C qui ne me déploient que les mouve- ments compafles des difficultés mécha- niques de l'Art. Tout cela n'eft: que de la matière, c'eft de l'or pur, fi vous vou- lez , mais dont la valeur fera toujours bornée, û l'efprit ne le met pas en œu- vre & ne lui prête mille formes nou- velles. La main habile d'un Artifte cé- lèbre peut attacher un prix ineftimable nS Lettres aux chofes les plus viles, &dgnner d'un trait hardi à l'argile la moins précieufc le fceau de l'immortalité. Concluons, Monfïeur, qu'il eft véri- tablement peu de Ballets raifonnés; que la Danic cft une belle ftatue agréable- ment defïmée; qu'elle brille également par les contours, les polirions gracieu- fes, la nobleflè de Tes attitudes ; mais qu'il lui manque une ame. Les connoif- feurs la regardent avec les mêmes yeux que Pigmalion lorfqu'il contemploit fon Ouvrage ; ils font les mêmes vaux que lui,& ils défirent ardemment que le fentiment l'anime , que le génie l'é- claire , & que l'cfprit lui enfeigne à s'exprimer. JefuiSy&tCt LETTRE Sur la Danse. 119 LETTRE VI IL X-j Es Maîtres de Ballets chargés y Monfieur, de lacompofition des Ballets de l'Opéra , auroicnt befoin , à mon gré , du génie le plus vaftc & le plus poétique. Corriger les Auteurs ; lier la Danfe à l'action; imaginer des Scènes analogues aux Drames ; les coudre adroitement aux fujets -, créer ce qui efl échappé au génie des Poètes ; remplir enfin les vuides & les lacunes qui dégradent leurs productions j voilà l'ouvrage du Compoflteur j voilà ce qui doit fixer fon attention , ce qui peut le tirer de la foule, & le diftinguer de ces Maîtres, qui croient être au-dc(ïus de leur état, lorfqu'ils ont arrangé des I 13° LïTTRl J pas , & ont formé des Figures dont le deflein fe borne à des ronds , des quarrés, des lignes droites, des mou- linets & des chaînes. L'Opéra n'eft fait que pour les yeux & les oreilles j il eft moins le Spectacle du cœur & de la raifon, que celui de la variété & de l'amufement. On pour- roit cependant lui donner une forme & un caractère plus intérefTant : mais cette matière étant étrangère à mon Art & au fujet que je traite , je l'aban- donne aux Auteurs ingénieux qui peu- vent remédier à la monotonie de la Féerie, & à l'ennui que le merveilleux traîne après lui. Je dirai fimplement que la Danfe dans ce Spectacle devroic être placée dans un jour plus avanta- geux y j'avancerai même que l'Opéra eft fon élément , que c'eft là que l'Art Sur la Danse 131 devroit prendre de nouvelles forces , & paroître avec le plus d'avantage ; mais par un malheur qui naît de l'en- têtement des Poëces ou de leur mal- adreflè , la Danfe à ce Spectacle ne tient à rien 8c ne dit rien j elle cft dans mille circonftances fi peu analogue au fujet, 8c fi indépendante du Drame , que l'on pourroit la fupprimer fans afFoiblir l'intérêt , fans interrompre la marche des Scènes , 8c fans en refroidir l'action. La plupart des Poëces moder- nes fe fervent des Ballets , comme d'un ornement de fantaifie qui ne peut ni foutenir l'ouvrage ni lui prêter de la valeur ; ils regardent, pour ainfi dire , les diverti flements qui terminent les Actes , comme autant de panneaux agréablement définies 8c arciftement peints qu'ils emploient indifféremment *J* Lettres pour ladivifïon de leur Tableau : quelle erreur ! ou pour trancher le mot , quelle ignorance! Un Drame u'eft autre chofe qu'un grand Tableau qui doit en offrir fucccffivemcnt & avec rapidité une multitude j or n'cft-il pas extravagant de ledivifer par lambeaux, d'en inter- rompre la fuite, d'en fufpendre l'intri- gue,** d'en de^rel'cnfemble& l'har- monie? Ces acceflbircs 8e ces épifodes étrangers à l'action nuifent à l'ou- vrage j ces objets contraires Se toujours défunis ; ce cahos de chofes mal cou- fues partagent l'attention & fatiguent bien plus l'imagination qu'Us ne la fa- tisfont: dès-lors le plan de l'Auteur dif- paroit, le fil échappe, la trame fe brife, l'action s'évanouit , l'intérêt diminue & leplaifir s'enfuit. Tant que les Ballets 4e l'Opéra ne feront pas unis étroite. \ 7 . Sur. la Danse. 133 ment au Drame , & qu'ils ne concour- ront pas à fon expofition , à fort nœud & à fon dénouement , ils feront froids Se défagréables. Chaque Ballet devroit, à mon fens offrir une Scène qui enchaînât & qui liât intimement le premier Acte avec le fécond , le fécond avec le troifieme, &c. Ces Scè- nes abfolument nécefïaires à la marche du Drame feroient vives & animées-, les Danfeurs feroient forcés d'aban- donner leur allure, & de prendre une ame pour les rendre avec vérité 8c avec precifion } ils feroient contraints d'oublier en quelque forte leurs pieds & leurs jambes, pour p en fer à leur phyfîonomie & à leurs gefles j chaque Ballet feroit un Poëme qui termi- nerait l'Acle heureufement : ces Poè- mes puifés du fonds même du Drame mi 134 Lettr ï J feroient écrits par le Poëte, le Muficien feroic chargé de les traduire avec fidé- lité, & les Danfeurs de les réciter par le gefle,& de les expliquer avec énergie. Par ce moyen , plus de vuide', plus d'inutilité , plus de longueur & plus de froid dans la Danfe de l'Opéra ; tout feroit flillant Se animé j tout mar- cheroit au but & de concert ; tout fédui- roit parce que tout feroit fpirituel & paroîtroit dans un jour plus avan- tageux ; tout enfin feroit îllufion & deviendrait intéreflànt , parce que tout feroit d'accord , & que chaque partie tenant la place qu'elle doit oc- cuper naturellement , s'entr aiderait Se Ce prêterait réciproquement des forces. J'ai toujours regretté, Monsieur, que M. Rameau n'ait pas aftocié fon Sur la Danse. i 3 j génie à celui de Quinault. Tous deux créateurs & tous deux inimitables , ils turoient été faits l'un pour l'autre \ mais le préjugé, le langage des connoifTeurs fans connoijfances ; les petits propos de ces ignorants titrés qui décident avec arrogance de tous les Arts fans en con- cevoir la moindre idée ; les cris ou les croafïèments de ces importants fubal- ternes , de ces êtres ambulants qui ne penfent , n'agifîènt & ne parlent que d'après les gens du bon ton ', qui /îfîler.t ou qui applaudifïent fans avoir vu , fans avoir écouté ; tous ces demi- favants encore qui ne favent rien , mais qui fe font fuivre de la multitude ; che- n'IIes venimeufes qui tourmentent les Arts, &qui fîétriroient le génie, fi en Rattachant à la fuperficie de fes ra- meaux elles n'étoientécrafées; ce Peuple Iiv i}6 Lbttkbs enfin de Partifans & de Protecteurs qui mandienc eux-mêmes des protections , qui font les échos des ridicules & de l'ignorance privilégiée de nos agrtablcs, qui ne pouvant juger d'après leur goùc &lcur lumière renvoient tout à la com- paraifon » 141 Lettres que j'éprouve dans la Scène des deux Docteurs du Mariage Forcé de Molière. Ce contrafte d'une volubilité extrême Cx d'un flegme inébranlable , produit fur moi le mime effet. Des contraires auflî choquants, ne peuvent en vérité trou- ver place fur la Scène ; ils en détrui- fent le charme & l'harmonie & privent les Tableaux de leur enfemble. La Mufique cft à la Danfe ce que les paroles font à la Mufique; ce parallèle ne fignifie autre chofe, fi ce n'en: que la Mufique danfante efb ou devroic £tre le Poëme écrit qui fixe & détermine les mouvements^: l'action du Danfeur, celui-ci doit donc le réciter & le rendre intelligible par l'énergie & la vérité de fes geftes , par l'expreflion vive Se ani- mée de fa Phyfionomie > conféquem- ment la Danfe en action cft l'organe $ua la Danse. 14$ qui doit rendre , & qui doit expliquer clairement les idées écrites de la Mufique. Rien ne feroit fi ridicule qu'un Opéra fans paroles; jugez-en , je vous prie, par la Scène à'Antonin Caracalla dans la petite Pièce de la Nouveauté ; fans le dialogue qui la précède, comprendroit- on quelque chofe à l'action des Chan- teurs? eh bien , Monfieur , la Danfe fans Mufique n'eft pas plus exprelïive que le Chant fans paroles ; c'eft une e£« pece de folie , tous fes mouvements font extravagants , & n'ont aucune fignirîca- tion. Faire des pas hardis & brillants; parcourir le Théâtre avec autant de vîtefie que de légèreté fur un air froid & monotone , voilà ce que j'appelle une Danfe fans mufique ? C'cft à la compo- sition variée ÔC harmonieufe de M. 144 Lettres Rameau ; c'eft aux traits & aux con- verfations fpirituelles qui régnent dans fes airs, que la Danfe doit tous Tes pro- grès. Elle a été réveillée , elle eft fortie de la léthargie où elle étoit plongée , dès l'inftant que ce créateur d'une Mufique lavante mais toujours agréable & tou- jours voluptueufe a paru fur la Scène. Que n'eut-il pas fait fi l'ufage de fc confulter mutuellement eût régné à l'Opéra , fi le Poëte &c le Maître de Ballets lui avoient communiqué leurs idées , fi on avoit eu le foin de lui efquiffer l'action de la Danfe , les paffions qu'elle doit peindre fuc- ceffivement dans un fujet raifonné , & les Tableaux qu'elle doit rendre dans telle ou telle foliation ! C'cft; pour lors que la Mufique auroit porté le caractère du Poëme i qu'elle auroit > Sur la Danse. 14/ auroit tracé les idées du Poëte, qu'elle auroit été parlante & expreflive, &que le Danfeur auroit été forcé d'en faifir les traits , de fe varier & de peindre à Ton tour. Cette harmonie qui auroit régné dans deux Arts fi intimes, auroit produit l'effet le plus fédu&eur & le plus admirable; mais par un malheu- reux effet de l'amour propre , les Artiftes loin de fe connoître &c de fe confulter s'évitent fcrupuleufement. Comment un Spectacle auflî compofé que celui de l'Opéra peut-il réufTîr , fi ceux qui font à la tête des différentes parties qui lui font effentielles , opèrent fans fe communiquer leurs idées ? Le Poëte s'imagine que fon Art l'é- levé au-deffus du Muficien ; celui - ci craindroit de déroger s'il confultoit le Maître de Ballets j celui-là ne fe corn- K 146 Lettres mimique point au Deffinateurjle Pein- tre décorateur ne parle qu'aux Peintres en fous-ordre, & le Machinifte enfin fouvent méprifé du Peintre, commande fouverainement aux manœuvres du Théâtre. Pour peu que le Poète s'hu- maniflt , il donneroit le ton & les chofes changeroient de face , mais il n'écoute que fa verve : dédaignant les autres Arts il ne peut en avoir qu'une foible idée ; il ignore l'effet que chacun d'eux peut produire en particulier , & celui qui peut réfulter de leur union & de leur harmonie ■> le Muficien à fon exemple prend les paroles , il les par- court fans attention , & fe livrant à la fertilité de fon génie , il cornpofe de la Mufique qui ne fignifîe rien , parce qu'il n'a pas entendu le fensdeeequ'il n'a lu que des yeux , eu qu'il facrifie Sur ia Danse. 147 au brillant de Ton Art & au grouppe d'harmonie qui le flatte, l'exprefïîon vraie qu'il devroit attacher au récitatif. Fait-il une ouverture/* elle n'eft point relative à l'action qui va fe paffer j qu'importe après tout ? n'eft-il pas sûr de la réufïïte fi elle fait grand bruit ? Les airs de Danfe font toujours ceux qui lui coûtent le moins à compofer j il fuit à cet égard les vieux modèles } fes prédécefleurs font Ces guides ; il ne fait aucun effort pour répandre de la variété dans ces fortes de morceaux & pour leur donner un caractère neuf j ce chant monotone dont il devroit fc défier, qui afloupit la Danfe Se qui endort le Spectateur, efl: celui qui le féduit , parce qu'il lui coûte moins de peine à faifir , & que l'imitation fer- vile des airs anciens n'exige ni un Kij .- 148 Lettres. goût, ni un talent , ni un génie fit» périeurs. Le Peintre décorateur, faute de con- noître parfaitement le Drame , donne fouvcnt dans l'erreur ; il ne confulte point l'Auteur mais il fuit fes idées , qui fouvcnt f.iuflès s'oppofenc à la vraifemblance qui doit fe trouver dans les décorations , à l'effet d'indiquer le lieu de la Scène. Comment peut - il réulfir , s'il ignore l'endroit où elle doit fe palTer î Ce n'eft cependant que d'a- près les connoiflances exactes de l'action & des lieux qu'il devroit agir ; fans cela , plus de vérité , plus de cojîumc , plus de pittorefque. Chaque Peuple a des loix , des cou- tumes , des ufages , des modes & des cérémonies oppofées -, chaque Nation diffère dans fes goûts , dans fon archi- Sur la Danse. i 45* te<îturè> dans fa manière de cultiver les Arts : celui d'un habile Peintre eft donc de faiiïr cette variété; Ton pinceau doit être fidelle: s'il n'eft de tous les pays , il cefle d'être vrai & n'eft plus en droit de plaire. Le Defïînateur pour les habits ne confulte perfonne ; il facrifie fouvent le cojlumc d'un Peuple ancien à la mode du jour , ou au caprice d'une Danfeufe ou d'une Chanteufe en réputation. Le Maître de Ballets n'eft inftruit de rien ; on le charge d'une partition , il compofe des Danfes fur la Mufîque qui lui eft préfentée ; il diftribue les pas particuliers , & l'habillement donne enfuite un nom & un caractère à la Danfe. Le Machinifte eft chargé du foin de préfenter les Tableaux du Peintre dans K iij ijo Lettres le point de perfpeclive & dans les diffé- rents jours qui leur conviennent ; Ton premier foin eft de ranger les morceaux de décorations avec tant de juftefle , qu'ils n'en forment qu'un feul bien en- tendu & bien d'accord ; Ton talent confiée à les préfenter avec vîtcfTc , & à les dérober avec promptitude. S'il n'a pas l'Art de diftribucr les lumières à propos , il arroiblit l'ouvrage du Pein- tre & il renverfe l'effet de la décora- tion. Telle partie du Tableau qui doit être éclairée devient noire & obfcure > telle autre qui demande à être privée de lumière fe trouve claire & brillante. Cen'eftpas la grande quantité de lam- pions jetés au hazard , ou arrangés fymmétriquement qui éclaire bien un Théâtre & qui fait valoir la Scène ; le talent confiée à favoir diftnbuer les Sur la Danse. 151 lumières par parties ou par majfes iné- gales, afin de forcer les endroits qui de- mandent un grand jour , de ménager ceux qui en exigent peu , & de négli- ger les parties qui en font moins fuf- ceptiblcs. Le Peinrre étant obligé de mettre des nuances & des dégradations dans ces Tableaux pour que la perf- pe&ive s'y rencontre , celui qui doit l'éclairer devroit , ce me femble , le confulcer, afin d'obferver les mêmes nuances & les mêmes dégradations dans les lumières. Rien ne feroit Ci mau- vais qu'une décoration peinte dans le même ton de couleur 8c dans les mêmes nuances ; il n'y auroit ni lointain ni perfpe<5tive j de même, fi les morceaux de Peinture divifés pour former un tout font éclairés avec la même force , il n'y aura plus à' entente , plus âemajfe, Kiv îji Lettres plus d'oppofition , & le Tableau fera fans effet. Permettez-moi , Mon/leur , une di- greffion; quoiqu'étrangerea mon Art , elle pourra peut-être devenir utile à l'Opéra. La Danfe avertit en quelque façon le Machinifte de fe tenir prêt au chan- gement de décorations ; vous favez en effet que le divertiflcment terminé , les lieux changent. Comment remplit-on ordinairement l'intervalle des Actes y Intervalle abfolument néceffaire a la manœuvre du Théâtre, au repos des Acteurs, & au changement d'habits de la Danfe & des Choeurs ? Que fait l'Or- cheftre ? elle détruit les idées que la Scè- ne vient d'imprimer dans mon ame ;elle ;ouc un P afftpud ;c\\t reprend un Rigau- don ou un Tambourin fort gai , lorfque Sur la Danse. . ij$ je fuis vivement ému & fortement at- tendri par l'action férieufe qui vient de fe pafTer ; elle fufpend le charme d'un moment délicieux ; elle efface de mon coeur les images qui l'intéreflbient ; elle étouffe & amortit le fentiment dans lequel il fe plaifoit ; ce n'eft: pas tout encore , & vous allez voir le comble de l'inintelligence; cette action touchante n'a été qu'ébauchée ; l'Acte fuivant doit la terminer & me porter les der- niers coups ; or de cette Mufique gaie Se triviale , on paflè fubitement à une Ritournelle trifte & lugubre : quel contraire choquant ! S'il permet encore à l'Acteur de me- ramener à l'intérêt qu'il m'a fait perdre , ce ne fera qu'à pas lents ; mon cœur flottera long- temps entre la diftraction qu'il vient d'éprouver & la douleur à laquelle on ^ JJ4- Lettres tente de le rappeller ; le piege que la fiction me préfenecune féconde fois me paroîc trop groiîicr ; je cherche a l'éviter ex à m'en défendre machinalement «Se malgré moi , & il faut alors que l'Art falle des efforts inouis pour m'en im- pofer, &: pour me (aire fuccomber de nouveau. Vous conviendrez que cette vieille méthode , fi cherc encore à nos Muficiens , bielle toute vraifemblance. Ils ne doivent pas fe flatter de triom- pher de moi au point d'exciter à leur gré & fubitement dans mon ame tous ces ébranlements divers ; le premier infbant me difpofoit à céder à l'impref- fion qui devoit réfulter des objets qui m'étoient offerts. Le fécond détruic totalement ce premier effet , & la nou- velle fenfation qu'il produit fur moi eft fi différente & fi diftante de celle à S Svk la Danse. 155 laquelle je m'étois d'abord livré , que je ne faurois y revenir fans une peine extrême, fur-tout lorfquc mes fibres ont naturellement plus de propenfion Se plus de tendance à fe déployer dans le dernier fens où elles viennent d'être mues î en un mot , Monfieur , cette chute foudaine , ce brufque pafïage du pathétique à l'enjoué , du diatonique enharmonique , * ou du chromatique enharmonique à une Gavotte, ou à une * Le Trio des Tarques d Wppolitc & à'Aricie qui n'avoit pu être rendu à l'Opéra tel qu'il cft , offre un exemple de ce genre. Nous en avions un du fé- cond dans le tremblement de terre fait pour le fécond A&e des Indes Galantes , que l'Orcheftre ne put jamais exécuter en 1 73 5 , Se dont l'effet avoir été néanmoins furprenànt dans l'épreuve ou dans l'efl'ai que des Muficiens habiles 8c de bonne volonté en avoient fait en préfenec de M. Rameau. Si ces mor- ceaux n'euffent pas été au-deflus des forces des exécutants, croyez-vous qu'un Tambourin qui lc« \$G Lettres forte de Pont-neuf, ne me (cmblent pas moins discordant , qu'un air qui commcnceroitdans un con & qui fiui- voit dans un autre. J'ofe croire qu'une pareille difparate bleuera toujours ceux que le plaifir de fentir conduirai; Spcélacle, car elle ne peut n'être pas apperçue que par les Originaux qui n'y vont que par air , Cv qui tenant une énorme lorgnette à la main, préfèrent la fatlsfaction d'étaler leurs ridicules , de voir Cv d'être vus, à celle de «zoiïter les délices que les Arts réunis par l'cf- prit , par le génie Cv par le goût peuvent procurer. Que les Poètes defeendent du facre auroit fitivi eut été bien placé- fie tout entraxe ne ieroit-il pas mieux employé par le Muficien , s'il lioit le fiijei, s'il tàchoit de conferver l'imprefllon faite, e\: de préparer le Spectateur à celle à laquelle il veut le conduire. Sur la Danse. 157 Vallon ; que les Artiftes chargés de différences parties qui compofent l'O- péra agiiTcnt de concert, & fe prêtent mutuellement des fecours, ce Spectacle alors aura le plus grand fuccès ; les talents réunis réuffiront toujours. Il n'y a qu'une balle jaioufîe, & qu'une mé- sintelligence indigne des grands hom- mes, quipuillent flétrir les Arts, avilir ceux qui les profeflent, & s'oppoferà la perfection d'un ouvrage qui exige autant de détails & de beautés diffé- rentes que l'Opéra. . J'ai toujours regardé ce Spectacle comme un grand Tableau qui doit offrir le merveilleux & le fublime de la Peinture dans tous les genres ; dont la roile doit être efquiffée par un homme célèbre , & peinte enfuite par des Pein- tres habiles dans des genres oppofés , ijS Lettres qui tous animés par l'honneur & la noble ambition de plaire doivent ter- miner le chef-d 'oeuvre avec cet accord Se cette intelligence qui annoncent & qui caraétérifent les vrais talents.L'hom- me célèbre qui a fait choix du fujet , qui en a difpofé les parties, qui lesadi- ftribuées avec autant de goût que d'Art, tk, qui a efquifle la toile , voilà le Poé'tc; c'eft: de lui premièrement que dépend lefuccès, puifqucc'citluiquicompofe, qui place , qui deffine de qui met à pro- portion de Con génie plus ou moins de beautés, plus ou moins d'actions , Se par conféquent plus ou moins d'in- térêt dans fon Tableau. Les Peintres qui fécondent fon imagination font le Maître de Mufique , le Maître de Ballets, le Peintre décorateur, le Deflî- nateur pour le Cojiumc des habits & le M Sur la Danse. 159 Machihifte : tous cinq doivent égale- ment concourir à la perfe&ion & à la. beauté de l'Ouvrage* en fuivant exac- tement l'idée primitive du Poëte, qui à fort tour doit veiller foigneufement fut le tout. L'œil du Maître eft un point nécefiaire , il doit entrer dans tous les détails. Il n'en eft point de petits 5c de minutieux à l'Opéra ; les chofes qui pa- roiflènt de la plus foible conféquence choquent ,' bleflent & déplaifent lors- qu'elles ne font pas rendues avec exacti- tude & aveeprécifion. Ce Spectacle né peut donc fourrrir de médiocrité , il né féduit qu'autant qu'il eft parfait dans toutes fessâmes. Convenez, Monficur> qu'un Auteur qui abandonne Ton oU vra* ge aux foins de cinq perfonnes qu'il ne voit jamais , qui fe connoiflent à peine » & qui s'évitent toutes * reflemble a(Tez à i6o Lettres ces Pères qui confient l'éducation de leurs fils à des mains étrangères , & qui par diffipation ou par efprit de gran- deur croiroient déroger, s'ils veilloicnt à leurs progrès. Que réfulte-t-il d'un préjuge fi faux ? Tel enfant né pour plaire , devient mauflade 6v ennuyeux. Voilà l'image du Poê'te dans celui du Pcre , & l'exemple du Drame dans celui de l'enfant. Vous me direz peut-être que je fais d'un Poète un homme univerîel ? Non , Monfieur , mais un Poète doit avoir de l'efprit cvdu goût. Je fuisdufentiment d'un Auteur , qui dit , que les grands morceaux de Peinture, de Mufique & de Danfe qui ne frappent pas à un certain point un ignorant bien organifé font ou mauvais ou médiocres. ■ Sans être Muficien , un Poëte ne peut - il Sur la Danse. 1C1 peut-il pas fentir Ci tel trait de Mufîque rend fa penfée, fi tel autre n'affaiblit pas l'expreffion ; Ci celui-ci prête de la force à la pafïion , & donne des grâces & de l'énergie au fentimenc? Sans être Peintre- Décorateur, ne peut-il pas concevoir fî telle décoration qui doit repréfenter une Forêt de l'A Afrique, n'emprunte pas la forme de celle de Fontainebleau ? Si telle autre qui doit offrir une rade de l'Amérique , ne reflemblc pas à celle de Toulon? fî celle-ci qui doit .mon- trer le Palais de quelque Empereur du Japon , ne fe rapproche pas trop de celui de Vcrfailles?& Ci la dernière qui doit tracer les jardins de Scmiramis , n'offre pas ceux de Marly ? Sans êerc Danfeur & Maître de Ballets, il peut également s'appercevoir de la confu- fionqui y régneia,du peu d'expreiïion, iGi Lettres des cxécutans j il peut , dis-je , fenrir Ci fon action eft rendue avec chaleur; fi les Tableaux en font afTez frappants ; fi la Pantomime eft vraie, & fi le ca- ractère de la Danfe répond au caractcrc du Peuple Se delà Nation qu'elle doit repréfenter. Ne peut-il pas encore Ccn- tir les défauts qui fe rencontrent dans les vêtements par des négligences ou un faux goût, qui s'éloignant du Cojlu- mc détruit toute illufion ? A-t-il be- fom enfin d'être machinifte pour s'ap- percevoir que telle machine ne marche point avec promptitude ? Rien de Ci fimple que d'en condamner la lenteur, ou d'en admirer la précifion Se la vîteflè. Au relie , c'eft au Machinifte à remé- dier à la mauvaife combinaifon qui S'oppofe à leurs effets , à leur jeu & à leur activité. Sur la D a nse. 16$ Un Compofiteur de Mufique devroic favoir la Danfe , on du moins connoître les temps 8c la pofïibilité des mouve- ments qui font propres a chaque genre, à chaque caractère 8c à chaque pafïion, pour pouvoir ajufter des traits conve- nables à toutes les fituations que le Danfeur peut peindre fucceflivement j mais loin de s'attacher aux premiers éléments de cet Art 8c d'en apprendre la théorie, il fuit le Maître de Ballets ; il s'imagine que fon Art l'élevé 8c lui donne le pas fur la Danfe. Je ne le lui difputerai point , quoi qu'il n'y &' t que la fupériorité 8c non la nature du ta- lent , qui puifle mériter des preféances 8c des diftinctions. La plupart des Compofiteurs , fui- vent, je le répète, les vieilles rubriques de l'Opéra 5 ils font des Pajfep'uds^ Lij if>4 Lettres parce que Mademoifelle Privât Ici couroit avec élégance ; des Mufcttts , parce que Mlle. Salle Se M. Dumou- lin les danfoient avec autant de izracc que de volupté ; des Tambourins , parce que c'étoit le genre où Mlle. Camargo excelloit ; des Chaconnes , enfin Se des PaJJac ailles , parce que le célèbre Dupré s'étoit comme fixé à ces mouvements; qu'ils s'ajuftoient à fou goût , à Ton genre & à la noblefle de fa taille; mais tous ces excellents Sujets n'y font plus , ils ont été remplacés &C au-delà, dans des parties, Se ne le fe- ront peut-être jamais dans les autres. Mlle. Lany a effacé toutes celles qui brilloient par la beauté, la precifion Se la hardiefTe de leur exécution : c'efl la première Danfeufe de l'Univers j mais on n'a point oublié l'exprefïion > Sur la Dans h. i6$ naïve de Mlle. S allé ; Tes grâces font toujours préfentes, & la minauderie des Danfeufes de ce genre n'a pu éolipfcr cette noblcfe & cette {implicite harmo- nique des mouvements tendres , volup- tueux , mais toujours décents de cette aimable Danfeufe. Perfonne n'a encore fuccédé à M. Dumoulin ; il danfoit les Pas de deux avec une fupériorité que l'on aura de la peine à atteindre ; toujours tendre, toujours gracieux , tantôt Papil- lon , tantôt Zéphyr , un infiant incon- stant , un autre inftant fidclle , touj ours animépa ui. fentiment nouveau, ilren- doit avec volupté tous les Tableaux de la tendreiIe.M.A^/?r/j aremplac : le cilebie Dupré ; c'cftfa'refon éloge: mais nous avons M.Lany } d jnt la fupériorité excite l'admirat'on & l'cleve a--de r usdece ix que je pourrois lui prc diguer.Nous avons L nj l66 L E T T R B S des Danfeurs & das Danfeufes qui mé. riteroient ici une apologie, fi cela ne m'éloignoit trop de mon but. Nous avons enfin des Jambes & une exécu- tion que nos prédéceffeurs n'avoient point} cette raifon devroit déterminer, ce me femble , les Muficiens à Te varier dans leurs mouvements, & à ne plus travailler pour ceux qui n'exiftent que dans la mémoire du Public , & dont le genre eft prefque éteint. La Danfe de nos jours eft neuve , il eft abfolu- ment néceftaire que fa Mufique le foit à Ton tour. On fe plaint que les Danfeurs ont du mouvement fans action, des çraces fans expreffion ; mais ne pourroit- on pas remonter à la fource du mal ? Dévoilez-en les caufes , vous l'attaque- rez avec avantage , & vous emploierez Sur la Danse. 167 alors les remèdes propres à la gué- jrifon. J'ai dit que la plupart des Ballets de ce Spectacle étoient froids , quoique bien défîmes & bien exécutés : eft-ce uniquement la faute du Compofîteur , lui feroit-il pofïiblc d'imaginer tous les jours de nouveaux plans , & de mettre la Danfe en action à la fin de tous les Actes de l'Opéra? Non, fans doute , la tâche feroit trop pénible à remplir ; un tel projet d'ailleurs ne peut s'exécu- ter fans des contradictions infinies , à jnoins que les Poètes ne fe prêtent à cet arrangement , & ne travaillent de concert avec le Maître de Ballets, fur tous les projets qui auront la Danfe pour but. Voyons ce que fait habituellement Je Maître de Ballets à ce Spectacle , Liv . 1 63 LlTTRH & examinons l'ouvrage qu'on lui diftri- bue. On lui donne une partie de répé- tition, il l'ouvre, &il lit; PROLOGUE* Pajfepied pour Us Jeux & Us Plaïfirs ; Gavotte pour Us Ris, & Rigaudon pour Us Songes agréables. Au PREMIER ACTE ; air marqué pour Us Guerriers, fécond air pour Us mîmes ; Mufette pour les Pritreffes. Au SECOND Acte , Lourt pour Us Peuples, Tambourin & Rigaudon pour Us Matelots. Au TROI- SIEME ACTE , air marqué pour Us Démons ; air vif pour les mêmes. Au QUATRIEME Acte, entrée des Grecs & Chaconne , fans compter les Vents , Us Tritons , Us Naïades , les Heures, Us Signes du Zodiaque , les Bacchantes > Us Zéphyrs , Us Ondains & les Songes funejles , car cela ne finiroit jamais. v Voilà le Maître de Ballets bien inftruiti Sur là Danse. 169 le voilà chargé de l'exécution d'un plan bien magnifique & bien ingénieux ! Qu'exige le Poète î que tous les Perfon- nages du Ballet danfent, & on les fait danfer : de cet abus naifïent les pré- tentions ridicules ; Monfieur , dit le premier danfeurau Maître de Ballets, « je remplace un tel , & je dois danfer » tel air. » Par la même raifon , Mlle. une telle fe réferve les PaJJepieds ; l'autre les Mufcttes ; celle-ci les Tam- bourins ; celui-là les Loures ; celui-ci la Chaconne ; &C ce droit imaginaire, cette difpute d'emplois & de genres four- nirent à chaque Opéra , vingt entrées feuls , qui font danfées avec des habits d'un -goût ôc d'un genre oppofé , mais qui ne différent ni par le caractère , ni par l'efprit , ni par les enchaînements de pas, ni par les attitudes 5 cette mono- 170 Lettres tonie prend fa fource de l'imitation machinale. M. Vtfir'u eft le premier Danfeur , il ne danfc qu'au dernier Acte > c'eft la règle ; clic eft au refte con- forme auprovcibequi aftreinr à *.on- ferver bs meilleures chofes pour les dernières ; que font les autres Danfcurs de ce genre? Ils eftropient l'original, ils le chargent Se n'en prennent que les défauts ; car il eft plus aifé de faifir les ridicules que d'imiter les perfections : tels les courtifans à' Alexandre , qui ne pouvant lui rcdèmbler par fa valeur & Ces vertus héroïques, portoient tous le col de côté, pour imiter le défaut na- turel de ce Prince. Voilà donc de froi- des copies qui multiplient de cent ma- nières différentes l'original , & qui le défigurent continuellement. Ceux d'un autre genre font auffi mauffades & aulH Svk la Danse. 171 ridicules : ils veulent faifir la préci- fion , la gaieté & la belle formation des enchaînements de M. Lany,6c ils font déteftables. Toutes les femmes veulent .danfer comme Mlle. Lany y & toutes les femmes en ce cas ont des préten- tions très-ridicules. Enfin , Mon/leur > l'Opéra eft , fi j'ofe m'exprimer àinfi , le Spectacle des finges. L'homme s'é- vite, il craint de fe montrer avec fes pro- pres traits, il en emprunte toujours d'é- trangers , . & il rougiroit de fe refîèm- bler; auffi faut-il acheter leplaifir d'ad- mirer quelques bons Originaux , par l'ennui de voir une multitude de mau- vaifes copies qui les précèdent. Que veu- lent dire d'ailleurs cette quantité d'en- trées feules, qui ne tiennent & ne refïèm- blent à rien ? Que fîgnifient tous ces corps fans ame , qui fe promènent fans jyi Lettres grâces , qui fe déploient fans goût, qui pirouettent fans à-plomb , fans fermeré, & qui fe fuccedent d'Acte en Acte avec le même froid ? Pourrons-nous donner le titre de monologue à ces fortes d'en- trées dépourvues d'intérêt & d'expref- Ton ? Non , fans doute, car le mono- logue tient à l'action , il marche de co cert avec la Scène, il peint, il re- trace, il in(tru : t. Mais comment faire tarler une entrée fcul , me d : rez-vous ' 1 ien de fi facile, Monfieur, & je va s ^ cas le rouver clairement. Deux Bergers, ja- exemple, épris «'pcdùement d'une Bergère , 'a re! 7 ent de fe déc'der & de faire un choix ; Thcmircy c'eft le nom de la Bergère , héfite,ba'ance, elle n'ôfe nommer fon vainqueur ; folllcitie vivement , elle* cède enfin à l'a.iuur 3 elle donne la Sur. i a Danse, 175 préférence à Arijlcc , elle fuit dans le bois pour cacher fa défaite ; mais Ton vainqueur la fuit pour jouir de fon triomphe. . Tircis abandonné , Tircis méprifé , peint fon trouble & fa dou- leur ; bientôt la jaloufie & la fureur s'emparent de fon cœur : il s'y livre tout entier, & il m'avertit par fa retraite qu'il court à la vengeance , & qu'il veut immoler fon rival. Celui-ci paroît un inftant après ; tous fes mouvements me tracent l'image du bonheur , fes geftes, fes. attitudes, fa phy/îonomie , fes regards , tout me préfente le Ta- bleau du fentiment & de la volupté; Tircis au défefpoir cherche fon rival , & il l'apperçoit dans le moment où il exprime la joie la plus déiicieufe & la plus pure. Voilà des conrraftes am- ples mais naturels j le bonheur de l'un 174 Lettres augmente la peine de l'autre ; Tïrcls défefpéré,n'a d'autre reflburce que celle de la vengeance, il attaque Arijlcezvec cette fureur de cette impétuosité qu'en- fante la jaloufic & le dépit de fe voir tnéprifer ; celui-ci fe défend , mais foit que l'excès du bonheur énerve le cou- rage , foit que l'amour fatisfait foit enfant de la paix, il cft prêt à fuccom- ber fous les efforts de Tircis ; ils fe fer- vent pour combattre de leurs houlettes ; les fleurs & les guirlandes compofées par l'amour Se deftinées pour la vo- lupté deviennent les trophées de leur vengeance : tout eft facrifié dans cet inftant de fureur ; le bouquet même dont Thémire a décoré l'heureux An- Jléty ne fauroit échaper à la rage de l'amant outragé. Cependant Thcmirepa- roît ; elle apperçoit fon amant enchaîné Su r ia Danse. 175 avec la guirlande dont elle l'avoir orné ; elle le voit terraflTé aux pieds de Tircis : quel défordre ! quelle crainte l Elle frémit du danger de perdre ce qu'elle aime : tout annonce fa frayeur, tout caractérife fa paflion. Fait - elle des efforts pour dégager fon amant ? C'eft l'amour en courroux , c'eft l'amour mé- chant qui les lui fait faire. Furieufe , elle fe faifit d'un dard égaré' à la chalTe, elle s'élance fur Tircis , & l'en frappe deplufieurs coups. Ace Tableau tou- chant , l'action devient générale , des Bergers & des Bergères accourent de toutes parts; Thlmirt défefpérée d'avoir commis une action fî barbare , veut s'en punir & fe percer le cœur ; les Bergères s'oppofent à un deflèin fî cruel; ArïjlU parcage entre l'amour & l'amitié , vole vers Thimirc , la prie » IjS L E T T II I S la preflè & la conjure de conferver Ces jours: il court à Tircis : il s'emprefTe à lui donner du fecours , il invite les Ber- gers à en prendre foin. Thcmirc défar- mée , mais accablée de douleur , fait un effort pour s'approcher de Tircis ; elle embralfe fes genoux ,& lui donne toutes les marques d'un repentir fincere ; celui- ci toujours tendre, toujours amant paf- fionné femble chérir le coup qui va le priver de la lumière. Les Berçeres attendries arrachent Thcmirc de cet en- droit , Théâtre de la douleur & de la plainte ; elle tombe évanouie dans leurs bras. Les Bergers de leur coté entraî- nent Tircis ; il cft prêt d'expirer , 6V: il peint encore la douleur qu'il relient d'être féparé de Thcmirc , 3c de ne pou- voir mourir dans fes bras. Anjlcc ami tendre , mais amant fîdellc , exprime ion Svk là Danse, 177 fon trouble & fa foliation de cent ma- nières différentes ; il éprouve mille com_ bats; il veut fuivrc Thcmirc mais il ne veut pas quitter Tircis ; il veut confoler l'amante , mais il veut fecourir l'ami. Cette agitation eft fufpendue , cette indéc'fion cruelle cefTe : un inftant de réflexion fait triompher dans fon cceur l'amitié ; il s'arrache enfin de Thémirc pour voler à Tircis» Ce plan peut paroître mauvais à la lecture, mais il fera le plus grand effet fur la Scène ; il n'offre pas un inftant quer^ le Peintre ne puifîè fai/îr j les fituations & les Tableaux multipliés qu'il pré- fente ont un coloris, une action 6c un intérêt toujours nouveau ; l'Entrée fcul de Tircis & celle ÙAriJltt font pleines de paiïïon; elles peignent , elles expriment > elles font de vrais mono- M 178 • Lettre* logucs. Les deux pas de trois font l'image de la Scène dialoguée dans deux genres oppofés , Se le Ballet en action qui termine ce petit Roman in- téreiïèra toujours très- vivement tous ceux qui auront un cruriSc des yeux j ii toutefois ceux qui l'exécutent ont une ame & une exprefiion de ientiment auin* vive qu'animée. Vous concevez , Monfieur , que pour peindre une action où les partions font variées , & où les transitions de ces mêmes paiïions lont auffi fubites que dans le Programme que je viens de vous tracer, il faut de toute né- cefïité que la Mufiquc abandonne les mouvements 8c les modulations pau- vres qu'elle emploie dans les airs deftinés à la Danfe. Des fons arrangés machinalement &c fans efprit ne peu- StTR la Danse. 179 Verït fervir le Danfeur , ni convenir à une action vive. Il ne s'agit donc point d'afTembler fimplement des notes fuivant les règles de l'Ecole j la fuc- ceflîon harmonique des tons doit dans cette circonftance imiter ceux de la nature , & l'inflexion jufte des fons préfenter l'image du Dialogue. Je ne blâme point généralement, Monfieur, les Entrées feuls de l'Opéra 5 j'en admire les beautés fouvent difper- fées, mais j'en voudrois moins. Le trop en tout genre devient ennuyeux j je defirerois encore plus de variété dans l'exécution : car rien n'eft Ci ridicule > que de voir danfer les Bergers do Tcmpê, comme les Divinités de l'O- lympe. Les habits & les caractères étant fans nombre à ce Spectacle , je fouhaiterois que la Danfe ne fut pas Mij i8o - Lettres toujours la même ; cette uniformité choquante difparoîtroit fans doute, fi les Danfeurs étudioient le caractère de l'homme qu'ils doivent repréfenter , s'ils faifilîoient Tes mœurs , Tes ufages & Tes coutumes ; ce n'eft qu'en fe fub- ftituant à la place du Héros de du Pcr- fonnage que l'on joue , que l'on peut parvenir à le rendre Cv à l'imiter par- faitement. Perfonne ne rend plus de juftice que moi aux Entrées fculs , danfées parles premiers Sujets ; ilsmc déploient toutes les beautés méchani- ques des mouvements harmonieux du Corps; mais defiver & faire des vaux pour que ces mêmes fujets faits pour s'illuftrer mêlent quelquefois aux grâ- ces du corps les mouvements de l'ame; ambitionner de les admirer fous une forme plus féduifante, & de n'être pas Sur la Danse. iSi borné enfin à les contempler uniquement comme de belles machines bien com- I binées & bien proportionnées , ce n'eft pas, je crois, méprifer leur exécution, avilir leur talent & décrier leur genre; c'eft exactement les engager à l'embellir & à le varier d'avantage. Parlons au vêtement. La variété & la vérité dans le cojlumc y font auflî rares que dans la Mufique , dans les Ballets & dans la Danfe fimple. L'en- têtement eft égal dans toutes les parties de l'Opéra ; il préfide en Souverain à ce Spectacle. Grec, Romain , Berger, ChaC- feur, Guerrier, Faune, Silvain, Jeux, Plaifirs, Ris, Tritons, Vents, Feux> Songes, grand Prêtre & Sacrificateurs; tous les habits de ces Perfonnages font coupés fur le même patron, & ne diffé- rent que par la couleur &les embellie" M iij i$4 Lettres fements que la profufion bien pluf que le goût jette au hazard. L'Oripeau brille par-tout : le Payfan , le Matelot & le Héros en font également chargés; plus un habit eft garni de colifichets , de paillettes , de gaze & de réfeau , & plus il a de mérite aux yeux de l'Acteur & du Spectateur fans goût. Rien n'efr. fi fingulier que de voir à l'Opéra une troupe de Guerriers qui viennent de combattre, de difputer & de remporter la victoire. Traînent-ils après eux l'hor- reur du carnage i Leur Phyfionomic paroît-elle animée ? Leurs regards font- ils encore terribles î Leurs cheveux font- ils épars Se dérangés? non, Monfieur, rien de tout cela ; ils font parés avec le dernier fcrupule , & ils reffemblent plu- tôt à des hommes efféminés , fortanc des mains du Baigneur , qu'à des $ vu i A Danse. iSj Guerriers échappés à celles de l'ennemi. Que devient la vérité? où eft la vraifem-r blance? d'où naîtra l'illufîon? & com- ment n'être pas choqué d'une action jfl faufîè & Ci mal rendue? Il faut de là dé- cence au Théâtre , j'en conviens , mais il faut encore de la vérité & du naturel dans l'action, du nerf 8c de la vigueur dans les Tableaux , & un défordre bien entendu dans tout ce qui en exige. Je ne voudrois plus de ces tonnelets roi- des qui .dans certaines po/itions de la Danfe placent , pour ainfî dire , la hanche à l'épaule , & qui en éclipfenc tous les contours. Je bannirois tout arrangement fymmétrique dans les ha- bits ; arrangement froid qui dé/îgne l'Art fans goût & qui n'a nulle grâce. J'aimerois mieux des draperies fimples & légères, contraftées par les couleurs» Miv 184 L E T T K l S '■ & diftribuées de façon à melaiflèrvoir la taille du Danfcur. Je les voudrois légères , fans cependant que l'étoffe rut ménagée ; de beaux plis , de belles Majfest voilà ce que je demande \ & l'extrémité de ces draperies voltigeant & prenant de nouvelles formes , à mefure que l'exécution deviendroir, plus vive & plus animée, tout auroit l'air léger. Un élan , un pas vif, une fuite agiteraient la draperie dans des fens différents : voilà ce qui nous rapprocheroit de la Peinture, & par conféquent de la Nature ; voilà ce qui prêteroit de l'agrément aux attitu- des & de l'élégance aux pofitions j voilà enfin ce qui donneroit au Dan- feur cet air lefte qu'il ne peut avoir fous le harnois gothique de l'Opéra. Je di- minuerois des trois quarts les paniers ****! Sur u Danse. xSj ridicules de nos Danfeufes; ils s'oppo- fent également à la liberté , à la vitefle & à l'action prompte & animée de la Danfe ; ils privent encore la taille de fon élégance & des juftes proportions qu'elle doit avoir \ ils diminuent l'a- grément des bras , ils enterrent , pour ainfi dire les grâces , ils contraignent & gênent la Danfeufc à un tel point » que le mouvement de Ton panier l'af- fecte & l'occupe quelquefois plus férieu- fement que celui de fes bras & de Ces jambes. Tout Acteur au Théâtre doit être libre : il ne doit pas même recevoir, des entraves du Rôle & du Perfonnage qu'il a à repréfenter. Si fon imagination eft partagée , fi la mode d'un cojlumt ridicule le gêne au point d'être accablé par fon habit , d'en fentir le poids & ^'oublier fon Rôle , de gémir enfin fous iSS Lettrés le faix qui l'aflomme , & de ne point s'intéreifer à l'action qui fe pane & qu'il doit rendre avec chaleur > il doit dès-lors fe délivrer d'une mode qui appauvrit l'Art Si qui empêche le talent de re- montrer. Mlle. Clairon y Actrice ini- mitable, faite pour fecouer les ufages adoptés par l'habitude, a fupprimé les paniers , & les a fupprimé fans prépa- ration , fans ménagement. Le vrai ta- lent n'eft qu'un , il plaît fans Art. Mlle. C/aîron , en panier ou fans panier fera toujours une excellente Actrice ; elle feroit la première tragique de l'Univers, fi la Scène Françoife n'étoit en pofTef- fion des rares & fublimes talents de Mlle. Dumefnil , Actrice, qui remuera tou- jours infailliblement les cceurs fenfibles aux accents & au cri de la nature. Le caprice n'a point conduit Mlle. Clairon. Svr *a Danse. 187 lorfqu'ellc s'eft dépouillée d'un orne- ment auflî ridicule qu'embarraftant. C'eft moins pour fe donner le ton de réformatrice des modes , que parce qu'elle mérite le titre de grande Actrice, qu'elle a quitté les paniers. La raifon , l'efprit , le bon fens Se la nature l'ont guidée dans cette réforme \ elle a con- iulté les anciens , & elle s'eft imaginée que Mcdée , Electre Se Ariane n'avoient point l'air , le ton , l'allure Se l'habille- ment de nos petites maîtrefles j elle a fenti qu'en s'éloignant de nos ufages elle fe rapprocheroit de ceux de l'anti- quité ; que l'imitation des Perfonnages qu'elle repréfente feroit plus vraie , plus naturelle ; que Ton action d'ailleurs étant vive Se animée , elle la rendroir avec plus de feu Se de vivacité , lors- qu'elle fe feroit débarranee du poids & i88 • Littr.es dégagée de la gêne d'un vêtement ndU cule ; elle s'eft perfuadée enfin que le Public ne mefureroit pas Tes talents fur l'immcnAté de Ton Panier. Il eft certain qu'il n'appartient qu'au mérite fupérieur d'innover & de changer dans un inflanc la forme des chofes auxquelles l'habi- ude, bien mo:'ns que le gcùt & la réflexion nous avo'ent attaches. M. Chaflt y Acteur unique qui a trouvé l'Art de mettre de l'intérêt dans des Scènes de glace , &c d'exprimer par le gefee les penfées les plus froides c\l les moins frappantes, a fecoué yareil- lement les tonnelets ou ces paniers roides qui ôtoient toute a'.fance à l'A&eur , ôc qui en faifoient , pour ainu* dire, une machine mal organifée ; les cafques & les habits fymmétriques furent aufïi proferits par ce grand Svk la Danse. iSp homme j il fubftitua aux tonnelets guindés des draperies bien entendues , ôc aux panaches antiques des plumes diftribuées avec goût & élégance. Le fîmple , le galant & le Pittorefque compofoient fa parure. M. le Kain excellent tragique a fuivi l'exemple de M. Chaffe ; il a plus fait encore ; il efl forti du tombeau de Ninus dans la Sémîramîs de M. de Voltaire les manches retrouvées , les bras enfanglantés, les cheveux hérifles & les veux étirés. Cette Peinture forte mais naturelle frappa, intéreflà & jette le trouble & l'horreur dans l'amc du Spectateur. La réflexion & l'efprit de critique fuccéderent. un iuftant après à l'émotion mais il étoit trop. tard; l'im- preffion étoit fa'te, le trait étoit lancé , l'Acteur avoir touché le but, & les i5>o Lettres applaudifTèments furent la récompenfe d'une a&ion heureufe , mais hardie , qui fans doute auroit échoué , fi un Acteur fubalterne & moins accueilli eût tenté de l'entreprendre. M. Boquct chargé depuis quelque temps des defTèins & du cojlumt des habits de l'Opéra , remédiera facile- ment aux défauts qui régnent dans éette partie Ci eiTentielle à l'illufîon, Ci toutefois on lui laifle la liberté d'agir , & fi l'on ne s'oppofe point à Ces idées qui tendront toujours à porter les chofes à leur perfection. Quant aux décorations, Monfieur, je ne vous en parlerai point ; elles ne pè- chent pas par le goût à l'Opéra , elles? pourroient même être belles , parce que les Artiftes qui font employés dans cette" partie ont réellement du mérites mais la Svr la Danse ï?i cabale & une économie mal entendue bornent le génie des Peintres, elles étouf- fent leurs talents. D'ailleurs ce qui pa- roît en ce genre à l'Opéra ne porte ja- mais le nom de l'Auteur, fur-tout fl les applaudiflements fe font entendre ; au moyen de cet arrangement , il y a fort peu d'émulation & par conféquent fort peu de décorations qui ne laifîent une inn> nité de chofes ;\ defirer. Je finirai cène Lettre par une réfle* xion qui me paroît bien /impie. La Danfe à ce Spectacle a trop de ca- ractères idéaux , trop de perfonnagesî chimériques & trop d'êtres de fantame à rendre , pour qu'elle puifïè les repré- fenter tous avec des traits & des cou- leurs différentes j moins de féeries , moins de merveilleux, plus de vérité > plus dénature!, & la Danfe paroîtra- l O x Lettres dans un plus beau jour. Je fcrois fort embarraflè,par exemple, de rendre l'ac- tion d'une Comète ; celle des fignes du Zodiaque ; celle des heures , &c. Les In- terprètes de Sophocle , à' Euripide & d' 4 rijïop h a ne, difem cependant que les Danfes des Egyptiens repréfentoientles mouvements céleftes & l'harmonie de l'Univers ; ils danfoienc en rond au- tour des Autels qu'ils regardoient comme le Soleil , & cette F;gure qu'ils décrivoient en fe tenant par les mains défignoit le Zodiaque ou le cercle des Signes; mais tout cela n'étoit ainfi que bien d'autres chofes que des figures Se des mouvements de convention , aux- quels on attachoit une lignification invariable. Je crois donc , Monfieur } qu'il nous feroit plus facile de peindre nos femblables j que l'imitation en feroit Sun. LA D A N & F. !5>3 fèroit plus naturelle & plus féduifantej Mais c'eft aux Poètes, comme je l'ai dir, à chercher les moyens de faire paroûre des hommes fur le Théâtre de l'Opéra. Quelle en feroit l'impoiïibilité ? ce qui s'cft fait une fois , peut fe répéter mille autres avec fuccès. Il eft sûr que les pleurs à.'Andromaqut , que l'amour de Junie & de Britannicus , que la tendreflè de Mêropt pour Egijie , que la fourmilion à'/phigénie & l'amour maternel de Clytemnejlre toucheront bien davantage que toute norre magie d'Opéra. La Barbe-bleue ôc le petit PouJJet n'attcndrifTent que les enfants ; les Tableaux de l'humanité font les feuls qui parlent à l'ame, qui l'affectent, qui rébranlent & qui la tranfporrent ; on: s'intérefle foiblement aux Divinités fa- bûleufes , parce qu'on eftperfuadéque N i?4 . Lettres leur puiflance & toute l'intelligence qu'elles montrent leurs font prêtées par le Poète , on n'eft nullement inquier fur la réuffite; on fait qu'ils viendront à bout de leur deflein , Se leur pou- voir diminue en quelque forte à'me- fure que norre confiance augmente. Le cœur & l'efprit ne font jamais la dupe de ce Spe&acle ; il cft rare, pour ne pas dire impoffible, que l'on forte de l'Opéra avec ce trouble, cette émotion Se ce défordre enchanteur que l'on éprouve à une Tragédie ou à une Comédie comme Ccnie\ la fituation où elles nous jettent, nous fuivroit long- temps , fi les images gaies de nos petites Pièces ne calmoient notre fenfbilité Se n'eiTuyoient nos larmes. Je fuis, Sec* Svk ia Danse. 19$ LETTRE IX. V_>'Eft comme vous le favez, Monfieur, fur le vifage de l'homme que les par- lions s'impriment , que les mouvements & les affections de l'ame fe déploient & que le calme, l'agitation, le plaifîr, la douleur, la crainte & l'efpérance fe peignent tour-à-tour. Cette expreflion cft cent fois plus animée, plus vive 6c plus précife que celle qui réfulte dot difeours le plus véhémenr ? Il faut un temps pour articuler fa penfée , îl n'en faut point à la phyfionomie pour la rendre avec énergie ; c'eft un éclair qui part du coeur , qui brille dans les yeux, ■& qui répandant fa lumière fur fur tous les traits annonce le bruit des Nij i<)C Lettres paillons, &: laide voir pour ainfi dire l'ame à nu. Tous nos mouvements font purement ' automatiques & ne ligni- fient rien, Ci la face demeure muette en quelque forte , «Se Ci elle ne les anime & ne les vivifie. La phylionomie eft donc la partie de nous-mêmes la plus utile à l'expreffion ; or pourquoi l'écTipfer au Théâtre par un mafque &c préférer l'Art grofTier à la belle nature? Comment le Danfeur pcindra-t-il , G. on le prive des couleurs les plus cflèn- tielies ? Comment fera-t-il pafler dans l'ame du Spectateur les mouvements y qui agitent la tienne 9 s'il s'en ôte lui- mtme le moyen , Cv s'il fe couvre d'un morceau de carton & d'un vifage pofti- che, trifte & uniforme, froid & immo- bile. Le vifage eft: l'organe de la Scène muette, il eft l'interprète fidelle de tous Sur la Da'nse. 197 les mouvements de la Pantomime ? en voilà aflèz pour; bannir les ma£-' ques de " la Danfe cet Art de pure; imitation , dont l'action, doit tendre? uniquement à tracer , .à- féduire &àT toucher par la naïveté & là .vérité de* fes peintures. ' - -: .*:'-".::. .ri Je ferois fort embarrafle de démêler; l'idée d'un Peintre, & de concevoir le fujet- qu'il auroit voulu jeter fur la: toile, 11 toutes les têtes de Tes Figures» éroient uniformes comme le font celles: de l'Opéra, & fi les traits Se lescara-., : Cteres n'en étoient pas 'variés. Je ne? pourrois, dis-je , comprendre ce qui: engage tel perfonnage à lever 'le bras, tel autre a avoir la main à la garde dc< fon fabre ; il me feroit împoffible dcl difeerner le fentiment qui. fait lever la; tête & les bias à celui * cl, & reculer- Niij 15>£ -L i t t n» i s çclui-là j toutes les Figures fuflent-ellej deflmées dans les règles de l'An & les proportions de la nature , il me feroit mal-aifé de faifir l'intention de l'Ar- tifte i je confulterois en vain toutes les phyfionomics , elles feroient muettes j leurs traits monotones ne m'initrui- roient pas; leurs regards fans feu , fans paffion,fans énergie ne medi&eroient rien ; je ne pourrois me difpenfer enfin de regarder ce Tableau comme une co- pie fort imparfaite de la nature, puifque je n'y rencontrerois pas cette variété qui l'embellit Se qui la rend toujours nouvelle. Le Public s'appercevra-t-il plus faci- lement de l'idée & du delfein d'un Danfeur, û fans cefle il lui cache fa phyfîonomie fous un corps étranger ; s'il enfouit l'efprit dans la matière , &. SxfvL £a DXkse. ip5 s'il fubftitue au* traits variée de la' na- ture ceux d'un plâtre mal deflîné 8t enluminé de la maniéré la plus défa- gréable > Les panions pourront - elles fc montrer & percer le voile que l'Ar- tifte met entre le fpectateùr & lui > Parviendra-t-il à répandre fur un feul de ces vifages artificiels les caractères innombrables des partions ? lui fera- t-ii poflïble de changer la forme que lé moule aura imprimé à fon mafque ? car 1 Un mafque de quelque genre qu'HToié efï froid ou plaifartt , férieux où cômi- qUe', trifteou grotefque. Le Modcleuf ne lui prête qu'un caractère permanent? & invariable ; s-'il 'réiiflît aifémerit £ bien rendre les Figurés hideùfes" ^con- trefaites , & toutes 1 celles qui font pure- ment d'imagination , il n'a pas le même 1 fuccès lorfqu'il abandonne la- charge Niv 100 L 'e T T R I 5 & qu'il cherche à imiter la belle nature \ celVe-t-il de la faire grimacer? il devient froid, Ces moules font de glace , Tes mafqucs font fans caractère & fans vie» il ne peut fai/ir les fineilès des traits cv toutes les nuances imperceptibles , qui grouppant , pour ainft dire , la phyfio- nomie lui prêtent mille formes diffé- rentes. Quel cft le Modeleur, qui puijlè entreprendre de rendre les partions dans toutes leurs dégradations? Cette variété immenfc qui échappe quelquefois à la Peinture «Se qui cft la pierre de touche du' grand Peintre, peut-elle £trc ren- due avec fidélité par un faifeur de maf- qucs^Non, Monfieur, le Magafin de Du creux ne fut' jamais celui de la na-; turcj fes mafqucs en offrent la charge» & ne lui reflemblent point. ... llfaudroit pour autorifer l'ufage des Sur.' l'A* D au s*, iox mafquesdans laDanfe en action, en mettre autant de différentes efpeces fur fa phyfionomie que Dont Japhct d'Ar* menic met de calottes de diverfes cou- leurs fur fa tetc , les ôter & les re- mettre fucccflivement,fuivant les cir- conflances & les mouvements oppofés que l'on éprouveroit dans un pas dt deux. Mais on eft: attaché à un ufage plus facile, on garde une face emprun- tée qui ne dit rien , & la Danfe qui s'en relient nécessairement ne parle pas mieux; elle eft totalement inanimée. Ceux qui aiment les mafques , qui y font attachés par ancienneté d'habi- tude , & qui croiroient que l'Art dégér nérerolt fi l'on fécouoit le. joug des vieilles rubriques de l'Opéra , diront pour autorifer leur mauvais goût , qu'il cil des caractères au Théâtre qui exi? 201 L E f T R E S genc des mafques; comme les Furies l les Tritons , les Vtnts , les Faunes , &c. Cette objection eft foible , elle eft Fon- dée fur un préjuge moins facile à com- battre qu'à détruire. Je prouverai pre- mièrement que les mafqucs dont on fe fert pour ces fortes de cara&crcs font mal modelés, mal peints & qu'ils n'ont aucune vraifemblance ; fecondement , qu'il eft aifé de rendre ces perfonnages avec vérité fans aucun fecours étran- ger. J'appuierai enfuite ce fenriment par des exemples vivants que l'on ne pourra rejetter fi l'on eft enfant de la nature, fi la fimplicité féduit , fi le vrai femble préférable à cet Art groflîer qui détruit l'illufion & qui affaiblit le plaifir du Spedateur. Les caractères que je viens de vous nommer font idéaux & purement " Svk ia Danse. ao$ d'imagination j ils ont été créés & enfantés par les Poètes ; les Peintres leur, ont donné enfuite une réalité par des traits & des attributs différents qui ont varié à mefure que les Arts fe font perfectionnés , Se que le flambeau du goût a éclairé les Artiftes. On ne peine plus , ni on ne danfe plus les Vents avec des foufïlets à la main , des mou- lins à vent fur la tête & des habits de plumes pour caractérifer la légèreté ; on ne peindroit plus le monde , & on ne le danferoit plus avec une coëffure qui formeroit le Mont-Olympe , avec un habit repréfentant une cane de Géographie ; on ne garnira plus fon vêtement d'inferiptions ; on n'écrira plus en gros caractères fur le fein & du côté àuc(£\xr > GaI/iajCnr\e'vcnv:e 3 Germania; fur une jambe, Italla; fur le derrière, i©4 -Lettres Terra aujlralis incognita ; fur un bras, Hifpania , &c. On ne caraéHrifera plus la Mufique avec un habit rayé à plufieurs portées & chargé de croches & de triples croches? on ne la coërfera' plus avec les - clefs de G -ri-fol , de' C-fol ut, Se do Fut-fa ? On ne fera plus danfer enfin le menfonge avec une jambe de bois , Un habit garni de man- ques, &:unç lanterne fourde à la main. Ces allégories grofiîeres ne font plus de notre lîecle ; mais ne pouvant con-* fulter la nature- à l'égard de ces êtres* chimériques, confultons du moins les Peintres ; ils repréfentent les Vents , les Furies & les Démons fous des formes' humaines ; les Faunes Si les Tritons ont' la partie fupérieure du corps femblable* aux hommes , la partie inférieure tient' du Bouc Si du Poillbn. , ] Sur la Danse. ioj. , Les mafques des Tritons font verds & argent; ceux des Démons couleur de feu & argent; ceux des Faunes, d'un brun noirâtre ; ceux des Vents font bouffis & dans l'action de quelqu'un qui fait des efforts pour fouffler ; tels font nos mafques : voyons préfente- ment en les comparant avec les chefs- d'eeuvres de la Peinture s'ils ont quel- que refTemblance ; je vois dans les Ta- bleaux les plus précieux, des Tritons dont les phyfionomies ne font point vertes; j'apperçois des Faunes Se des Satyres d'un teint rougeâtre& bazanné, mais un brun fombre n'efi: pas répandu également fur tous les traits ; je cher- che 'des phyfionomies couleur de feu & argent , mais inutilement -, les Dé- mons ont un teint rougeâtre , qui emprunte fa couleur de l'élément qu'ils xo6 Lettres habitent ; je fens la nature & je la vois par-tout ; elle ne Te perd point fous l'é- paifïèur de la couleur & fous la pefanteur de la grofTe broffe ; je diftingue la forme de tous les traits ; je les trouve fi vous voulez hideux > charges, tout meparoît outré; mais tout me montre l'homme, non comme il cft: , mais comme il peut être fans choquer la vraifemblance. D'ailleurs la différence de l'homme & de ces Êtres engendrés de la fi&ion & du cerveau des Poètes n'eft-elle pas néceflaire, & les habitants des éléments ne doivent -ils pas différer en quelque chofe de l'humanité ? Les mafques des Vents font ceuxquireflemblenc le mieux aux Originaux que les Peintres nous ont . donné , & fi l'on a befoin d'un mafquc . au Théâtre, c'efl: fans doute de celui- • là. Deux raifons me le feroient adopter; S\?k u Danse. ^07 Premièrement , la difficulté de confer-» ver long-temps cette phyfionomie bour- fouffiée; fécond ement, le peu d'cxprek fîon de ce genre. Il ne dit rien, il tourne avec rapidité , il a beaucoup de mou-* vement &c peu d'a&ion ; c'eft: un tour-» billon de pas fans goût & fouvent eflxo-» pies qui éblouifïènt fans fatisfaire , qui furprennent fans intéreflêr , ainfî le mafquc ne dérobe rien. Je trouve , Monficur , ce genre Ci froid & fi en- nuyeux , que je confentirai même que le Danfeur en mette plufieurs , s'il ima-» gine pouvoir amufer par ce moyen ceux qui les aiment. Si l'on en excepte Borée dans le Ballet ingénieux des fleurs , je ne connois à l'Opéra que des vents auflï fatigants qu'incommodes. En fupprimant les mafques , ne fe- roit-il pas pçffible de déterminer les 10S • L E T T R ES Danfeursà s'ajufter d'une manière plus pittorefque & plus vraie î Ne pour- roient-ils pas fuppléer aux dégradations du lointain, & parle fecours de quel- ques teintes légères & de quelques coups de pinceau diftiibués avec Art, donner à leurs phyfionomies le cara- ctère principal qu'elle doit avoir ? On ne peut rejetter cette proposition , fan j ignorer ce que la nature peut produire lorfqu'elle eft aidée & embellie des charmes de l'Art; on ne peut,dis-jc, me-condamner , qu'en ignorant tota- lement l'effet féduifant qui refaire' de* cet arrangement & les métamorpho- fes intéreltàntes qu'il opère fins éclip-- fer la nature, fans la défigurer , fans affaiblir fes traits , fans la faire grima- cer ; un exemple étayera cette vérité , il'lui donnenrla-force de perfuader les- gens Sur laDanse, 209 gens de goût, & de convaincre une foule d'ignorants incrédules dont le Théâtre cft infecté. M. Garrick célèbre Comédien Anglois cft lemodele quejevaispropofer. Iln'en eftpas déplus beau , de plus parfait & de plus digne d'admiration $ il peut être re- gardé comme le Prothée de nos jours car il réunit tous les genres , & les rend avec une perfection 6c une vérité qui lui atti- rent non feulement les applaudiflèmenti & les fuftrages de fa Nation, mais qui excitent encore l'admiration & les éloge* de tous les étrangers. Il eft fi naturel , fon expreflîon a tant de vérité, fes geftes , fa phyfionomie & Ces regards font fi éloquents & fi perfuafifs , qu'ils mettent au fait de la Scène ceux mé% mes qui n'entendent point l'Anglois 5 on le fuit fans peine j il touche dans le O vlIO ,-L.! T T I\ B s .Pathétique* il. fait éprouver dans .le Tragique les mouvements fuccefTifs des pafïîons les plus violentes, Se fi j'ofe m'exprimez ainn", il arrache les entrail- les du Spectateur , il déchire Ton cœur, il perce fou amc , & lui fait répandre des larmes de fang. Dans le Comique noble -il féduit& il enchante j dans le genre moins élevé il amuie talen* : Oij itX ^ LyÉ T T R I- S - d'autant plus cftimable , qu'il empêche PAtteur de s'égarer & de fe tromper dans lesteintes qu'il doit employer dans fes Tableaux ; car on prend fouvent le froid pour la décence , la monotonie pour le raifonnement , l'air guindé pour l'air noble ; la minauderie pour les grâ- ces, les poumons pour les entrailles , la multiplicité des geftespour l'action, l'imbécillité pour la naïveté , la volubi- lité fans nuances pour le feu , & les contorfions de la phyfionomic pour VcxprcfTîon vive de l'ame. Ce n'eft point tout cela chez M. Garrick : il étudie fes rôles , & plus encore les pafTions. Forte- ment attaché à fon état, il fe renferme en lui-même , & fe dérobe à tout le monde les jours qu'il joue des rôles importants ; fon génie l'élevé au rang "du Prince cju*il doit repréfenter -$ il en Sur ia Da-nse, zi$ ftcnà les vertus & les foibleflês > il en faifit le caractère & le* goûts j il fe transforme j ce îi'eftplus Garrlck à quji J'on parle , ce n'eft plu* Garrlck que l'on entend : la n^tamorphofev une fois faite , le Comédien. _difpaj:oît Se le Jiérosfe m.oncrej il ne reprenti & forme naturelle que lorfqu'il a rempli les de> voir$ de fon état. Vousr Concevez » Monfleur v qu'il eft peu libse-i que fob aine eft toujours agitée > que fon ïrïuty gination travaille fans, eéflfè^ qu'il eft le» ïrois quarts de fa yie dans m» Enthoùi Calme fatigant qui altère .(d'autant plusfafanté qu'il fe tourmente & qu'il fe pénétre d'une fituadon trifte «Se mal-* heureufe* vingt-quatre heures- avant de la peindre & de s'en délivrer. Rien da fi gai que lui au contraire les jour* où il doit repréfenïec unj Poète > ua> Oiij 1I 4 - l K'é T t'K E S' Artifan , un » Homme du Peuple, ur\ Nouvellifte", un petit Maître ; car cette efpece règne en Angleterre, fous une •autre 'forme à la vérité que chez nous; le génie différera, fi vous le voulez, mais l'exprefîîon du ridicule & de l'imperti- nence eft «égale 1 \ dans ces fortes de rôles, dis-je, fa r 'phyfionômic fe déploie avec naïveté ; Ton ame y eft toujours répan- due ; -fes traits font autant de rideaux qui fe tirent adroitement, & qui laifîVnt voir à chaque inftantde nouveaux Ta- bleaux peints par le fentiment & la vérité. On-peut fans partialité le regar- der comme le Rofcius de l'Angleterre , puifqu'il réunit à la diction , au débit, nu feu , au naturel , à l'efprk & à la finefle cette Pantomime & cette ex- freflion rare de la Scène muette, qui caiattérifcndc grand Acteur & le parfait Sur la- Danse. it$ Comédien. Je ne dirai plus qu'un mot au fujet de cet Acteur diflingué , & qui) va défigner la fupériorité de Tes talents. Je lui ai vu repréfenter- une Tragédie- à laquelle il avoit retouché , car il joint au mérite d'exceller dans la Comédie; celui d'être le Poëte le plus agréable de fa Nationj je lui ai vu, dis- je,' jouer un tyran, qui enrayé de l'énormité de ; fes crimes , meurt déchiré de Ces remords. Le dernier Acte n'étoit employé qu'aux regrets & à la douleur ; Miumanit& rriomphoit des meurtres & de la bar-' bariejle tyran fenfible à fa voix dé-1 • teftoit fes crimes ; ils devenoient par- gradations Tes Juges & (es Bourreaux ; la mort à chaque inftant s'imprimoit fur fon vifage ; fes yeux s'obcurcnlbient; ; fa voix fe prêtoit à peine aux efforts qu'il faifoit pour articuler fa penfce j Oiv n 6- Lbttri»" Tes geftes, fans perdre de leur expreflîon cara&érifoient les approches du dernier inftant j fes jambes Te déroboient fous lui i Ces traits s'allongoient > fon teint pâle & livide n'empruntoit fa couleur que de la douleur & du repentir j il tomboit" enfin dans cet inftant , fes cri- mes fe retraçoient à fon imagination fous des formes horribles. Effrayé des Tableaux hideux que fes forfaits lui préfentoient j il luttoit contre la morti la nature fembloit faire un dernier effort : cette fîtuation faifoit frémir., llgrattoit la terre, il creufoit en quel- que façon fon tombeau ; mais le mo- ment approchoit,on voyoit réellement la mort ; tout peignoit l'inftant qui ramené à l'égalité; il expiroit enfin: le» hoquet de la mort & les mouvements çonvulnfs d» la Phyfionomie, des bras , Sur la" Danse. xiy & de la poitrine , donnoient le dernier coup à ce Tableau terrible. Voilà ce que }'ai vu, Monlîeur, & ce que les Comédiens devroient voir ; voilà l'homme que je cite pour modèle j tant- pis pour ceux qui . dédaigneront de le fuivre. En imitant ce grand homme , il ne feroit pas difficile d'abolir les ma£ ques, parce qu'alors les physionomies feroient parlantes & animées , & que l'on poflederoit le talent de les caracté- rifer avec autant d'Efprit & d'Art que M. Garrick lui-même. Plufieurs perfonnes prétendent que les mafques fervent à deux ufages : premièrement à l'uniformité j féconde- ment à cacher les tics ou les grimaces produites par les efforts d'un exercice pénible. Il n'eft d'abord queftion que de favoir û cette uniformité, eft un Il8 ' L ET TRES bien ; pour moi je l'envifage tout dif- féremment', je trouve qu'elle altéré la vérité & qu'elle détruit la vraifem- blance. La nature eft-elle uniforme dans fes productions ? Quel eft le Peuple de la terre à qui elle a donné une exacte reflemblance ? Tout n'eft-il pas varié ? tout ce qui exifte dans l'Univers , n'a- t-il pas des formes , des couleurs & des teintes différentes? Le même arbre pro- duit-il deux feuilles femblablcs , deux fleurs pareilles , deux fruits égaux î Non, fans doute, les gradations & les dégradations des productions de la nature font infinies ; leur variété eft immenfe & incompréhenfible. Si t'on trouve rarement des Mcnechmes ; M l'uniformité des traits & la conformité de la refTemblance eft admirée dans deux jumeaux , comme un jeu de la S t7 k L À '-Tf'A. US lé 119 4 nature, quelle doit être ma furprife,lorf- que )é verrai à l'Opéra douze hommes qui n'auront à eux tous qu'un même vifage i & quel fera mon étonnement lorfque je trouverai dans les Grecs, dans les Romains , dans les Bergers , dans les Matelots, dans les Jeux, dans les Ris , dans les Plaifirs, dans les Prêtres, dans les Sacrificateurs enfin une feule Se même Phyfîonomie ! Quelle abfurditél fur-tout dans un Spectacle où tout va- rie , où tout eft en mouvement , où les lieux changent, où les nations fe fuccé- dent, où les vêtements différent à chaque inftant , tandis que les phyfionomies des Danfeurs ne font qu'une : nulle diverflté dans les traits, nulle exprelTîon , nul ca- ractère : tout meurt , tout languit ; & la nature gémit fous- un mafque froid &: défa^rtable. Pourquoi laifïèr ue>' L A * T * * ' aux Aûeurs & aux Chanteur* dès qu'on la dérobe à ceux qui privés de la parole & del'ufage de la voix en auroient encore plus befoin qu'eux?Quel contre-fens que celui qu'offrent le Dieu Pan & une partie des Faunes & des Sylvains de fa fuite avec des vifages blancs, tandis que l'au* tre partie porte des mafques bruni ! Lep Démons danfants font couleur de feu, & ceux qui chantent à côté d'eux ont un teint pâle &. livide. Les Dieux ma r rins, lea Tritons, les Fleuves , les Qn- dains ont la phyfionomic femblabls à la nôtre lorfqu'ils chantent \ les, fait-on danfer ? ce font des vifages verds-der pré qui pafieroient à peine dans une mafearade uniquement deftince au déguifement. Voilà cette uniformité prétendue, abfolument déixuiteVÉft-ellc / S v k ï A- Danse, xi ï - : • •;, :• il'. néceflàire ? que l'on rnafquc générale- ment tout le monde. Cefïè-t-elle de l'être ? que l'on brife Irt mafques; , car les raifons qui en interdifent l'ufage aux A&eurs font les mêmes que celles qui doivent le proferire dans la Danfe. Vous voyez , Moniteur , que toutes les phyfio- riomies bigarrées ne font faites quepour choquer tous ceux qui font amis du vrai, du fimple Se du naturel. Mais partons aux tics ; c'eft une ob- jection Ci foible , qu'il ne me fera pas difficile d'y répondre. Les tics, les con- torfions & les grimaces prennent moins naiffance de l'habitude , que des efforts violents que l'on fait pour fauter i efforts qui contractant tous les mufcles* font grimacer les traits de cent manières* différentes , & auxquels je ne peux fe- connoître qu'un Forçât 6c non ud 111 L 1 T T. R. ! S g Danfeur & un Artifte. Tout Danfcur qui altère Tes traits par des efforts & dont le vifage eft fans cette en con-- vulfion, eft un Danfeur fans ame qui ne penfe^qu'à Tes jambes, qui ignore les premiers éléments de Ton Art > qui ne s'attache qu';\ la partie grofïicre de la Danfe & qui n'en a jamais fenti l'ef- prit. Un tel homme eft fait pour aller faire le faut périlleux : le Tramplain* & la Batoudc doivent être fon Théâtre puifqu'il a facrifié l'imitation , le génie & les charmes de fon Art à une routine qui l'avilit j puifqu'au lieu de s'attacher à peindre & à ftntir, il ne s'eft appliqué qu'à la méchanique de fon talent j puifqu'enfin fa phyfionomie ne. montre que la peine & la douleur, lorfqu'elle _ * Planches pofécs'dc manière qu'elle* ont une grande elafticitc , ce qui faciUtc les faut» pciillcux des Danfeuts de ccude. , , , SVr la Danse. 113 "neMevroit me tracer que les paflîôns Ôc les affections de fon ame : un tel homme -enfin n'efl: qu'un mal-adroit dont l'e- -xécution pénible eft toujours défagréa- ble.Eh ! qui peut nous flatter davantage, •Monfieur, que l'aifance & la facilité ? Les difficultés ne font en droit déplaire que lorfqu'elles fe préfentent avec les traits du goût Se des grâces ,& qu'elles •empruntent enfin cet air noble &aifé, qui dérobant la peine ne laifle voir que la légèreté. Les Danfeufes de nos jours ont , proportion gardée, plus d'exécu- tion que les hommes j elles font tout ce qu'il eft: pofïible de faire. Mlle. Lany embarraflera toujours Un Danfeur, s'il n'eft ferme & vigoureux, vif, brillant & précis. Je demanderai donc pour-; quoi les Danfeufes confervent les grâ- ces de leur phyfionomie dans les inftants n4 Lettrés les plus violents de leur exécution ? Pourquoi les mufcles du vifage ne fe contracttnt-ilspzs ,lorfque toute la ma- chine eft ébranlée par des fecoufles vio- lentes & par des efforts réitérés ? Pour- quoi , dis-jc , les femmes naturellement moins nerveufes, moins mufculeufcs Se moins fortes que nous , ont- elles la phyfionomic cendre Se voluptueufe , vive Se animée , & toujours erprefïive , lors même que les reflbrts Se les mufcles qui coopèrent à leurs mouvements , font dans une contention forcée , Se qui contraint la nature ? D'où vient enfin ont-elles l'Art de dérober la peine , de cacher le travail du corps Se les im- prelTîons défagréables, en fubfti tuant à la grimace convulfive qui naît des efforts la fîneflè de l'expreflion la plus délicate &U plus tendre ? C'cft qu'elles apportent Sur » à, Dakse. \tif apportent une attention t particulière à -l'exercice i qu'èUesfavent qu'une çon- „tor(îon enlaidit les traits, &• change le caractère de la phyfionomie ; ç'eft qu'elr Jes Tentent que l'amc fe déploie, fur Je vifage, qu'elle fe peint dans les yeux* ;qu'elle anime & vivifie les traits j qu'elles -font perfuadées enfin que . la. phyfiono- iiïie eft, ainfique je l'ai dit, la .partie .,d.£ nous-mêmes où toute l'expreffion fe .raflemble , & qu'elle eft le miroir fidelle .de nos fentimeiits,de ; nos mouvements & de nos affections. Aufïî mettent-elles plus d'amc, plus . d'cxprcffion ; & plus d'intérêt dans leur exécution que; les ;hommes. En apportant-, le même ; foin .qu'elles, nous, ne ferons ni- arfçeiix ni .dcfagréables^nous ne contracterons plus •d'habitude vicieufe ; nous n'aurons plus de tics, & nous pourrons nous "paflèr "7 ""."."V P " 1\£ - L ITfX.II «l'unmafquc qui dans cette circonftance aggravé le mal fans le détruire ; c'eft une emplâtre qui dérobe aux yeux les imper- fections , mais ^ui les laide fubfifter. Le remède néanmoins ne pourra s'ap- pliquer, fi l'on cache continuellement fa phyfiônomie. En effet, quel confcil peut-on donner à un mafqueî ilferoic toujours froid Se maufîàde en dépit des bons avis. Que l'on dépouille la Phyfio- nomie de ce corps étranger ; que l'on abolirtè cet ufiigè qui donne des entra- ves à l'ame & qui l'empêche de fe dé- ployer fur les traits ; alors on jugera le Danfeur , on eftimera fon jeu. Celui qui joindra aux difficultés & aux grâces de l'Art cette Pantomime vive & ani- mée, & cette exprefllon rare de fenti- ment , recevra avec le titre d'excellent Danfeur, celui démarrait Comédien; Sur i à Dans e. iij les éloges l'encourageront^ les avis & les confeils des connoiflèurs le condui- ront à la perfc&ion de Ton Art. « On lui »diroit alors, votre phyfîonomie étoit »trop froide dans tel endroit} dans tel » autre vos regards n'étoient pas aflèz » animés ; le fentiment que vous aviez » à peindre étant foible au-dedans , n J a » pu fe manifefter au dehors avec aflèz »de force & d'énergie; auflî vosgeftes »& vos attitudes fe font -ils' reflentis » du peu de feu que vous avez mis dans » l'action; livre2-vous donc davantage »Une autre fois;pénétrez-vous de la fitua- » tion que vous avez à rendre , & n'ou- »bliez jamais que pour bien peindre, -il »faut fentir , mais fentir vivement. » De tels confeils , Monfieur, r'éndroient là. Danfe aufTi floriflante que la Panto- mime ■Vêtait chez les anciens, & lui pij aiS Lettres donnèrent un luftrc qu'elle n'atteindra Jamais , tant que l'habitude prévaudra fur le bon goût. Permettez-moi donc de donner la préférence aux Phjfionomies vives & animées. Leur variété nous diftingue , elle indique ce que nous fommes, &£ nous fauve enfin de la confulion géné- rale qui régneroit dans l'Univers, Ci elles fe rellembloient toutes comme à l'Opéra. Vous m'avez dit plufieurs fois que pour abolir l'ufage des malqucs > • il faudroit nécelfaircment que tous .les Danfeurs eulfent une Phyfionomie théâ- trale» Je fuis de ce fentiment, &'je ne fais pas plus de cas d'un vifage trifte , froid & inanimé que d'un mafque > mais comme il y a trois genres de Danfe, réfervés à des tailles & à des phyfio- " ' fï Svr la Danse. 119 nomies différentes , les Danfeurs en s*é-\ xaminant avec foin, & en fe rendant juftice , pourront tous fe placer avan- tageufement. Leur objet eft égal: dans quelque genre, que ce (bit, ils doivent imiter , ils doivent être Pantomimes & exprimer avec 'Forcé. - Il n'eftdonc queftion que de faire parler à laDanfe un langage plus ou moins élevé, fui- ' vaut la dignité du fujet & l'efpcce du' genre. La Danfeférieufe& héroïque porte en ' foi le caractère de la Tragédie. La mixte ou demf-férieufe , que l'on nomme com- munément demi-caraclcre, celui delà Co-' médie noble , autrement dit le haut-coml- qut.Lz. Danfe grotcfque, que l'on appelle improprement Pantomime puifqu'elle ne dit rien, emprunte Ces traits de la Comédie d'un genre comique, gai" ÔC P iij . • Z$© . L B T T R I S plaifant. Les Tableaux d'hiftoire du célèbre Vanloo font l'image de la Danfe ferieufe, ceux du Galant &de l'inimi- table Boucher s celle de la Danfe demi- caracttre ; ceux enfin de l'incompara- ble Tcnitrs > celle de la Danfe comi- que. Le génie des trois Danfeurs qui embrafleront particulièrement ces gen- res , doit être auffi différent que leur taille, leur phyfionomie 8c leur étude. L'un fera grand , l'autre galant , & le dernier plaifant. Le premier puifera fes fujets dans l'Hiftoire & la Fable ; le fé- cond dans la Paftorale , & le troifieme dans l'état groflier &: ruftique. Il n'eft pas moins néceflaire qu'ils aient de l'efprit , du goût & de l'ima- gination , ainiî que trois grands Peintres dans des genres oppofés. Ces trois Dan- feurs doivent faifir cet initant de vérité .... S u R s tiÀi D A n's i. *$ 1 >& cette imitation juftequi place la copié-' au rang de- l'original & qui pféfente r l'objet réel dans l'objet imité. -"'■'' ■] La taille .qui convient au Sérieux eftfans contredit la taille noble & élé~ gante. Ceux qui fe livrent,à ce genre ont fans doute plus de difficultés à furmonter , & plus d'obftacles à com- battre pour arriver à la perfection. C'eft avec peine qu'ils fe deflînent agréable- ment : plus les parties ont d'étendue , plus il eft difficile de les arrondir &de. les développer avec grâce. Tout eft fé-* duifant, tout eft charmant dans les pe- tits enfants ! leurs geftes , leurs attitudes font pleins de grâces , les contours -eir font admirables. Si ce charme diminue,' fi tel enfant eefle de plaire , fi Tes bras pa- ; roifTent moins bien défîmes, fifa tête n'a-. plus cet agrément qui féduifoit le Spec^ Piv 131 .: I E T T'IL E.S * . taceur s c'eft qu'il grandit, que Tes mem- bres;^ • s'allongeant perdent de leur, gencillefle , & que les beautés réunies; dans un petit efpace frappent davan- tage que lorfqu'elles font éparfes. L'œil; aime à YQir,.& n'aime point à chercher.- Tout ce qui ne [fc préfente point à nos. fensavec les traies de la beauté, ne nous, flatte que médiocrement. En fait d'Art, agréable, on fuit la peine ,, on craint l'examen, on veut erre féduit > n'im- parte à quel prix. L'inflant eft le Dieu qui détermine le Public i que l'Artif:e le' faifillc, ileftsiir de plaire. . ; La tadle qui eft propre au demi—, taracLrt & à la Danfç voluptueufe eft fans contredit la moyenne j elle peut réunir toutes les beautés de la taille élé- ( gante. Qu'importe la hauteur , fi les.; belles .pioporùons brillent égale» i ■■ii SxrnT la" Dans ï. i 5 5 ment dans toutes les parties du corps?- : La taille du Danfeur comique exige- moins de perfections ; plus elle fera rac- courcie", & plus elle prêtera de grâce, de gentillefle & de naïveté à l'expreflïon.' • Les phyfionomies ainfi que les tailles doivent différer. Une Figure noble ," de grands traits , un caractère fier, un regard majeftueux , voilà le mafque du Danfeur férieux. . ' Des traits moins grands r une ^figure' aufli agréable qu'intéreflante*, un vifage compofé pour la volupté & latendrefley eft la phyfionomie propre au demi-ca^ racterc de au genre paftoral. . Une phyfionomie plaifante & tou- jours animée :par l'enjouement & la gaieté , eft la feule qui convienne aux Danfeurs comiques. Ils , doivent . être > pour ain/i dire , les finges de la narure,- 154 .Lit t k es & imiter cette /Implicite , cette joie franche & cette cxprcfïion fans Art qui règne au village. Il n'eft donc queftion , Monfieur , pour Ce paflèr de mafque &c pour réuf- fir, que de s'étudier foi-même. Consul- tons fouvent notre miroir ; c'eft un grand Maître .qui nous dévoilera tou- jours nos défauts & qui nous indiquera, les moyens de les pallier ou de les dé- truire, lorfquc nous nouspréfenterons à lui, dégagés d'amour propre Se de toutes préventions ridicules. Le cara- ctère de la beauté eft beaucoup moins néceflaire à la phyfionomie que celui «le l'efprit j toutes celles qui , fans être régulières, font animées par le fenti- menr, plaifent bien davantage que celles qui font belles > fans expreiïion .& fans vivacité. LeThéatrc d'ailleurs eftavan- Sur. la Danji, 13; tageux a l'A&eurj les lumières donnent ordinairement de la valeur aux traits , & les phyfionoraics qui.font fpirituelles gagnent toujours à .être vues fur la Scène. Au refte , Monfieur , les Danfeurs qui pèchent parla taille, par la figure & par l'efprit, & qui ont des défauts vifibles & rebutans doivent renoncer au Théâtre , Se prendre , comme je l'ai déjà dit,' un métier qui n'exige aucune perfection dans la ftructure ni dans les traits. Que tous ceux au contraire qui font favorifés delà nature , qui ont un. goût vif & décidé pour la Danfe , & qui font comme appelles à là pratique^ dé? cet Art , apprennent ' à -fé~ placer & à ùlCir le genre qui' leur cft véritablement propre ', fans cette précaution , plus dé réuilîte, plus de fupériorité. Molîcre n'auroit point eu de fuccès, s'il eût Ij6 . L I f' T'R 1 s voulu afpirer à être Corneille, &cRaci/fe' n'auroit jamais été un Molière. r. Si M. Prèvillc n'a pas pris les rôles' de Rois, c'eft que le caractère plaifant' & enjoué de fa ligure, auroit fait rire au lieu d'en impofer ; & s'il excelle dany fan emploi , c'eft qu'il a fu le choinr comme celui qui lui convenoit le mieux,' &'pour lequel il étoit né. M. Lany , par la même raifon s'eft livré à la Danfe comique ; il y . eft admirable , parce que ce genre ferable fait pour lui, ou plucôc parce qu'il eft fait, pour ce genre : il feroic déplacé ,.& n'auroit pas été fupérieur, s'il eût adopte 'celui du célèbre DuprL •' M. Graniyat. n ? a choifi ni les Crif- pins ni les Financiers. La noblcfle de fa » taille, le caractère aimable de fa figure, la tendrelfe de fon exprefTion, ne lau- toientpa,s fervi dans des rôles- où il Sttr. i'atDakje. 157 n'cft pas\nécen r aite de -reftèmbler à tin homme ; de: condition» M, Dumoulin pareillement s'étoit éloigné du bas co^ mique , - il avoic/embraflè' comme le genre quç lui étok':propre ; celui Ad pas de deux ; & .de la Dànïè tendre >& •exprefïïve.. i w •,..;•'. rJ c?:;p 1, M. Sarra%in enfin n'auroit pas trouve en lui ce Jqu'il faut' pout: jouer les map & tous tesrôies de : Charges attaches.: à cet emploi. L'élévation. xle. Ton ame, le ' cara&ere refpectabledefaphyfionomfe, fes organes difpofés 1 à rendre le pathéti j que & araire verfer des larmes n'au^ xoient pu cônvenir.à.des'rcaraiâeresbas; qui exigent aufli peu -dotaient ;quc de perfiîcVton. U a doue ; pris -.l'emploi' des Rois;& des Pères . nobles»* r rôles: dans lefquels il excelle^M. :r¥ dès : lors l'on ne diro't plus , tel Dan- feur excelle dans la Chaconnc , tel autre a / I4i Lettres brille dans la Lourc; telle Danfeufe cfV admirable dans le* Tambourins; celle- ci eft unique pour les Pojfepicds , & celle-là eftfupérieure dans les Mufcttcs; mais on pourroit dire alors, ( & cet éloge feroit plus flatteur , ) tel Danfeur cft inimitable dans les rôles tendres & voluptueux ; tel autre eft: excellent dans les rôles de Tyran ,&dans tous ceux qui exigent une action forte ; telle Dan- feufe féduit dans les rôles d'amoureufe> telle autre eft incomparable dans les rôles de fureur ; celle-ci enfin rend les "Scènes de dépit avec une vérité fm- guliere. Je conçois qu'un tel arrangement ne peut avoir lieu , fi les Compofiteurs ne renoncent à la V ayfannadt pour pren- dre un genre plus élevé , &' n les Danfeurs ne quittent cette fureur de Suit ia Danse. *43 remuer les jambes & les bras ma- chinalement. Tel eft le caractère de la belle Danfe, qu'il faut y fubftituer le raifonnemenc à l'imbécillité ; l'efprit aux tours dç force > l'expreffion aux difficultés i les Tableaux aux cabrioles $ les grâces au# minauderies ; le fentirnent à la routine des pieds , & les caractères variés de la phyfionomie à ces mafques tiedes qui n'en portent aucun. On pourroit m'alléguer encore que le mafque férieux porte un caractère denobleflè; qu'il ne dérobe point les yeux du Danfeur , & qu'on peut lire dans leurs regards les mouvements qui les affectent : je répondrai première- ment qu'une phyfionomie qui n'a qu'un, caractère , n'eft pas une phyfionomi« théâtrale. Secondement , que le mafquj; 1^4 Lettres ayant une cpaifleur , & réfultant d'un moule donc la forme diffère de celle des phyfionomies qui s'en fervent, il eft impoffible qu'il emboîte exactement les traits j non feulement il groflît la tête &lui fait perdre fes juftes propor- tions, mais il enterre, il étouffe encore les regards. En fuppofant même qu'il ne prive point les yeux de l'expreffion qu'ils doivent avoir , ne s'oppofe-t-il pas à l'altération que les paiîions pro- duifent fur les traits & fur la couleur du vifage ? Le Public peut- il les voir naître , s'appercevoir de leurs progrès & fuivre le Danfeur dans tous fes mou- vements ? L'imagination, diront les défenfeurs du mafque, fupplée à ce qui nous eft caché, Sclorfque nous voyons les yeux étincelants de jaloufie , nous croyons Sur là Danse. 245. voir le refte de la phyfionomie allumé du feu de cette paffion. Non, Monfieur, l'imagination quelque vive qu'elle foie ne fe prête point à des contre-fens de cette efpece ; des yeux exprimant la tendrefle, tandis que les traits peindront la haine , des regards pleins de fureur lorfque la phyfionomie fera gaie 6c en- jouée ,font des contraires qui nefe ren- contrent point dans la nature , & qui font trop révoltants, pour que l'imagi- nation, quelque complaifante qu'elle foit puiflTe les concilier. Voilà pourtant l'effet que produit le mafque férieux ; il efl toujours gracieux & ne peut chan- ger de caractère , lorfque les yeux en prennent à chaque inftantde nouveaux. Il y a plus de deux mille ans , diront les Apologiftes du mafque , que les vifages poftiches font en ufage; mais il diij 246 Lettres y a deux millo ans qu'on cft dam l'erreur à cet égard j cet:e erreur étoit cependant pardonnable aux an- ciens , ôc ne peut l'être chez les mo- dernes. Les Spectacles autrefois étoient au* tant pour le peuple que pour les gens d'un certain ordre. Pauvres, riches, tout le monde y étoit admis s il falloir donc de vaftes enceintes pour contenir un nombre infini de Spectateurs , qui n'auroient point trouvé leplaifir qu'il* venoient chercher, fi l'on n'eût eu re- cours à des mafques énormes , à un ventre , à des mollets poftiches & à des coihurnes fort èxhaufles. Mais aujourd'hui que nos Salles font relTerrées ; qu'elles ont peu d'éten- due j que la porte eft fermée à quiconque ne paie pas j on n'a pas befoin de fup* - Sur la Danse. 147 pléer aux gradations du lointain j l'Acteur ainfi que le Danfeur doivent paroître fur la Scène dans leurs propor- tions naturelles ; le mafque leur devient étranger ; il ne fait que cacher les mou- vements de leur aroe, il eft un obfta- cle aux progrès Se à la perfection de l'Art. Cependant , dira-t-on encore , les mafqucs ont été imaginés pour la Danfe. Il n'y a rien de certain là - deflus , Monfieur, & il y a même plus d'appa- rence qu'ils l'ont été pour la Tragédie & la Comédie. Pour en être plus furs & pour nous en convaincre remon- tons , s'il eft pofTible , à leur ori-> gine. Orphée & Z//zj/j,fuivarit Quintilicn, en parloient dans leurs Poéfîcs : mais à quoi fervoicnt-ils dans ce temps-là au C^iv 14$ Lettres Théâtre ? On ne les connohToic pas encore. Thefpîs qui vint après eux , Fut le p-emier qui barbouillé de lie. Promena -t. \t> Bourgs cette heureufe folie, • Et d'Aftcurs mal ornés, chargeant un tombetca» Arau/a lcPa.Ta.m d'un Spe&iclc nouveau. Efchylt lui fuccéda, & Dans les Chœurs jetta les Perfonnages , D'un marque plu h>nnête habilla les vifaget , , Sur les ais d'un Théâtre en public exhauflé, lit paroitre l'A^eur d'un Brodequin chaude. ' Voilà donc des mafques : mais étoient- ils faits pour les Danfeurs ? les Auteurs ne s'expliquent point , & ne parlent que des Acteurs. Sophocle Se Eurïpïde après eux n'in- troduifiient rien de nouveau ; ils per- fectionnèrent feulement la Tragédie , &ne changèrent aux mafques & Efchylt s > Sur ia Danse. 24$ que la forme dont ils av oient befoin pour les différents caractères de leurs pièces. A peu près dans le même temps parut Crates , à l'exemple à'Epickarmus Se de P hormis , Poètes Siciliens; il donna à la Comédie un Théâtre plus décent, & dans un ordre plus régulier. L'Hif- toire ne dit rien de ce qu'ils firent pour 'les mafques : peut - être différencierent- ils les mafques comiques des tragiques. Je confulte encore Arijlophanc 8c Ménandre , mais ils ne m'inftruifent de rien j je vois que ce premier donne Socrate en Spectacle dans fa Pièce des Nuées , & qu'il fait fculpter un mafque qui en excitant la rifée de la Populace , n'offroit fans doute que la Charge des traits de ce grand Philofophe, Je paffe chez les Romains > Plautt XJO L 1 T T R I S & Tirtnct ne me parlent point des maf- ques deftinés aux Pantomimes. Je vois dans les anciens Manufcrits , fur les Pierres gravées , fur les Médailles & à U tête des Comédies de Tcrcncc des mafques tout aufli hideux que ccur dont on fc fervoit à Athènes. Rofcius 6c jEfopus m'éblouifient , mais ce font des A&eurs & non des Danfcurs. Je tache en vain de décou- vrir le temps de l'origine des mafques à Rome, recherche inutile. Diomldt dit bien que ce fut un Rofcius G al! us, qui le premier s'en fervit pour cacher un défaut qu'il avoit dans les yeux , mais il ne me dit pas dans quel temps ce Rofcius vivoit ; ce qui n'avoit été employé d'abord que pour dérober une difformité, devint parla fuite al>- folument nécelïàire , vu l'immenfitéo!es Sur. ia Danse. *ji Théâtres , & on fit , ainfi qu'à Athènes , des mafques énormes. Grands yeux de travers , bouche large & béante , lèvres pendantes , puftules au front j joues bouffies , tels étoient les mafques des anciens. On ajoutoit encore à ces mafques une cfpcce de cornet ou de porte-voix , qui portoit les fons avec fracas aux Specta* teurs les plus éloignés>ils furent incruftés d'airain : on employa enfuite une efpece de marbre que Pline nommoit Cal-' tophonos ou fon difformes que ceux des A&eursj que IJ4 L B T T R I S leur équipage étoit propre & convena* ble; mais lesmafques écoient-ils moins grands ) Les Danfeurs avoient-ils moins befoin de s'enfler & de fc groffir? de- voient-ils moins ménager le lointain que les A&eurs ? Il y auroit de l'abfur- dité à le penfer ; ceux-ci auroienc donc été des colofTes & les autres des pygmées. Voilà , Moniteur , le feul pafTage qui puifle aflurer que les Pantomimes Ce fervoient du mafque, mais il n'en eft aucun dans les Auteurs anciens ni dans les Auteurs modernes qui ont traité de cette matière, qui me convainque que ces figures colofTalles aient été enfan- tées pour la Danfc. - Enfin , Monfieur,la Comédie Fran- çoife a fecoué cet ufage , non par fri- volité ,, mais par raifon. On a, fend que- Svk la Dan si. IJC ces ombres inanimées & imparfaites de la belle nature , s'oppofoient à la vérité & à la perfection du Comédien. L'Opéra qui de tous les Spectacles cft celui qui fe rapproche le plus de celui des Grecs , n'a adopté les mafques que pour la Danfe feulement , preuve convaincante que l'on n'a jamais foup- çonné cet Art de pouvoir parler. Si l'on s'étoit imaginé qu'il pût imiter , on fe feroit bien gardé de lui mettre un maf- que, Se de le priver des fecours les plus utiles au langage fans parole, & à l'exprefÏÏon vive & animée des mou-« vements de l'ame déiîgnéspar lesfîgnes extérieurs. Que l'on continue à danfer comme on danfe ; que les Ballets ne foient en ufage à l'Opéra que pour donner le temps aux Acteurs eflfouflés de %j6 Lettres reprendre leur rcfpiration ; qu'ils n'in- térelTcnt pas davantage que les en- traxes monotones de la Comédie , 8c l'on pourra fans danger conferver l'u- fage decesvifages mornes auxquels on ne peut préférer une phyfionomie morte & inanimée. Mais fi l'Art fe perfection- ne , fi les Danfcurs s'attachent à peindre & à imiter , il faut alors quitter la gêne, abandonner les mafques, & en brifer les moules. La nature ne peut s'aflo- cier à l'art grolTicr jee qui l'éclipfe 6c ce qui la dégrade doit être proferit par l'Artifle éclairé. Il eft aufli difficile , Monfieur , de démêler l'origine des mafques, que de fe former une idée jufte des Spectacles & de la Danfe des anciens. Cet Art , ainfi que quantité de chofes précieufes , ont été , pour ainfi dire , enterrées dans les Sur la Dansi. 1/7 les ruines de l'antiquité. Il ne nous refte de tant de beautés que de foibles ef- quifles auxquelles chaque Auteur prête des traits & des couleurs différentes j chacun d'eux leur donne le caractère qui flatte fon goût & fon génie. Les contradictions continuelles qui régnent dans ces ouvrages , loin de nous éclai- rer , nous replongent dans notre pre- mière obfcurité. L'antiquité à certains égards eft un cahos qu'il nous eft im- poiïible de débrouiller 3 c'eft un monde dont l'immenfité nous eft inconnue ; chacun prétend y voyager fans s'égarer & fans fe perdre. Cette multitude de chofes qui fe préfentent à nous dans l'éloignement le plus con/îdérable , eft l'image d'une perfpective trop étendue; l'œil s'y perd Se ne diftingue qu'impar- faitement ; mais l'imagination vient au R fecours,elle fuppléc à la diftance &à U foibie.ue des regards; l'enthoufiafme rapproche les objets ; il en crée de nou- veaux , il s'en fait des monlcres ; tout lui paroît grand, tout enfin lui femble gi- oantefque. L'on pourroit appliquer ici ces Vers de Molière dans les Femmes favantes .... .... J'ai vu clairement des hommes dans la Lune. • •••••••* Je n'ai point encot vu d'homme i . comme je crois; Mais j'ai vu des clochers tout comme je vous vois. Telle eft la viciflfitude des chofes & leur inftabilité. Les Arts ainfi que les Empires font fujets à révolution ; ce qui brille aujourd'hui avec le plus d'é- clat, dégénère enfuite 6c tombe au bout de quelque temps dans une langueur & une obfcurité profonde. Quoi qu'il' en foit, ('& les fentiments à cet égard font uniformes ) les anciens partaient ^ V ; Sur ia Dan)!. 155 avec les mains î leurs doigts étoient * pour ainfi dire , autant de langues qui s'exprimoient avec facilité , avec force & avec énergie 5 le climat,, le tempé- rament & l'application que l'on ap- portoit à perfectionner l'Art du gefte ,. revoient porté à un degré de fubli- mité que nous n'atteindrons jamais fi nous ne nous donnons les mêmes foins qu'eux pour nous distinguer dans cette partie. La difpute de Ci- ccron 8c de Rofrius ^ â qui rendroit mieux la penfée., Cicerort^z% le tour . & l'arrangement de?, mots ,8c, Rofçius par le mouvement des bras : 8c Jtoc- preflion. de la phyfionomie , prouve très - clairement .quç nous ne fom- mes encore que . des enfants j que nous n'avons que des mouvements machinaux :8>c. indéterminés. > ../ans Ri) i£o Léttri* fignificâtion , fans caractère & fans vie. Les anciens avoient des bras , & nous avons des jambes : réunifions, Monfieur , à la beauté de notre exé- cution , l'exprefTîon vive & animée des Pantomimes ; détruifons les maf- qucs, ayons uneame, & nous ferons les premiers Danfcurs de l'Univers. Jcfuis,t\.c. fflHSp Sur. la DansB. %6\ LETTRE X t : . J 'Ai die , Monfîeur ,-, que la Danfq étoit trop compofée & le mouvement fymmétrique des bras trop uniforme, pour que les Tableaux pufîent avoir do la variété , de l'exprefïion & du natu-» rel > il faudroit donc fi , nous voulons rapprocher notre Art de la vérité , donner moins d'attention aux jambes , & plus de foin aux bras ; abandonner les cabrioles pour l'intérêt des geftes ; faire m'oins de pas difficiles , & jouer davantage de la phyfionomie j ne pas mettre tant de force dans l'exécution , mais y mêler plus d'efprit j s'écarter avec Place des relies étroites de l'Ecole « pour fuivre les impreffions de la nature Riij ^donner" à la-Danfe l'ame Se l'aicion qu'elle" cloit avoir pour fntérefler. Je n'entends point au refte par le mot d'action celle qui qe 'confifte qu'à 'fc femuer , à fe donner de la peine , à faire des efforts & à fe tourmenter comme un forcené pour fauter , ou pour montrer une ame que l'on n'a pas. L'action en matière de Danfe cft l'Art- de faire pafler par l'exprc'ffion Vraie de 'nos mouvements , de nos geftes & de la ph'yfionomie , nos fend- ment s & nos partions dans l'ame des Spectateurs; \J~aclion n'eft donc autre chofe .que la Pantomime. Tout doit peindre > tout doit- parler chc2 le Dan- feur ; chaque gerte, chaque attitude, chaqutiport de bras doit avoir une exprertîbn différente \ la vraie- Panto-, Svk ia Danse. x6$ mime en tout genre , fuit la nature dans toutes Tes nuances. S'en écarte -t- elle un inftant ? elle fatigue , elle révolte. Que les Danfeurs qui commencent ne Confondent pas cette Pantomime noble , dont je parle , avec cette ex- preïfion baflè & triviale que les Bouf- fons d'Italie ont apporté en France & que le mauvais goût femble avoir adopté. Je crois, Monfieur , que l'Art du gefte eft refterré dans des bornes" trop, étroites pour produire de grands effets.' La feule action du bras droit que l'on porte en avant pour décrire un quart de cercle , pendant que le bras gauche qui étoit dans cette pofition , rétro- grade par la même route pour s'éten- dre de nouveau Se former l'oppofition avec la jambe, n'eft pas fuffifante pour Riv 1^4 ,L !T T ^ ï s exprimer les paffions : tant qu'on ne variera pas davantage les mouvements des bras , ils n'auront jamais la force d'émouvoir & d'affecter. Les anciens, étoient nos Maîtres à cet égard, ils con- noiflbient mieux que nous l'Art du gefte, & c'eft dans cette partie feule de la Danfe qu'ils l'emponoient fur, les modernes. Je leur accorde avec plaifir ce qui nous manque , & ce que nous pofTéderons lorfqu'il plaira aux Danfeurs de fecouer des règles qu^ s'oppofent à la beauté & à l'efprit de, leur Art. Le port des bras devant être auffi varié que les différentes paffions que la Danfe peut exprimer , les règles re- çues deviennent prefque inutiles j il , faudroit les enfreindre & s'en écarter* à chaque inftant, ou s'oppofer en les . Sur la Danse. ±6$ fuivant exactement aux mouvements de l'ame , qui ne peuvent fe limiter par un nombre déterminé de geftes. Les paffions varient & fe divifent à l'infini j il faudroit donc autant de préceptes qu'il y a chez elles de varia- tion. Où eft le Maître qui voulût en- treprendre un tel ouvrage ? Le gefte puife fon principe dans la pafïîon qu'il doit rendre ; c'eft un trait qui part de l'ame , il doit faire un prompt effet , & toucher au but , lors- qu'il eft lancé par le fentiment. Inftruit des principes fondamentaux de notre Art , fuivons les mouvements de notre ame, elle ne peut nous trahir lorfqu'elle fent vivement ; & fi dans ces inftants elle entraîne le bras à teL ou tel gefte , il eft toujours auflfi jufte que correctement defliné a & fon i6S Lettre» cffcc cft sûr. Les pallions font les reflorri qui font jouer la machine : quels que (oient les mouvements qui en réfultent, ils ne peuvent manquer d'être vrais. Il faut conclure d'après cela que les préceptes ftériles de l'Ecole doivent difparoître dans la Danfe en action pour faire place à la nature. Rien n'eft (i difficile a ménager que ce que l'on appelle bonne grâce ; c'eft au goût à l'employer & c'eit un dé- faut que de courir après elle, & d'en répandre également par-tout. Peu de prétention à en montrer, une négligence bien entendue à la dérober quelquefois ne la rend que plus piquante , & lui prête un nouvel attrait. Le goût en eft le diftributeur , c'eft lui qui donne aux grâces de la valeur & qui les rend ai- mables: marchent-elles fans lui, elles Sur u Danse, 1^7 perdent leur nom , leurs charmes 6c leur effet? ce n'eft plus que de la minauderie dont la fadeur devient infoutenab.e. „ Il n'appartient pas à tout le monde d'avoir du goût ; la nature feule le donne , l'éducation le rafine & le per- ' fettionne ; toutes les règles que l'on e'tabliroit pour en donner, feroient inu- tiles. Il tfi: né avec nous» ou il ne l'efl: pas : s'il l'eft , il fe manifeftera de lui- même ; s'il ne l'efl: pas , le Danfeur fera toujours médiocre. Il en efl: de même des mouvements des bras j la bonne grâce efl à ces der- niers , ce que le goût efl à la bonne' grâce : on ne peut réuffir dans {'action Pantomime , fans être également fervi par la nature ; lorfqu'elle nous donne les premières leçons, les progrès ne. peuvent manquer, d'être rapides. . i65 . L it'.t.jiï! . Concluons que l'a&ion de la Danfe cft trop rcflreinte j que l'agrément & l'efprit ne peuvent fe communiquer également à tous les êtres ; que le goût & les grâces ne fe donnent point. En vain cherche-t-on à en preter à ceux qui ne font point faits pour en avoir, c'eft femer Ton grain fur un terrein pierreux ; quantité de charlatans en vendent , une plus grande quantité de dupes s'imaginent en acquérir en payant, mais ils n'ont qu'un faux vernis qui fe ternit & difparoît bientôt ; le profit eft au vendeur, &: la fottife à l'acheteur j c'eft; Ix'ion qui embrafle la nue. • Les Romains avoient cependant des écoles où l'on enfeignoit l'Art de la Saltation , pu fi vous voulez celui du gefte 6c de la bonne grâce , mais les Svk la Danse. i6$ Maîtres étoienc - ils contents de leurs écoliers ? Rofcius ne le fut que d'un feul que la nature fans doute avoir fervi , encore y trouvoit - il toujours quelque chofe à reprendre. Que mes confrères fe perfuadenc que j'entends par geftes les mouve- ments expreffifs des bras foutenuspar les caractères frappants & variés de la phyfionomie. Les mains d'un Danfeur habile doivent, pour ainfi dire, parler; fi fon vifage ne joue point ; t fi l'altéra- tion que les paffions impriment fur les traits n'eft pas fenfible ; fi fcs yeux ne déclament point & ne décèlent pas la fîtuation de fon cœur, fon expreflîon, dès- lors eft faufle ,fon jeu efl: machinal, & l'effet qui en réfulte pèche par le défa-» grément & par le défaut de vérité Se de vraifemblance. ■-"' *7<> L I T T K U ' On ne peut fc diftinguer au Théatrer que lorfqu'on eft aidé par la nacure , c'écoit le fentiment de Rofcius* Selon lui, die Quintillen , l'Arc du Pantomime confifte dans la bonne îrrace & dans l'expreffionnaïvedesaffedionsdel'ame; elleeft au-defTus des règles Se ne fe peur, enfeigner ; la nature feule la donne. Pour hâter les progrès de notre Art & le rapprocher de la vérité , il faut faire un facrifîce de tous les pas trop compliqués ; ce que l'on perdra du côté- des jambes fe retrouvera du côté des bras ; plus les pas feront iimples & plus il fera facile de leur aflbcier - : ' >K- Sur la Danse. xyi elles ne plaifent point au Public ; elles ne font même qu'un plaifir médiocre à ceux qui en Tentent le prix. Je regarde les difficultés multipliées de laMufîque & de la Danfe comme un jargon qui leur eft abfolument étranger ; leurs voix doivent être touchantes, c'eft tou- jours au coeur qu'elles doivent parler; le langage qui leur eft propre eft celui du fentiment j il féduit généralement, parce qu'il eft entendu généralement de toutes les Nations. Tel Violon eft admirable, me dira- t-on*, cela fe peut, mais il ne me fait aucun plaifir, il ne me flatte point, 8c il ne me caufe aucune fenfatiou ; c'eft qu'il a un langage , me répondra l'A- mateur , que vous n'entendez point. Cène- converfation n'eft pas à la portée , de .touxk-rnondç, çonrinuera-t-il, mais i7i Lettres elle eft fublime pour quiconque peut la comprendre & la fentir , & Tes fons font autant de fentiments qui féduifcnt & qui affectent lorfque l'on conçoit fon lançajre. Tant pis pour ce grand Violon , lui dirai-je, fi fon mérite ne fe borne uniquement qu'à plaire au petit nom- bre. Les Arts font de tous les pays ; qu'ils empruntent la voix qui leur eft propre , ils n'auront pas befoin d'm- terprete, & ils affecteront également Se le connoilfeur & l'ignorant; leur effet ne fe borne-t-il au-contraire qu'à frap- per les yeux fans toucher le cœur , fans remuer les paffions , fans ébranler l'ame ? ilsceffent dès-lors d'être aimables &de plaire; la voix de la nature & l'expref- fion fidellc du fentiment jetteront tou- jours l'émotion dans les âmes les moins fenfibles j Sur la Danse. 173 fenfiblcs , le plaifir eft un tribut que le cœur ne peut refufer aux chofes qui le flattent & qui l'intéreflent. Un grand Violon d'Italie arrive-t-i l à Paris, tout le monde le court & per- fonne ne l'entend ; cependant on crie au miracle. Les oreilles n'ont point été flattées de Ton jeu , Tes fons n'ont point touché , mais les yeux fe font amufés j jl a démanché avec adreflè , Tes doigts ont parcouru le manche avec légèreté ; que dis-je ? il a été jufqu'au chevalet ; il a accompagné ces difficultés de plu- fleurs contorfions qui écoient autant d'invitations , & qui vouloient dire » MeflieurS) regardez-moi , mais ne m'é- coute^-pas: ce pajfage ejl diabolique ; il ne flattera, pas votre oreille , quoi' quilfajfe grand bruit , mais il y a vingt ans que je l'étudié. L'applaudiflè- 274 L E T T R Z S ment part} les bras & les doigts méri- tent des éloges , & on accorde à l'homme machine & fans tête , ce que l J on refu- fera conftamment de donner à un Violon François qui réunira au brillant de la main , l'expreiïion , l'efprit , le génie & les grâces de fon Art. Les Danfturs Italiens ont pris depuis quelque temps le contre-pied des Musi- ciens. Ne pouvant occuper agréable- ment la vue , & n'ayant pu hériter de la gentilleflè de FoJJ'an , ils font beau- coup de bruit avec les pieds en mar- quant toutes les notes; de forte qu'on voit jouer avec admiration les Violons de cette Nation ,& qu'on écoute dan- ier avec plaifir leurs Pantomimes, Ce n'eft point là le but que les beaux Arts fe propofent j ils doivent peindre , ils doivent imiter ; une élégante implicite S V R LA D A N SE. 27J convient à leurs charmes. La beauté Ce perd toujours fous les colifichets de la mode > le Jîmplt eft fon fard j la nature compofe fes agréments ; les grâces ajoutent à (es traits \ l'efprit les anime & leur prête encore un nouvel éclat. Tant que l'on facri fiera le goût aux dif- ficultés , que l'on ne raifonnera pas, que l'on danfera en mercenaire , Se que l'on fera un métier vil d'un Art agréable ; la Danfe loin de faire des progrès, dégénérera, & rentrera dans l'obfcurité où elle étoit il n'y a pas plus d'un fiecle. Ce ne feroit pas m'entendre que de penfer que je cherche à abolir les mou- vements ordinaires des bras , tous les pas difficiles & brillants , & toutes les pofitions élégantes de la Danfe ; je de- ' mande plus de variété &s d'exprefliori Si) Ij6 L E. T T R E S danslcs bras > je voudrois les voir parler avec plus d'énergie ; ils peignent le fentiment & la volupté , mais ce n'eft pas afTez, il faut encore qu'ils peignent la fureur , la jaloufie, le dépit , l'in- conftance, la douleur, la vengeance , l'ironie, toutes les paffions innées enfin dans l'homme , de que d'accord avec les yeux , la phyfionomie & les pas, ils me faflent entendre le cri de la nature. Je veux encore que les pas foient placés avec autant d'efprit que d'Art , cV: qu'ils répondent à l'action & aux mouve- ments de l'ame du Danfeur ; j'exige que dans une exprefïion vive on ne forme point de pas lents ; que dans une Scène grave on n'en falle point de lçgers > que dans des mouvements de. dépit on fâche éviter tous ceux qui ayant de la légèreté, trouveroient place Svk la Danse. 177 dans un montent d'inconftance ; je voudrois enfin que l'on celTât d'en faire dans les inftants de défefpoir & d'ac- cablement : c'eft au vifage feul à pein- dre y c'eft aux yeux à parler ; les bras même doivent* être immobiles, & le Danfeur dans ces fortes de Scènes ne fera jamais fi excellent que lorfqu'ilne danfera pas ; toutes mes vues, toutes mes idées ne tendent uniquement qu'au bien & à l'avancement des jeunes Dan- feurs & des nouveaux Maîtres de Bal- lets ; qu'ils pefent mes idées , qu'ils fe fafTent un genre neuf, ils verront alors que tout ce que j'avance peut fe mettre en pratique &: réunir tous les furTrages. Quant aux pofitions , tout le monde fait qu'il y en a cinq; on prétend même qu'il y en a dix divifées afïèz fîriguliére- ment en bonnes ou en mauvaifes, en Siij r?% Lettres fauflès ou en vraies : le compte n'y fait rien , & je ne le contefterai point ; je dirai fîmplemcnt que ces pofitions font bon- nes à favoir & meilleures encore à ou- blier , & qu'il eft de l'Art du grand Dan. feur de s'en écarter agréablement. Au refte , toutes celles où le corps eft ferme & bien deffiné font excellentes; je n'en . connois de mauvaifes que lorfque le corps eft mal grouppé , qu'il chancelle Se que les jambes ne peuvent le foutenir. Ceux qui font attachés à l'alphabet de leur profefTion , me traiteront d'innova- teur & de fanatique, mais je les renver- rai à l'Ecole de la Peinture & de la Sculpture, & je leur demanderai enfuite s'ils approuvent ou s'ils condamnent la poiîtion du beau Gladiateur & celle de l'Hercule ? Les défaprouvent - ils ? j'ai gain de caufe , ce font des aveugles : les Suk la Danse. 27 j>- approuvent- ils? ils ont perdu > piiifque je leur prouverai que les portions de ces deux ftatues , chef-d'ceuvres de l'an- tiquité, ne font pas despofitions adop- tées dans les principes de la Danfe. La plus grande partie de ceux qui Ce livrent au Théâtre > croient qu'il ne faut avoir que des jambes pour être Danfeurj de la mémoire pour être G> rriédien ; & de la voix pour être Chan- teur. En partant d'un principe âufÏÏ faux , les uns ne s'appliquent qu'à re- muer les jambes , les autres" qu'à faire des efforts de mémoire, 8c lés derniers qu'à pouffer des cris ou des fons; ils font étonnés, après pluficurs années d'un tra- vail pénible ,' d'être déteftables ; mais il ri'cftpas poffiblc de réuflîr dans un Art fans en étudier les principes ; fans eri connoître l'efprit , & fans en fentir les Siv iSo Lettres' effets. Un bon Ingénieur ne s'emparera pas des ouvrages les plus foibles d'une Place , s'ils font commandés par des hauteurs capables de les défendre & de l'en déloger ; l'unique moyen d'aflurer fa conquête , eft de fe rendre Maître des principaux ouvragescV: de les empor- ter , parce que ceux qui leur font infé- rieurs ne feront plus alors qu'une foible réfiftance , ou fe rendront d'eux-mêmes. Il en eft des Arts comme des Places, & des Artiftes comme des Ingénieurs.} il ne s'agit pas d'eÛleurer , il faut ap- profondir j ce n'eft pas a(fez que de connoître les difficultés , il faut les combattre &: les vaincre. Ne s'attache-, t-on qu'aux petites parties, nefaifit-on que la fuperficie des chofes? on languie dans la médiocrité & dans l'obfcurité la plus honteufe. > Sur la Danse. zSx Je ferai d'un homme ordinaire un Danfeur comme il y en a mille , pourvu qu'il foit paflablement bien fait ; je lui enfeignerai à remuer les bras & les jambes Se à tourner la tête ; je lui don- nerai de la fermeté , du brillant & de la vîtefle, mais je ne pourrai le douer de ce feu, de ce génie , de cet efprit, de ces grâces &c de cette exprefïïon de fentiment qui eft l'ame de la vraie Pantomime ; la nature fut toujours au- de(Tus de l'Art , il n'appartient qu'à elle de faire des miracles. Le défaut de lumières Se la ftupidité qui règne parmi la plupart des Dan- feurs , prend fa.fource de la mauvaife éducation qu'ils reçoivent ordinaire- ment. Ils Ce livrent au Théâtre , moins pour s'y diftinguer que pour fecoueç le joug de la dépendance j moins pour iSi Lettres fe dérober à une profeffion plus tran- quille , que pour jouir des plaifirs qu'ils rroient y rencontrer à chaque inftant ; ils ne voient dans ce premier moment d'enthoufîafme que les rofes du talent qu'ils veulent embrafTtr ; ils apprennent la danfe avec fureur ; leur goût fe ra- lentit à mefure que les difficultés fe Font fentir Se qu'elles fe multiplient; ils ne fai fi fient que la partie grolTiere de l'Art ; ils fautent plus ou moins haut; ils s'attachent à former machina- lement une multitude de pas, & fem- blables à ces enfants qui difent beau- coup de mots fansefprit & fans fuite, ils font beaucoup de pas fans génie , fans goût & fans grâces. Ce mélange innombrable de pas en- chaînés plus ou moins mal , cette exécu- tion difficile, ce s mouvements compli- '> Sur la Danse. 1S5 qués,ôtent,pourainfî dire, la parole à - la Danfe. Plus de {implicite, plus de dou* ceur & de moelleux dans les mouvements procureroit au Danfeur la facilité de peindre & d'exprimer. Il pourroit fe partager entre le méchanifme des pas & les mouvements qui font propres à rendre les partions > la Danfe alors délivrée des petites chofes, pourroit Ce livrer aux plus grandes. Il eft confiant que l'eflbuflement qui réfulte d'un tra- vail fî pénible étouffe le langage du fentiment ; que les entrechats & les cabrioles altèrent le caractère delà belle Danfe , & qu'il eft moralement impof- fible de mettre de l'ame, de la vérité & de l'expreffion dans les mouvements, lorfque le corps eft fans ccflè ébranlé par des fecoufîès violentes & réité- rées , & que l'efprit n'eft exactement it + L 1 T T R I s occupé qu'à le préferver des accidents & des chûtes qui le menacent à chaque inftant. On ne doit pas s'étonner de trouver plus d'intelligence & de facilité à ren- dre le fentiment parmi les Comédiens que parmi les Danfeurs. La plupart des premiers reçoivent communément plus d'éducation que les derniers. Leur état d'ailleurs les porte à un genre d'étude propre à leur donner avec l'u- faee du monde & le ton de la bonne compagnie , l'envie de s'inftruire & d'étendre leurs connoilTances au-delà des bornes du Théâtre i ils s'attachent à la Littérature ; ils connoiflent les Poètes , les Hiftoriens & plulîeursd'en- tr'eux ont prouvé par leurs ouvrages qu'ils joignoient au talent de bien dire , celui de compofer agréablement. Si > Sua la Danse. xl$ toutes ces connoiflances ne font pas exactement analogues à leur profeflion, elles ne laiflent pas de contribuer à la perfection à laquelle ils parviennent. De deux Acteurs également fervis par la nature , celui qui fera le plus éclairé fera fans contredit celui qui mettra le plus d'efprit & de légèreté dans fon jeu. • Les Danfeurs devroient s'attacher ainfi que les Comédiens à peindre & à fentir, puifqu'ils ont le même objet à remplir. S'ils ne font vivement affectés de leurs rôles ; s'ils n'en faififlent le ca- ractère avec vérité , ils ne peuvent fe flatter de réuflîr & de plaire ; ils doi- vent également enchaîner le Public par la force de l'illufion, & lui faire éprouver tous les mouvements dont ils font animés. Cette vérité, cet enthou- fiafmequi caractérifent le grand Acteur iS6 Lettres & qui cft l'amc des beaux Arts, eft, iî j'ofe m'exprimer ainfi , l'image du coup électrique ; c'eft un feu qui fc communique avec rapidité , qui cm- brafe dans un inftant l'imagination des Spectateurs , qui ébranle leur ame , Se qui force leur cœur à la fenfi- bilité. Le cri de la nature , ou les mouve- ments vrais de l'action Pantomime doi- vent également toucher ; le premier attaque le cœur par l'ouie , les der- niers par la vue : ils feront l'un & l'autre une impreffion aufli forte, fi cependant les images de la Pantomime font aufïî vives, auffi frappantes &r aufli animées que celles du difeours. Il n'eft pas poflible d'imprimer cet intérêt en récitant machinalement de beaux vers , & eu faifant tout fimplemenc Su k l a Danse. $87 «le beaux pas j 'il faut que l'ame * la. phyfîonomie , le gefte Se les attitudes parlent toutes à la fois , & qu'elles par- lent avec autant d'énergie que de vérité. Le Spectateur fe mettra-t-il à la place de l'Acteur, fi celui -ci ne fe met à celle. du Héros qu'il repréfente ? Peut - il, efpérer d'attendrir Se de faire verfer des larmes , s'il n'en répand lui-même ? Sa fituation touchera-t-elle , s'il ne la rend touchante , Se s'il n'en paroîc vivement affecté ? Vous me direz peut-être que les Comédiens ont fur les Danfeurs l'a-» vantage de la parole, la force Se l'éner- gie du difçours. Mais ces derniers n'ont- ils pas les geftes , les, attitudes , les pas Se la mufique que; l'on, doit regarder, comme l'organe & l'interprète des mou* vcmeuts.fucccfllfs. du.Eanfeur ? i88 Lettres Pour que notre Arc parvienne à ce degré de fublimité que je demande & que je lui fouhaite , il cft indifpen- fablement néceffaire que les Danfeurs partagent leur temps 6c leurs études entre l'efprit & le corps , 8c que tous les deux foientenfcmble l'objet de leurs réflexions ; mais on donne malheureufe- ment tout au dernier, & l'on refufe tout à l'autre. La tête conduit rarement les jambes, Se comme l'efprit & le génie ne réfident pas dans les pieds , on s'é- gare Couvent , l'homme s'éclipfe , il n'en refte qu'une machine mal combinée, li- vrée à la dénie admiration des fots & au jufte mépris des connoifïèurs. • Etudions donc , Moniteur ; celions de reflembler à ces marionnettes ,' dont les mouvements dirigés par des fils groiïîers n'amufent & ne font illufion qu'au I Svk la Danse. 189 Peuple. Si notre ame, détermine le jeu & l'action de nos refïbrts, dès- lors les pieds, les jambes, le corps, la phyfionomie & les yeux feront mus dans des fens juftes , & les effets réfultants de cette harmonie & de cette intelligence intéreflèront égale- ment le cœur & l'efprit. Je fuis, &c LETTRE XL XL efl: rare, Monfieur, pour ne pas dire impoiïible de trouver des hommes exactement bien faits j & par cette rai- fon , il eft très - commun de rencon- trer une foule de Danfeurs conftruits ■ 193 Lettres défagréablement , & dans lcfqucls on n'apperçoit que trop fouvent des dé- fauts de conformation que toutes les refTources de l'Art ont peine à réparer. Scroit-ce par une fatalité attachée à la nature humaine que nous nous éloi- gnons toujours de ce qui nous convient, & que nous nous propofons fi commu-» nément de courir une carrière dans la- quelle nous ne pouvons ni marcher ni nous foutenir ? C'eft cet aveuglement , c'eft cette ignorance dans laquelle nous fommes de nous-mêmes , qui produi- fent la foule immenfe de mauvais Poè- tes , de Peintres médiocres , de plats Comédiens , de Muficiens bruyants , de Danfeurs ou de Baladins détefta- bles ; quefai-je, Moniteur, d'hommes infupportables dans tous les gen- res. Ces mêmes hommes placés où ils Sur ia Danse. 291 dévoient être auroient été utiles à l'humanité , ils auroient bien mérité de leur Patrie ; mais hors du lieu de du rang qui leur étoient affignés , leur véritable talent eft enfoui , & celui d'être à l'envi plus ridicules les uns que les autres lui eft fubftitué. La première confidération à faire lorfqu'on fe deftine à la Danfe , dans un âge du moins où l'on eft capable de réfléchir, eft celle de fa conftru&ion. Ou les vices naturels qu'on obferve en foi font tels que rien ne peut y remédier -, en ce cas , il faut perdre fur le champ & totalement de vue l'idée que l'on s'étoit formée de l'avantage de concourir aux plaiflrs des autres ; ou ces vices peuvent être réformés par une application , par une étude confiante & par les confeils & les avis d'un Tij 1Ç)X Littres" Maîrrc favant & éclairé ; 8c dès-lors il importe eflentiellement de ne négliger aucun des efforts qui peuvent remédier à des imperfections dont on triom- phera, Ci l'on prévient le temps où les parties ont acquis leur dernier degré de force 8c de confiftance , où la na- ture a pris fon pli, 8c où le défaut à vaincre s'eft: fortifié par une habitude trop longue 8c trop invétérée pour pou- voir être détruit. Malheureufement il eft peu de Dan- feurs capables de ce retour fur eux- mêmes. Les uns aveuglés par l'amour ~ propre imaginent être fans défauts ; les autres ferment, pour ainfi dire, les yeux fur ceux que l'examen le plus léger leur feroit découvrir ; or dès qu'ils ignorent ce que tout homme qui a quelques Jumieres eft en droit de leur Sur. la Dans ï. 293 reprocher, leurs travaux ne fontécayés fur aucuns principes raifonnés & fuivis ; ils danfent moins en hommes qu'en machines j l'arrangement difpropor- tionné des parties s'oppofe fans cefïe en eux au jeu des reflbrts & à l'har- monie qui devroit former un En- femblc ; plus de liaifon dans les pas ; plus de moelleux dans les mouvements j plus d'élégance dans les attitudes Se dans les oppositions ; plus de propor- tions dans les dcploycmcnts , & par confequent plus de fermeté ni à' à-plombé Voilà , Monfieur, où fe réduit l'exécu- tion des Danfeurs qui croient que la Danfe ne confifte que dans une action, quelconque des bras & des jambes , & qui dédaignent de s'envifager eux- mêmes dans le moment de leur étude & de leurs exercices. Nous pouvons Tiij 194 Lettres fans les offenfcr & en leur rendant la juftice qui leur eft due , les nommer les automates de la Danfe. Vraifemblablement fi les bons Maî- tres étoient plus communs, les bons élevés ne feroient pas fi rares; mais les Maîtres qui font en état d'enfeigner ne donnent point de leçons, Se ceux qui en devroient prendre ont toujours la foreur d'en donner aux autres. Que dirons-nous de leur négligence & de l'uniformité avec laquelle ils enfeignentî la vérité, n'eft qu'une, s'écricra-t-on j j'en conviens , mais n'eft-il qu'une ma- nière de la démontrer Se de la faire pafïèr aux écoliers que l'on entreprend, & ne doit-on pas nécelTairement les conduire au même but par des chemins différents ? J'avoue que pour y parve- nir il faut une fagacité réelle , car fans Sur- u Dakse. z?? reflexion & fans étude 3 il n'eft pas poffî- ble d'appliquer les principes félon les genres divers de conformation , & les degrés différents d'aptitude ; on ne peut faifîr d'un Coup d'à: il ce qui convient à l'un , ce qui ne fauroit convenir à l'autre, &c l'on ne varie point enfin fes leçons à proportion des diverfités que la nature ou que l'habitude fou- vent plus rebelle que la nature même , nous offre & nous préfente. C'eft donc elîentiellement au Maître que le foin de placer chaque élève dans le genre qui lui eft propre efl réfervé. Il ne s'agit pas à cet effet de pofleder feulement les cormoinances les plus exacles de l'Art j il faut encore fe défendre foigneufement de ce vain orgueil , qui perfuade à chacun que fa manière d'exécuter eft l'unique & Tiv t$S : L I T T R. I S ■ la feule qui puifle plaire ; car un Maître qui fepropofe toujours comme un mo- dèle de perfection , & qui ne s'attache à faire de Tes Ecoliers qu'une copie dont il eft le bon ou le mauvais ori- ginal , ne reuffira à en former de paya- bles que lorfqu'il en rencontrera qui feront doués des meniez difpofïtions que lui & qui auront la même taille , la même conformation & la même intelligence. Parmi les défauts de conftxuction , "j'en remarque communément deux principaux ; l'un eft d'être jarrece, & l'autre d'être arqué. Ces deux vices de conformation font prefquc généraux , & ne différent que du plus au moi nsj auiïî voyons-nous très-peu de Danfeurs qui en foient exempts. Nousdifons qu'un homme eftjarretê, Sur. là D a ksi. 157 lorfque fes hanches font étroites & en* dedans , fes cuiftès rapprochées l'une de l'autre , fes genoux gros & fi ferrés qu'ils fe touchent & fe collent étroi- tement quand même fes pieds font diftants l'un de l'autre ; ce qui forme à peu près la figure d'un triangle de- puis les genoux jufqu'aux pieds ; j'ob- ferve encore un volume énorme dans la partie intérieure de fes chevilles , une forte élévation dans lecoudepied,& le tendon d'Achille eft non feulement en lui grêle & mince , mais il eft fort éloigné de l'articulation. Le Danfeur arqué eft celui en qui on remarque le défaut contraire. Ce défaut règne également depuis la han- che jufqu'aux pieds ; car ces parties décrivent une ligne qui donne en quelque forte la figure d'un arc ; en r«?S Lettres effet les hanches font évafées , 5c W cuiflès 8c les genoux font ouverts, de manière que le jour qui doit fe rencon- trer naturellement entre quelques-unes de ces portions des extrémités inférieu- res lorsqu'elles font jointes , perce dans la totalité & paroit beaucoup plus considérable qu'il ne devroit l'être. Les perfonnes ainli conltruites ont d'ailleurs le pied long 6c plat, la cheville exté- rieure Taillante, Cv le tendon cfachille gros & rapproché de l'articulation. Ces deux défauts diamétralement oppo- fés l'un a l'autre, prouvent avec plus de force que tous les difcours,que les leçons qui conviennent au premier feroient nuifibles au fécond , & que l'étude de deux Danfturs aufli diffé- rents par la taille SVR LÀ D A N SE. JOI dedans , ils reprennent leur volume j ce volume met un obftacle aux batte- mens de l'entrechat ; plus ces parties Te joignent , plus celles qui leur font inférieures s'éloignent ; les jambes ne pouvant ni battre ni croïfer , reftent comme immobiles au moment de l'ac- tion des genoux qui roulent défagréa- blement l'un fur l'autre, & l'entrechat n'étant ni coupe , ni battu , ni croïjc par le bas , ne fauroit avoir la vîtefle & le brillant qui en font le mérite. Rien n'eft fi difficile à mon fens que de mafquer nos défauts , fur - tout dans les inftants d'une exécution forte où toute la machine cft ébranlée, où elle reçoit des fecoufïès violentes & » réitérées , & où elle fc livre à des mou- vements contraires & à des efforts con- tinuels & multipliés. Si l'Art peut alors 301 Lettres l'emporter fur la nature , de quels éloges le Danfeur ne fe rend-il pas digne? Celui qui fera ainfi conftruit renon- cera aux entrechats , aux cabrioles Se à tous temps durs & compliques, avec d'autant plus deraifon qu'il fera infail- liblement foible, car Tes hanches étant étroites , ou pour parler le langage des anatomiftes, les os du BaJJln étant en lui moins évalés, ils rourniHent moins de jeu aux mufclcs qui s'y attachent & dont dépendent en partie les mou- vements du tronc, mouvements & in- flexions beaucoup plus aifés , lorfque ces mêmes os ont beaucoup plus de largeur , parce qu'alors les mufclcs aboutiflènt ou partent d'un point plus éloigné du centre de gravité. Quoi qu'il en foit, la Danfe noble & terre- à-terre cft la feule qui convienne à de pareils ) l / Sitr la Danse. 305 Danfeurs. Au refte, Monfïeur, ce que les Danfeurs/ arrêtés perdent du côté de la force, ils femblent le regagner du côté de l'adreffe. J'ai remarqué qu'ils étoicnt •moelleux, brillants dans les chofes les plus (impies , aifés dans les difficultés qui ne demandent point d'efforts, pro- pres dans leur exécution , élégants dans leurs tableaux , &que leur percujfîon eft toujours opérée avec des grâces infinies, parce qu'ils fe fervent & qu'ils profitent 8c des pointes & des refiorts qui font mouvoir le coudepied : voilà d es qualités qui les dédommagent de la force qu'ils n'ont pas , & en matière de Danfe je préférerai toujours l'adrefle à la force. Ceux qui font arques ne doivent s'attacher qu'à rapprocher les parties trop disantes pour diminuer le vuide qui fe rencontre principalement entre 304 Lettres les genoux i ils n'ont pas moins befoin que les autres de l'exercice qui meut les cuifles en dehors , & il leur eft même moins facile de déguifer leurs défauts. Communément ils font forts & vigou- reux; ils ont par conféquent moins de foupleffe dans les mufcles $c leurs ar- ticulations jouent avec moins d'aifance. On comprend au furplus que fi ce vice de conformation provenoit de la diffor- mité des os, tout travail feroit inutile & les efforts de l'Art impuiflants. J'ai dit que les Danfcurs jarretts doivent conferver une petite flexion dans l'exé- cution-, ceux-ci par la raifoncontiaire doivent être exactement tendus , & croifer leurs temps bien plus étroite- ment, afin que la réunion des parties puifle diminuer le jour ou l'intervalle qui les féparc naturellement. Ils font nerveux Sur la Danse. 505 nerveux, vifs & brillants dans les chofes qui tiennent plus de la force que de l'adreflè ; nerveux & légers, attendu la direction de leurs faifeeaux mufculeux^ &.vu la confiftance & laréfiftance de leurs ligaments articulaires \ vifs, parce qu'ils croifent plus du bas que du haut, & qu'ayant par cette raifon peu de chemin à faire pour battre les temps, ils les pajjent avec plus de vîteflè ; bril- lants , parce que le jour perce entre les parties qui fe croifent & fe décroifent ; ce jour eft exactement, Monficur, le clair-obfcur de la Danfe , car fi les temps de l'entrechat ne font ni coupes ni battus y Se qu'ils foient au contraire frottés 3c roulés l'un fur l'autre, il n'y aura point de clair qui fa/Iè valoir les ombres , & les jambes trop réu- nies n'offriront qu'une maffe indiftinile V \ç>G Lettres & fans effet j ils ont peu d'adrefîè,' parce qu'ils comptent trop fur leurs forces, &que cette même force s'oppofe en eux à la fouplefle cV à l'aifance : leur vigueur les abandonne-t-elle un infiant ? Ils font gauches, ils ignorent l'Art de dérober leurs fituations par des temps fimplcs qui n'exigeant aucune force , donnent toujours le temps d'en repren- dre de nouvelles ; ils ont de plus très- peu d'élafticité & percutent rarement de la pointe. Je crois en découvrir la véritable raifon lorfque je confidere la forme longue &c plate de leurs pieds. Je com- pare cette partie à un hvierde la féconde cfpece , c'eft-a-dire à un levier dans le- quel le poids eft entre l'appui & la puijfan.ee , tandis que l'appui & la Jbii£ance font à fes extrémités. Ici 10 S v'k t'A Danse. 307 point fixe ou Y appui fe trouve à l'extré- mité du pied, la réfîftance ou le poids du corps porte fur le coudepied , & la puiflance qui élevé & foutient ce poids cft appliquée au talon par le moyen du tendon d'Achille ; or comme le levier cft plus grand dans un pied long & plat, le poids du corps eft plus éloigné du point d'appui & plus près de la puiflance, donc la pefanteur du corps doit augmenter Se la force du tendon & Achille diminuer en proporrion égale. Je dis donc que cette pefanteur n'étant pas dans une proportion auflî exacte dans les Danfeurs arqués qu'elle l'efl: dans les Danfeurs j arrêtés qui ont ordi- nairement le coudepied élevé & fort , ces premiers ont nécefïàiremenc moins de facilité à fe haufler fur l'extrémité des pointes. Vij jo8 L E TT A 1 J J'ai obfervé encore , Monfieur , que les défauts qui fe rencontrent depuis les hanches jufqu'aux pieds, fe font fentir depuis l'épaule jufqu'à la main; le plus fouvent l'épaule fuit la confor- mation des hanches , le coude celle du genou , le poignet celle du pied ; la plus légère recherche vous convaincra de cette vérité, Se vous verrez qu'en géné- ral les défauts de conformation prove- nant de l'arrangement vicieux de quel- ques articulations, s'étendent à toutes. Ce principe pofé, l'Artifte doit fuggé- rer relativement aux bras des mouve- ments différents à fes élevés. Cette attention eft très-importante à faire ; les bras courts n'exigent que des mou- vements proportionnés à leur longueur; les bras longs ne peuvent perdre de leur étendue , que par les rondeurs. StfR LA Dansï. 3UJ qu'on leur donne j l'Art confifte à tirer parti de ces imperfections , & je connois des Danfeurs qui par le moyen des effa- cements du corps dérobent habilement la longueur de leurs bras ; ils en font fuir une partie dans l'ombre. J'ai dit que les Danfeurs jarretés étoient foibles , ils font minces & dé- liés ; les Danfeurs arqués forts & vigou- reux font gros & nerveux. On penfe alfez communément qu'un homme gros & trapu doit être lourd j ce principe eit vrai quant au poids réel du corps, mais il eft faux en ce qui concerne la Danfe , car la légèreté ne naît que de la force des mufcles. Tout homme qui - n'en fera aidé que foiblement, tombera toujours avec pefanteur. La raifon en eft fimple ; les parties foibles ne pouvant réfifter dans l'inftanc de la chute aux Viij 3io Lettres" plus Fortes, c'cft-à-dire au poids du corps qui acquiert à proportion de la -hauteur dont il tombe un nouveau degré de pefanteur , cèdent Se ficchif- ïent, 8e c'eft dans ce moment de relâ- chement Se de flexion que le bruit de la. chute fe fait enrendre > bruit qui di- minue confidérablemcnr Se qui peut même n'avoir pas lieu quand le corps peut fe maintenir dans une ligne exa- ctement perpendiculaire , Se lorfque les mufcles Se les refTorts ont la force de s'oppofer à la force m<îme , Se de réfifter avec vigueur au choc qui pour- ront les faire fuccomber. Avant de ter- miner cette Lettre , revenons un mo- ment aux DanCcurs jarretés Se arqués, Se fouffrez que je vous mette fous les yeux deux exemples vivants : c'eft Monfieur Lany Se Monfieur Repris ; SuiL TA DAMSE. ^l t -tous deux célèbres , tous deux inimita- bles , ils vous convaincront qu'il effc uii Art qui en corrigeant la nature , fait i'embellir. Le premier cft arqué ; il a tiré de ce défaut un avantage qui an- nonce l'homme habile ; il eft tendu , il cft en dehors, il eft vigoureux, mais il eft adroit, la précifioneft l'ame defon exécution , la formation de fes pas eft unique tant par la netteté que par la variété & le brillant ;c'eft le Danfeur le plus favant que }e connoiflè, Monfieur , & il eft glorieux pour lui d'être le mo* dele de fon genre en dépit de la nature. Monfieur Vkftris cftjarreté, & les gens de l'Art ne s'en appercevroient point fans l'entrechat droit qui le trahit quel- quefois-, c'eft le meilleur ou le feul Danfeur férieux qui foit au Théâtre ; il eft élégant > il joint à l'exécution lai Viv 'Jïi Lettres plus noble & la plus aifée le rare mé- rite de toucher, d'intérefler & de parler aux paiTîons. Le célèbre Duprc a été Ton modèle , & Mon/leur Fejlris l'eft aujourd'hui de tous les Danfcurs de Ton genre. Le parti avantageux que ces deux Danfcurs ont tiré de leur conformation fait leur élo- ge ; leur genre femble être fait pour leur taille, & leur taille pour leur genre ; & fi je les ai cités pour exemple , c'eft rnoins pour dévoiler leur conformation que pour exalter leurs talents. Dire qu'ils ont corrigé leurs défauts , c'eft avouer qu'ils n'en ont plus. La nature n'a pas exempté le beau fexe des imperfections dont je vous ai parlé, mais l'artifice & la mode des jupes font heureufement venus au fe- cours de nos Danfeufes. Le pâmer Sur ia Danse. 31 j : cache une multitude de défauts, mais l'oeil curieux des critiques ne monte pas afîèz haut pour décider. La plupart d'entr'elles danfent les genoux ouverts comme (i elles étoient naturellement • arquées ; grâce à cette mauvaife habi- tude & aux jupes , elles paroifîènt plus .brillantes que les hommes , parce que , comme je l'ai dit , ne battant que du bas de la jambe , elles pajfent leurs temps avec plus de vîtefïè que nous , qui ne dérobant rien au Spectateur fommes obligés de les battre tendus , & de les faire partir primordialement de la hanche , & vous comprenez qu'il faut plus de temps pour remuer un tout qu'une partie. Quant au brillant qu'elles ont, la vivacité y contribue , mais ce- pendant bien moins que les jupes qui en dérobant la longueur des parties jr4 Lettres" fixent plus attentivement les regards 3c les frappent davantage ; tout le feu des battements étant , pour ainfi dire , réuni dans un point, paroît plus vif & plus brillant; l'oeil l'cmbraiTetoutenucr } il cil -moins partagé & moins diftrait à propor- tion du peu d'efpacc qu'il a a parcourir. D'ailleurs, Mon(îeur , une jolie phy- sionomie , de beaux yeux, une taille élégante Se des bras voluptueux, font des écueils inévitables contre lefqucls la critique va fe brifer , & où le cœur & la railon font fouvent naufrage. Les jolies femmes font comme des bijoux artiftement montés , on ne peut les voir fans fouhaiter de les pofIéder;&: le de- fird'en jouir ne permet pas de s'arrêter à une infinité de défauts qui ne s'oppo- fent jamais à des applaudiffements & à des louanges intérelTées. Je fuis, Sec. Svr ia Danse. jij w— — — M»» 1 5S5S 55555 LETTRE XII. XX-Icn n'eft fi néceflaire, Monfieur , que le tour de la cuifïe en dehors pour bien danfcr , & rien n'eft fi naturel aux hommes que la pofition contraire. Nous naifîbns avec elle ; il cft inutile pour vous convaincre de cette vérité, de vous citer pour exemple les Levantins, les Afriquains & tous les Peuples qui dan- fent , ou plutôt qui fautent & qui fe meuvent fans principes. Sans aller fi loin , confidérez les enfants j jettez les yeux fur les habitants de la campagne , , & vous verrez que tous ont les pieds en dedans ; la fituation contraire eft donc de pure convention, & une preuve non équivoque que ce défaut n'eft qu'imaginaire , c'eft qu'un Peintre pé- ; "3^ Lettres cheroit autant contre la nature, que contre les règles de Ton Art, s'il plaçoit Ton modelé les pieds tournés comme ceux d'un Danfeur. Vous voyez donc » Mon/îcur, que pour danfer avec élé- gance, marcher avec grâce & fc pré- fenter avec nobleife, il faut abfolument renverfer l'ordre des chofes & contrain- dre les parties par une application aulTî longue que pénible à prendre une toute autre fituation que celle qu'elles ont primordialemcnt reçue. On ne peut parvenir à opérer ce changement d'une néceffité abfolue dans notre Art qu'en entreprenant de • le produire dès le temps de l'enfance ; c'eft le feul moment de réuiîir , parce qu'alors toutes les parties font fouples & qu'elles fe prêtent facilement à la direction qu'on veut leur donner. ) Sur. la Danse. $17 • Un Jardinier habile ne s'aviferoic sûrement pas de mettre un vieux arbre de plein- vent en efpalier; Tes branches trop dures n'obéiroient pas & fe brife- roient plutôt que de céder à la con- trainte qu'on voudroit leur impofer. Qu'il prenne un jeune arbrifteau , il parviendra facilement à lui donner telle forme qu'il voudra j fes branches ten- dres fe plieront & fe placeront à fon gré ; le temps en fortifiant fes rameaux fortifiera la pente que la main du Maî- tre aura dirigé , de chacun d'eux s'aflîi- jettira pour toujours à l'imprcfïion & à la direction que l'Art lui aura preferit. Vous voyez, Monfieur, que voilà la nature changée ; mais cette opération une fois faite, il n'efl: plus permis à l'Art de faire un fécond miracle, en rendant à l'arbre fa première forme. La nature $iS Lettres dans certaines parties, ne fe prête à des changements qu'autant qu'elle eft foi- ble encore. Le temps lui-a-t-il donné des forces ? Elle réfifte , elle eft in- domptable. Concluons de là que les parents font ou du moins devroient être les premiers Maîtres de leurs enfants. Combien de défectuosités ne rencontrons-nouspoinc chez eux, lorfqu'on nous les confie ? C'eft,dira-t-on, la faute des nourrices. Raifons foiblcs , exeufe frivole , qui loin de juftifier la négligence des percs & des mères ne fervent qu'à les condam- ner. En fuppofant que les enfants aient été mal emmaillottés , c'eft un motif de plus pour exciter leur attention , puifqu'il eft certain que deux ou trois ans de négligence de la part des nourrices, ne peuvent prévaloir fur Sur la Danse. ji^ huit ou neuf années de foin de la leur.. • Mais revenons à la pofîcion en de- ■ dans. Un Danfeur en dedans efl: un:: Danfeur & mal - adroit & défa- çréable. L'attitude contraire donne de l'aifance & du brillant , elle répand des grâces dans les pas , dans les dévelop- pements, dans les pofitions & dans les attitudes. • On réufïît difficilement à fe mettre en dehors > parce qu'on ignore fouvent les vrais moyens qu'il faut employer pour y parvenir. La plupart des jeunes- gens qui fe livrent à la Danfe feperfua- dent qu'ils parviendront à fe tourner, en forçant uniquement leurs pieds à fe placer en dehors. Je fais que cette partie 'peut fe prêter à cette direction par fa fouplefTe & la mobilité de fon articulation avec la jambe; mais cette jio Lettres méthode eft d'autant plus fauflè qu'elle déplace les chevilles & qu'elle n'opère rien fur les genoux ni fur les cuifles. Il eft encore impofïïble de jeter les premières de ces parties en dehors fans le fecours des fécondes. Les genoux en effet n'ont que deux mouvements, celui de flexion & celui d'extenfion ; l'un dé- termine la jambe en arrière, & l'autre la détermine en avant ; or ils ne pour- roient fc porter en dehors d'eux-mêmes ; & tout dépend eflentiellement de la cuifTe, puifquc c'eft elle qui commande fouverainement aux parties qu'elle do- mine & qui lui font inférieures. Elle les tourne conféquemment au mouve- ment de rotation dont elle eft douée, & dans quelque fens qu'elle fe meuve, le genou , la jambe & le pied font forcés à la fuivre. Je S vu. la Danse. $if Je ne vous parlerai point d'une ma- chine que l'on nomme tourne-hanche ,* machine mal imaginée & mal com- binée , qui loin d'opérer efficacement eftropie ceux qui s'en fervent, en im- primant dans la ceinture un défaut beaucoup plus défagréable que celui qu'on veut détruire. : Les moyens les plus fimpîes & les plus naturels font toujours ceux que la raifon & le bon fens doivent adop- ter lorfqu'ils font fuffifants. Il ne faur donc pour fe mettre en dehors qu'un exercice modéré mais continuel. Celui des ronds ou tours de jambes en dedans ou en dehors , & des grands battements tendus partants de la hanche, efl: l'uni- que &lefeul à préférer. Infenfiblemenr il donne du jeu , du reflbrt & de la foupleflè, aulieuquela boîte nefollicite X \ XX L » T T R B S qu'à des mouvements qui fc re(Tenrent Çlurôt de la contrainte que de la liberté qui doit les faire naître. , En gênant les doigts de quiconque joue d'un inftrument, parviendra-t-on à lui donner un jeu vif & une cadence brillante ? Non, fans doute ; ce n'eft que l'ufage libre de la main «Se de9 jointures qui peut lui procurer cette vîtefle , ce brillant & cette précifion qui font l'ame de l'exécution. Comment donc un Danfeur réuflira-t-il à avoir toutes ces perfections, s'il paflela moi- tié de fa vie dans des entraves î Oui y Monfieur , l'ufage de cette machine cft pernicieux. ■ Ce n'eft point par la vio-» lence que l'on corrige un défaut inné > . e'eft l'ouvrage du temps, de l'étude -& de l'application. . Il eft encore des perfonnes qui com- Su-r LAr, Danse. 3 i 5 piencent trop tard , & qui prennent la Danfe dans l'âge où l'on doit fonger à la quitter. Vous comprenez que dans cette circonftance les machines n'opè- rent pas plus efficacement que le tra- vail ; j'ai connu des hommes qui fe donnoient une queftion d'autant plus douloureufe que tout en eux étant formé , ils étoient privés de cette fou- plefle qui fp perd avec la jeunefle. Un défaut de trente-cinq ans eft un vieux défaut y il n'efl: plus temps de Je détruire ni de le pallier. :: Ceux qui nai fient de l'habitude font en gi-and nombre. Je vois tous, les enfants occupés en quelque forte à . déranger & à défigurer leur çon- ftruction. Les unsfe déplacent les chevilles par l'habitude qu'ils contra- ctent de n'être que fur une jambe , &; Xij '314 LettuïS de jouer , pour ainfi dire , avec l'autre ; en portant continuellement le pied fur lequel le corps n'eft point appuyé dans une pofition défagréable & forcée , mais qui ne les fatigue point, parce que lafoiblefTè de leurs ligaments «3c de leurs mufcles fe prête à toutes fortes de mou- vements ; d'autres fauflent leurs genoux parles attitudes qu'ils adoptent de pré- férence à celles qui leur font naturel- les. Celui-ci par une fuite de l'habitude qu'il prend de fe tenir de travers & d'a- vancer une épaule, fe déplace une omo- plate. Celui - là enfin répétant à cha- que inftant un mouvement &c une fitua- tion contrainte jette fon corps tout d'un côté, & parvient à avoir une han- che plus groflè que l'autre. Je ne finirois point d je vous parlois de tous les inconvénients qui prennent > . Sur. la Danse. 315 leur fource d'un mauvais maintien. Tous ces défauts mortifiants pour ceux qui les ont contractés ne peuvent s'ef- facer que dans leur naiftance» L'habi- tude qui naît de l'enfance fe fortifie dans la jeunefîe , s'enracine dans l'âge viril ; elle eft indestructible dans la vieillefîè. Les Danfeurs devroient, Moniteur , fuivre le même régime que les Athlètes, & ufer des mêmes précautions dont ils fe fervoient lorfqu'ils alloient lutter Se combattre j cette attention les préfer- veroit des accidents qui leur arrivent journellement > accidents aufïl nou- veaux fur le Théâtre que les cabrioles, & qui fe font multipliés à mefure que l'on a voulu outrer la nature & la con- traindre à des actions le plus fouvent au-deflus de fes forces. Si notre Arc Xiij 316 Lettres exige avec les qualités de l'cfprit là ■force & l'agilité du corps, quels foins "rie devrions - nous pas apporter pour nous former un tempérament vigou- reux ! Pour être bon Danfcur , il faut erre fobre -, les chevaux anglois -deftinés aux courfes rapides auroLnr- ils cette vîtefîè & cette agilité qui les diftingue & qui leur fait donner la pré- férence fur les autres chevaux , s'ils étoient moins bien foignés. Tout ce qu'ils mangent eft pefé avec la plus grande exactitude; tout ce qu'ils boi- vent eft fcrupuleufement mefuré ; le temps de leur exercice eft fixé, ainfi que celui de leur repos. Si ces précautions opèrent efficacement fur des animaux robuftes , combien une vie fage & réglée n'influeroit - elle pas fur des "êtres naturellement foibles , mais ap- Sur la Danse. 317 pelles par leur fortune & par leur état à un exercice violent & pénible qui exige la complexion la plus forte & la plus robufte. La rupture du union d'Achille ôi de la jambe , le déboîtement du pied , en un mot , la luxation des parties quel- conques font communément occafion» nés dans un Danfeur par trois chofes 5 î°. par les inégalités du Théâtre; par une trappe mal afïurée , ou par du fuif ou. quelque autre chofe femblable qui fc trouvant fous fon pied occafionnent fouvent fa chute ; i°. Par un exercice trop violent & trop immodéré qui joint à des excès d'un autre genre afFoiblifTent & relâchent les Parties ; dès-lors il y a peu de fouplefTe ; les ref- forts n'ont qu'un jeu forcé ; tout eft dans une forte de deflechement. Cette rigi- Xiv 318 Lettres dite dans les mufcles , cette privation des fucs & cet épuifement conduifent ïnfenfiblement aux accidents les plus funeftes. 3 . Par la mal-adrelTe & par les mauvaifes habitudes que l'on con- tracte dans l'exercice ; par les pofitions dcfe&ueufes des pieds qui ne fe pré- fentant point directement vers la terre lorfque le corps retombe , tournent , plient & fuccombent fous le poids qu'ils reçoivent. La plante du pied eft la vraie bafe fur laquelle porte toute notre machine. Un Sculpteur courroit rifque de perdre fon ouvrage s'd ne l'étayoit que fur un corps rond & mouvant j la chute de fa ftatue feroit inévitable , elle fe romproit & fe briferoit infailliblement. Le Dan- feur par la même raifon doit fe fervir de tous les doigts de fes pieds, comme Sur la Danse 319 d'autant de branches dont Yécarumcnt fur le fol augmentant l'efpace de fon appui affermit & maintient fon corps dans l'équilibre jufte & convenable ; s'il néglige de les étendre, s'A ne mord en quelque façon la planche pour fe cramponner & fe tenir ferme , il s'en- fuivra une foule d'accidents. Le pied perdra fa forme . naturelle , il s'arron- dira & vacillera fans cette & de côté, du petit doigt au pouce, & du pouce au petit doigt : cette efpece de roulis occafionné par la forme convexe que l'extrémité du pied prend dans cette pofition , s'oppofe à toute fiabilité j les chevilles chancellent & fe déplacent ; & vousfentez, Monfieur, que dans le temps où la mafïè tombera dune cer- taine hauteur , & ne trouvera pas dans fa bafe un point fixe capable de la 53° Lettres recevoir cVrde terminer fa chute , toutes les articulations feront bleiTées de ce choc 6c de cet ébranlement ; & l'inftant où le Danfeur tentera de chercher une pofition ferme , & où il fera les plus violents efforts pour fe dérober au dan- ger , fera toujours celui où il fuccom- bera, foit enfuite d'une entorfe, foit enfuite de la rupture de la jambe ou du tendon. Le palfage fubit du relâ- chement à une forte tenlîon 6c de la flexion à une exreniïon violente eft donc l'occafion d'une foule d'acci- dents qui feroient fans doute moins fréquents , Ci l'on fe prétoit , pour ainfi dire , à la chute , & fi les parties foibles ne tentoient pas de refifter contre un poids qu'elles ne peuvent ni foucenîr ni vaincre > & l'on ne fau- roit trop fe précautionner contre- les Sur la Danse. 331 faufles pofitions, puifqueles fuites en font fi funeftes, . Les chûtes occasionnées par les inéga* lités du Théâtre & autres chofes fembla- bles nefauroient être attribuées à notre mal-adreflè; quant à celles qui pro- viennent de notre foibleflè & de notre abattement après un excès de travail , 6c enfuite d'un genre de vie qui nous conduit à l'épuifement , ne peuvent être prévenues que par un changement de conduite 6c par une exécution propor- tionnée aux forces qui nous reftent. L'ambition de cabrioler eft une ambi- tion folle qui ne mené à rien. Un bouffon arrive d'Italie : fur le champ le Peuple danfant veut imiter ce Sauteur en li- berté ; les plusfoibles font toujours ceux qui font les plus grands efforts pour l'égaler & même pour le furpaflèrjon 33^ Lettres diroit à voir gigottcr nos Danfeurs, qu'ils font? atteints d'une maladie qui demande pour être guérie de grands fauts, d'énormes gambades. Je crois voir, Monfieur, la grenouille de la Fable : elle creve en faifant des efforts pour s'enfler, & les Danfeurs fe rom- pent & s'eftropient en voulant imiter l'Italien fort & nerveux. Il eft un Auteur dont j'ignore le nom & qui s'eft trompé groffiérement, en fai- fant inférer dans un Livre qui fera toujours autant d'honneur à notre na- tion qu'à notre fiecle , que la flexion des genoux de leur extenfion étoienteequi élevoit le corps. Ce principe eft totale- ment faux , de vous lerez convaincu de l'impofïibilité phyfique de l'effet an- noncé par ce fyftême anti-naturel , fi vous pliez les genoux, & fi vous les Sur' la Dans r. 335 étendez enfuite. Que l'on faflè ces divers mouvements foie, avec célérité , foie avec lenteur , foit avec douceur , foie- avec force j les pieds ne quitteront point terre, cette flexion & cette extenfion ne peuvent élever le corps, fi les parties efïèntielles à la réaction ne jouent pas de concert. Il auroit été plus fage de- dire que l'action de fauter dépend des reflorts du coudepied , des mufcles de cette partie & du jeu du ttridon d'A~ chilh s'ils opèrent une percujjîon ; car on parviendroit en percutant à une lé-« gère élévation fans le fecours de la fle-* xion & par confequent de la détente des genoux. . ... ' '.] Ce feroit encore une autre erreur que de fe perfuader qu'un homme fort ÔC vigoureux doit s'élever davantage qu'un homme foible & délié. L'expérience 334 . LïTtr i j, nous prouve tous les jours le contraire. Nous voyons d'une part des Danfeurs qui coupent leurs temps avec Force, qui les batttnt avec autant de vigueur que de fermeté , & qui ne parviennent ce- pendant qu'à une élévation perpendi- culaire fort médiocre ; car l'élévation oblique ou de côté doit être diftinguée. Elle eft, fi j'ofe le dire , feinte ôc ne dé- pend entièrement que de l'adrefîè; d'un autre côté , nous avons des hommes fbibles dont l'exécution eft moins ner- veufe , plus propre que forte > plus adroite que vigoureufe , & qui s'é- lèvent prodigieufement. C'cft donc , Monfieur , à la forme du pied , à fa conformation , à la longueur du tendon, à fon élafticité que l'on doit primitive-, ment l'élévation du corps ; les genoux , les reins & les bras coopèrent unani- Sur la Danse. 35 j tnement 8c de concert à cette action : plus la prejjlon eft forte , plus la réaction eft grande , & par conféquent plus le faut a d'élévation. La flexion des ge- noux & leur extenfîon participent aux mouvements du coudepied & du tendon a" Achille que l'on doit regarder comme les refïbrts les plus eflèntiels. Les muf- clés du tronc fe prêtent à cette opéra- tion & maintiennent le corps dans une ligne perpendiculaire, tandis que lesbras qui ont concouru imperceptiblement à l'effort mutuel de toutes les parties fervent, pour ainfî dire, d'ailes & de contrepoids à la machine. Confidérez * Monfieur,tous les animaux qui ont le tendon mince & allongé , les cerfs, les chevreuils, les moutons, les chats, les fmges , &c. & vous verrez que ces animaux ont une vîtelTe & une facilité 33^ Lettres à s'élever que les animaux différemment conftruits ne peuvent avoir. . ! On peut afTez communément croire que les jambes battent les temps de l'entrechat lorfque le corps retombe. Je conviens que l'ceil qui n'a pas le temps d'examiner nous trompe fouvent ; mais la raifon & la réflexion nous dévoilent enfuite ce que la vîteflc ne lui permet point d'anatomifer. Cette erreur naît de la précipitation avec laquelle le corps defcend j quoi qu'il en foit l'entrechat eft fait lorfque le corps eft parvenu à fon degré d'éléva- tion ; les jambes , dans l'inftant im- perceptible qu'il emploie à retomber, ne font attentives qu'à recevoir le choc &; l'ébranlement que la pefanteur de la maffe leur prépare ; leur immobi- lité eft abfolument néceflaire > s'il n'y. avoit Sxr r l a D a k s e. 537 "avoit pas un intervalle entre les batte ments & la chute , comment le Darifeur retomberoit-il , & dans quelle pofition fes pieds Te trouveroient - ils ? En ad- mettant la pofïibilité de battre en des- cendant , on retranche l'intervalle néceiïaire à la préparation de la rttom- bec, or il eft certain que les pieds ren- contrant la terre dans le moment que les jambes battroient encore ne feroienc pas dans une direction propre à recevoir le corps , ils fuccomberoient fous le poids qui les écraferoit , & ne pour- roient fe fou ftr aire à l'entorfe ou au déboîtement. Il eft néanmoins beaucoup de Dan- feurs qui s'imaginent faire l'entrechat en defeendant, & conféquemment bien des Danfeurs errent & fe trompent. Je r.e dis pas qu'il foit moralement impof- Y $3$ Lettres fible de faire faire un mouvement aux jambes par un effort violent de la han- che i mais un mouvement de cette efpcce ne peut être regardé comme un temps xle l'entrechat ou de la Danfe. Je m'en fuis convaincu par moi-même , & ce li'eft que d'après des expériences réité- rées que je hazarde de combattre une idée a laquelle on ne feroit point attaché , fi la plus grande partie des "Danfeurs ne s'appliquoit uniquement de l'aifance & de la tranquillité. Tout Danfeur qui fait l'entrechat fait à combien de temps il le pajjera ; l'imagination devance toujours les jam- bes ; on ne peut le battre à huit, fî l'intention n'étoit que de le pajfcr àjlx ; fans cette précaution il y auroit autant de chûtes que de pas. Je foutiens donc que le corps ne peut opérer deux fois en l'air lorfque les reflbrts de la machine ont joué & que leur effet eft déterminé. Deux défauts s'oppofent encore aux progrès de notre Art j premièrement , les difproportions qui régnent commu* nement dans les pas; fecondement , le peu de fermeté des reins. Les difproportions dans les temps Yiij j4i Lettres prennent leur fource de l'imitation & du peu de raifonnement des Danfeurs. Les dêployements de la jambe & les temps ouverts convenoient fans doute à M. Dupré - y l'élégance de fa taille & la longueur de fes membres s'aflbcioienc à merveille aux temps développes & aux pas hardis de fa Danfe ; mais ce qui lui alloit ne peut être propre aux Danfeurs d'une taille médiocre, cepen- dant tous vouloient l'imiter ; les jambes les plus courtes s'erïorçoient de parcourir les mêmes efpaces & de décrire les mêmes cercles que celles de ce célèbre Dan- feur; dès-lors plus de fermeté , les han- ches n'étoient jamais à leur place, le corps vacilloit fans cefTe , l'exécution <5toic ridicule , j'imaginois de voir Ther- fue imiter Achille. L'étendue & la longueur des parties Sur la Danse. 343 doivent déterminer les contpurs & les dcploycmcnts. Sans cette précaution, ' plus ticnfcmblc , plus d'harmonie , plus de tranquillité & plus de grâces ; les parties fans celle défunies & tou- jours diftantes jetteront le corps dans des poficions fauflès & défagréables > & la Danfe dénuée de Tes juftes pro- portions reflemblera à l'action de ces Pantins dont les mouvements ouverts ÔC difloqués n'offrent que la charge grofïîere des mouvements harmonieux que les bons Danfeurs doivent avoir. Ce défaut eft, Monfieur, fort à la mode parmi ceux qui danfent le férieux, & comme ce genre règne a Paris plus que par-tout ailleurs , il eft très-commun d'y voir danfer le Nain dans des pn>- portions gigantefqucs & ridicules j j'ofe même avancer que ceux qui font Yiv 344 Lettres doués d'une taille majeftueufe abufent quelquefois de l'étendue de leurs mem- bres & de la facilité qu'ils ont d'arpenter le Théâtre & de détacher leurs temps ; czsdéploycmcnts outrés altèrent le cara- ctère noble & tranquille que la belle Danfe doit avoir , & privent l'exécu- tion de fon moelleux & de fa douceur. Le contraire de ce que je viens de vous dire eft un défaut qui n'eft: pas moins défagréable ; des pas ferrés , des temps maigres & rétrécis , une exécution enfin trop petite choquent également le bon goût. C'eft donc , je le répète , la taille & la conformation du Danfeur qui doivent fixer & déterminer l'éten- due de fes mouvements & les propor- tions que fes pas & Ces attitudes doi- vent avoir , pour être défîmes correde- . ment & d'une manière brillante. Sur la Danse. 34J On ne peut être excellent Danfeur fans être ferme fur Tes reins, eût-on même toutes les qualités efTèntielles à la perfection de cet Art. Cette force eft fans contredit un don de la nature, n'eft-elle pas cultivée par les foins du Maître habile ? elle celle dès-lors d'être utile. Nous voyons journellement des Danfeurs forts Se vigoureux qui n'ont ni à-plomb ni fermeté, & dont l'exé- cution eft déhanchée. Nous en rencon- trons d'autres au contraire qui n'étant point nés avec cette force, font pour ainfl dire , affis folidement fur leurs hanches , qui ont la ceinture alfurée & les reins fermes ; l'Art chez eux a fuppléé à la nature , parce qu'ils ont eu le bonheur de rencontrer d'excel- lents Maîtres qui leur ont démontré que lorfqu'on abandonne Us reins , 34^ Lettres il eft impofTible de fe foutenir dans une ligne droite & perpendiculaire ; que l'on fe deffine de mauvais goût; que la vacillation & l'inftabilité de cette partie s'oppofent à \' à-plomb & à la fermeté ; qu'ils impriment un dé- faut défagréable dans la ceinture; que l'arTaiflcment du corps ote aux par- ties inférieures la liberté dont elles ont befoin pour fe mouvoir avec aifance; que le corps dans cette fîtua- tion eft comme indéterminé dans fes portions ; qu'il entraîne fouvent les jambes ; qu'il perd à chaque inftani le centre de gravité , & qu'il ne re- trouve enfin fon équilibre qu'après des efforts & des contoriîons qui ne peuvent s'aflbcier aux mouve- ments gracieux & harmonieux de L Danfe. Sur la Danse. 347 Voilà, Monfieur , le tableau fidelle de l'exécution des Danfeurs qui n'ont point de reins, ou qui ne s'appliquent point à faire un bon ufage de ceux qu'ils ont. Il faut pour bien danfer que le corps foit ferme & tranquille , qu'il foit immobile & inébranlable dans le temps des mouvements des jambes. Se prête-t-il au contraire à l'adion des pieds ? il fait autant de grimaces & de contorfions qu'ils exécutent de pas diffé- rents : l'exécution dès-lors efl: dénuée de repos , d'enfemble , d'harmonie , de précifion , de fermeté, A' à- plomb & d'équilibre, enfin elle eft privée des grâces & de la noblefïe qui font les qualités fans lefquelles la Danfe ne peut plaire. Quantité de Danfeurs s'imaginent, Monfieur, qu'il n'eft queftion que de 34S Lettres plier les genoux très-bas pour être liant ôc moelleux \ mais ils fe trompent à coup sûr, car la flexion trop outrée donne de la fécherefle à la Danfe > on peut être très -dur & facader tous les mou- vements en pliant bas comme en né pliant pas. La raifon en eft fimple, na- turelle & évidence Lorfque l'on confule- re que les temps & les mouvements du Danfeur font exactement fubordonnés aux temps & aux mouvements de la Mufîque. En partant de ce principe , il n'eft pas douteux que fiéchiffant les genoux plus bas qu'il ne le faut rela- tivement à l'air fur lequel on danfe , la mefure alors traîne , languit & fe perd. Pour regagner le temps que la flexion lente & outrée a fait perdre , & pour le rattraper , il faut que l'extenfion foit prompte , & c'efl: ce palfage fubit Sv k la Danse. 349 & foudain de la flexion à l'extenflon qui donne à l'exécution une fécherefïe & une dureté tout auffi choquante & aufïî défagréable que celle qui réfulte de la roideur. Le moelleux dépend en partie de la flexion proportionnée des genoux , mais ce mouvement n'eft pas fuffifant ; il faut encore que les coudepieds fa£ fent reflbrt, & que les reins fervent , pour ainil dire , de contrepoids à la machine , pour que ces refïbrts baiflent & haulïent avecdouceur.C'eft: cette har- monie rare dans tous les mouvements qui a décoré le Célèbre Duprc du titre glorieux de Dieu de la Danfe: en effet, cet excellent Danfeur avoir moins l'air d'un homme que d'une Divinité ; le liant , le moelleux & la douceur qui régnoient dans tous fes mouvements , $JO L E T T R ES la correfpondance intime qui fe ren- contrent dans le jeu de fes articulations, offroient un tnfembU admirable, en- femkle qui réfulte de la belle confor- mation , de l'arrangement jufte , de la proportion bien combinée des par- ties, 6v qui dépendant bien moins de l'étude &z du raifonnement que de la nature , ne peut s'acquérir que lorfque l'on eft fervi par elle. Si les Danfeurs même les plus médio- cres font en pofleffion d'une grande quantité de pas ( mal coufus , à la vérité & liés la plupart à contre- fens & de mauvais goût; ) il eft moins commun de rencontrer chez eux cette précifion d'oreille , talent rare mais inné qui cara&érife la Danfe , qui donne de l'efprit & de la valeur aux pas , & qui répand fur tous les mou- Sur la Danse. $ji vcmcnts un fel qui les anime & qui les vivifie. • Il y a des oreilles faunes Se infen- fibles aux mouvements les plus /impies & les plus Taillants ; il y en a de moins dures qui Tentent la mefure mais qui ne peuvent en faifir les fineflès ; il y en a d'autres enfin qui fe prêtent na- turellement Se avec facilité aux mou- vements des airs les moins fenfibles. Mlle. Camargo Se Mr. Lany jouifïènt de ce tact précieux Se de cette préci- sion exacte qui prêtent à la Danfc un efprit , une vivacité Se une gaieté que Ton ne rencontre point chez les Dan- feurs qui ont moins de fenfibilité Se de rmefle dans cet organe; ilclt cependant confiant que la manière de prendre les temps , en contribuant à la vîteflè ajoute en quelque forte à la délica- 3/1 Lettres teffe de l'oreille , je veux dire que tel Dan feu r peut avoir un très-beau tact & ne le pas rendre fenfible aux Specta- teurs , s'il ne poffede l'art de fe fervic avec aifance des reflbrts qui font mou- voir le coudepied; la mal-adrefle s'op- pofe donc à !a jufteflè , 3c tel pas qui auroit été faillant & qui auroit pro- duit l'effet le plus féductcur, s'il eut été pris avec promptitude 8c à L'extrémité de la mefure , paroît froid 8c inanimé, fi toutes les parties opèrent à la fois. Il faut plus de temps pour mouvoir toute la machine qu'il n'en faut pour en mouvoir une partie ; la flexion 8c l'extenfion du coudepied eft bien plus prompte 8c bien plus fubite que la flexion Se l'extenfion générale de tou- tes les articulations. Ce principe pôle, la précision manque à celui qui ayant ' Sur tA Dawsè. $jj ayant de l'oreille, ne fait pas prendre Ces temps avec vîteflè; l'élafticité du coudepied & le jeu plus ou moins a&if des refïbrts ajoutent à la fenfi* bilité naturelle de l'organe & prêtent à- la Danfe de la valeur & du brillant. Ce charme qui naît de l'harmonie des mouvements de la Mufique & des mouvements du Danfeur enchaîne - ceux mêmes qui ont l'oreille la plus in- grate & la moins fufceptible des im- preffions de la Mufique. Il eft des Pays où les Habitants jouif- fent généralement de ce tact inné qui feroit rare en France, fi nous ne com- ptions au nombre de nos Provinces la Provence, le Languedoc & l'Alface. Le Palatinat, le Wirtemberg , la Saxe, le Brandebourg , l'Autriche & la Bohême fourniflènt aux Orcheftres des 3/4 Lettres Princes Allemands une quantité d'excel- lents Muficiens & de grands Compo- fiteurs. Les Peuples de la Germanie nailfent avec un goût vif & déterminé pour la Mufique ; ils portent en eux le germe de l'harmonie , & il eft , on ne peut pas plus commun, d'entendre dans les rues & dans les boutiques des Artifans, des Concerts pleins de jurteflè & de précifion. Chacun chante fa par- tie & compte Tes temps avec exacti- tude ; ces Concerts diftés par la /îm- .ple nature & exécutés par les gens les plus vils ont un cnftmbU que nous avons de la peine à Faire faifir à nos Muficiens François , malgré le bâton de mefurc & les contodîons de celui qui en eft muni. Cet infiniment , ou pour mieux dire cette efpece de férule décelé l'école & retrace la foiblefïè & Sur iaDan.ïe. 3j5 ■& l'enfance dans laquelle notre Mufi- que étoit plongée , il y a foixante ans. Les Etrangers accoutumés à entendre des Orcheftres bien plus nombreufes que les nôtres , bien plus variées en inftrumcnts & infiniment plus riches en Mufique favante & difficultueufe , ne peuvent s'accoutumer à ce bâton , feeptre de l'ignorance qui fut inventé pour conduire des talents naifïants ; ce hochet de la Mufique au berceau» paroît inutile dans l'adolefcence de cet Art. L'Orcheflre de l'Opéra, eft fans contredit le centre & la réunion des Muficiens habiles j il n'eft plus nécef- faire de les avertir comme autrefois qu'il y a deux diefes à la Clef. Je crois donc, Monfieur, que cet infini- ment fans doute utile dans les temps d'ignorance , ne l'eft plus dans un fie- Zij 3j5 Lettres clc où les beaux arcs tendent à la peN fec~tion. Le bruit défagréable & diflTo- nant qu'il produit, lorfque le Préfet de la Mufique entre dansl'enthoufiafme, & qu'il brife le pupitre , diftrait l'oreille du Spectateur , coupe l'harmonie, al- tère le chant des Airs, & s'oppofe à toute impreffion. Ce goût naturel &: inné pour la Mufique entraîne après lui celui de la Danfe. Ces deux Arts font frères; les accents tendres & harmonieux de l'un excite les mouvements agréables & exprelïifs de l'autre ; leurs talents réunis offrent aux yeux & aux oreilles les tableaux animés du fentimentjces fens portent au cœur les images in- téreflantes qui les ont affectés; le cœur les communique à l'ame & le plaifir qui réfulte de l'harmonie Se de l'intelli? Sur laDanse. 357 gence de ces deux Arts enchaîne le Spectateur, & lui fait éprouver ce que la volupté a de plus féduifant. . ... La Danfe eft variée à l'infini dans toutes les Provinces de la Germanie. La manière de danfer qui règne dans un Village eft prefque étrangère dans le Hameau voifin. Les airs mêmes def- tinés à leurs réjouiffances ont un ca- ractère & un mouvement différents , quoiqu'ils portent tous celui de la gaieté. Leur Danfe eftféduifante,par- cequ'elle tient tout de la nature : leurs mouvements ne refpirent que la joie & le plaifir , & la précifion avec laquelle ils exécutent, donne un agrément par- ticulier à leurs attitudes, à leurs pas ÔC à leurs geftes. Eft-il queftion de fauter? cent perfonnes autour d'un chêne ou d'un pilier prennent leurs temps dana Z iij 3 5 S Lettres. le même inftanr, s'élèvent avec la même jufteffe & retombent avec la même exac- titude. Faut-il marquer la mefure par un coup de pied ? tous font d'accord pour le frapper enfemble. Enlevent-ils* leurs femmes? on les. voit toutes en l'air à des hauteurs égales , ôc ils ne les laiffent tomber que fur la note Ccn^ fib!e de la mefure. Le contrepoint qui fans contredit e([ la pierre de touche de l'oreille la plus délicate eft pour eux ce qu'il y a de moins difficile ; aulTi leur Danfe eft- elle animée,, & la fincflè de leur or- gane jette-t-elle dans leur manière de fe mouvoir-une gaieté tk une variété que l'onn ç trouve point dans nos Contre- danfes françoifes. Un Danfeur fans oreille eft l'ima- ge d'un fou qui parie fans cefTe , qui !>* Sur la Danse. $j^ dit tout au hazard, qui n'obferve point de fuite dans la converfation , & qui n'articule que des mots mal coufus&T dénués de fens commun. La parole ne' lui fert qu'à indiquer aux gens fenfés fa folie & fon extravagance. Le Dan- fcur fans oreille ainfi que le fou fait des pas mal combinés, s'égare à chaque 1 inftant dans fon exécution , court fans ceflè après la mefure & ne l'attrape jamais. Il ne fent rien , tout eft faux! chez lui , fa Danfe n'a ni raifonne- ment ni expreffion , & la Mufique qui ; devroit diriger fes mouvements , fixer fes pas & déterminer fes temps, ne fert qu'à déceler fon infufïifance & fes imperfections. - L'étude de la Mufique peut , com- : me je vous l'ai déjà dit, remédier à ce défaut , & donner à l'organe Ziv }6o Lit tu eu moins d'infenfibilité & plus de jufteftè. Je ne vous ferai pas , Moniteur , une longue defcription de tous les en- chaînements de pas dont la Danfe eft; çn poiïefTîon y ce détail feroit immenfe ; il eft inutile d'ailleurs de m'étendre fur le méchanifme de mon Art ; cette partie eft portée a un f\ haut degré de perfection, qu'il feroit ridicule de vouloir donner, de nouveaux préceptes'aux Artiftes.Une pareille diflertation ne pourroit man- quer d'être froide Cv de vous déplaire i c'çft aux yeux & non aux oreilles que les pieds Se les jambes doivent parler. Je me contenterai donc de dire que ces enchaînements font innombra- bles, que chaque Danfeur a fa ma-» niere particulière d'allier & de va- rier fes temps. Il en eft de la Danfe » çgmmç de la Mufique, & des Danfeurs, Sun la Danse. j6x comme des Muficiensj notre Art n'eft x pas plus riche en pas fondamentaux que la Mufique l'efl: en notes; mais nous avons des Octaves, des Rondes, des Blanches, des Noires, des Croches, des doubles Croches &des triples Cro- ches ; des temps à compter Se une mc- fure à fuivre; ce mélange d'un petit nombre de pas & d'une petite quantité de notes offre une multitude d'en- chaînements Se de traits variés ; le coût Se le génie trouvent toujours une fource de nouveautés, en arrangeant & en retournant cette petite portion de notes Se de pas de mille fens Se de mille manières différentes; ce font donc ces pas lents Se foutenus , ces pas viFs €e précipités , Se ces temps plus ou moins ouverts qui forment cette diver- se continuelle. Je fuis s Sec, jd Lettres p — LETTRE XIII. JL* A Chorégraplùe * dont vous vou- lez que je vous entretienne, Moniteur , eft l'Arc d'écrire la Danfe à l'aide de différents flânes , comme on écrit la Mufique à l'aide de ligures ou de ca- * Thoinet Arbeau , Chanoine de Langres s'eft diftingué le premier par un Traite qu'il donna en j 5 8S t &: qu'il a intitulé Orchcfoçraphic. Il ccrivoit an - défions de chaque note de l'air les mouve- ments Se les pas de Danfcs qui lui paroifloient convenables. Beauchamps donna enfuitc une forme nouvelle à la Chorégraphie fc perfectionna l'ébau- che ingénieufe de Thoinet Arbeau j il trouva le moyen d'écrire les pas par des figues aulquels ii attacha nne fignification ôc une valeur dirYorentcSj & il fut déclaré l'inventeur de cet Art par un Arrêt du Parlement. Feuillet s'y attacha fortement, & noui a toiûc quelques Ouvrages fui cette matière. Sur i, a Danse. 56$ ra&ercs défignés par la dénomination de Notes , avec cette différence qu'un bon Muiicien lira deux cents mefurcs dans un inftant, & qu'un excellent Chorégraphe ne déchiffrera pas deux cents mefurcs de Danfc en deux heu- res. Ces fîgnes repréfentatifs fe conçoi- vent aifément ; on les apprend vite , on les oublie de même. Ce cenre d'écriture particulier à notre Art , & que les an- ciens ont peut-être ignoré pouvoir être nécelfaire dans les premiers moments où la Danfe a été aflervie à des prin- cipes. Les Maîtres s'envoyoient réci- proquement de petites contre-danfes Se des morceaux brillants & difficiles, tels que le Mtnuct d'Anjou , la Bre- iagne , la Mariée , le Pajfcpied , fans compter encore les Folies d'Efpagne , la Pavanne, la Courante , la Bourré^ 5^4 Lettres d'Achille & {'Allemande. Les chemins ou la figure de ces Danfes croient tra- cés ; les pas étoient enfuite indiqués fur ces chemins par des traits Se des fignes démonfiratifs &c de convention - y la cadence ou la mefure étoient mar- quées par de petites barres pofees tranfverfalemcnt qui divifoient les pas & fixoient les temps ; l'air fur lequel ces pas étoient compofés , fc notoit au- deflus de la page, de forte que huit mefures de Chorégraphie équivaloient à huit mefures de Mufique ; moyen- nant cet arrangement on parvenoit à épeller la Danfe , pourvu que l'on eût la précaution de ne jamais changer la pofition du Livre , de de le tenir tou- jours dans le même fens. Voilà , Monfieur , ce qu'étoit jadis la Choré- graphie. La Danfe étoit fimple & peu • StTR LA D AH SE. $6f compofée ; la manière de l'écrire écoic par conféquent facile , & on apprenoit à la lire fore aifément ; mais aujourd'hui les pas font compliqués ; ils font dou- blés & triplés; leur mélange eft immenfe; il eft donc très - difficile de les mettre par écrit & encore plus difficile de les déchiffrer. Cet Art au refte eft très-im- parfait y il n'indique exactement que l'action des pieds, & s'il nous défigne les mouvements des bras, il n'ordonne ni les pofirions ni les contours qu'ils doivent avoir : il ne nous montre en- core ni les attitudes du corps , ni fes effacements , ni les oppofitions de la tête, ni les fîtuations différentes , nobles & aifées , néceflaires dans cette partie, & je le regarde comme un Art inutile puifqu'il ne peut rien pour la perfection du nôtre. ?66 Lettres Je demanderois à ceux qui fc font gloire d'être inviolablemcnt attachés à la Chorégraphie ôc que peut - être je jfeandalife , à quoi cette feienec leur a fervi ? Quel luftre a-t-elle donné à leurs talents ? Quel vernis a-t-elle ré- pandu fur leur réputation ? Ils me ré- pondront, s'ils font iîneeres, que cet Art n'a pu les élever au-delfus de ce qu'ils étoient , mais qu'ils ont en revan- che tout ce qui a été fait de beau en matière de Danfe depuis cinquante ans. «Confervez, leur dirai- je, ce recueil » précieux; votre cabinet renferme tout » ce que les Duprt, les Camargo, les »Lany, les Veflris &c peut-être même »les Blondi ont imaginé d'enchaîné- »ments & de temps fubtils, hardis & »favants, & cette collection eft fans »doute très - belles mais je vois avec Sur u Danse. 367 » regret que toutes ces richeffes réunies » n'ont pu vous fauver de l'indigence ttdans laquelle vous focs des biens qui • » vous auroient tiré de la médiocrité. * Entamez , tant qu'il vous plaira, ces »foibles monuments de la gloire de » nos Danfeurs célèbres j je n'y vois & wl'on n'y verra que le premier crayon, » ou la première penfée de leurs talents; »je n'y diftinguerai que des beautés wéparfes , fans cnfcmblt , fans coloris, » les grands traits en feront effacés ; les » proportions , les contours agréables » ne frapperont point mes yeux ; j'ap- » percevrai feulement des veftiges & » des traces d'une action dans les pieds » que n'accompagneront ni les attitu- » des du corps, ni les portions des bras, »ni l'expreflion des têtes ; en un mot, m vous ne m'offrirez que l'ombre impar* 568 Lettres-'* » faite du mérite fupéricur, Se qu'une » copie froide & muette d'originaux » inimitables. » J'ai appris, Monfieur, la Chortgra. phle & je l'ai oubliée ; fi je la croyois utile à mes progrès je l'apprendrois de nouveau. Les meilleurs Danfeurs &les Maîtres de Ballets les plus célèbres la dédaignent parce qu'elle femble n'être pour euxd'aucunfeccurs réel. Ellepour- roit cependant acquérir un degré d'uti- lité & je me propofe de vous le prouver, après vous avoir fait part d'un projet né de quelques réflexions fur l'Acadé- mie de Danfe , dont l'établiflement n'a eu vraifemblablement d'autre objet que celui de parer à la décadence de notre Art & d'en hâter les progrès. La Danfe & les Ballets prendroient fans doute une nouvelle vie , fi des ufages Svr ia Danse. j 6$ - ufages établis par un efprit de crainte & de jaloufîe , ne fcrmo!ent en quel- que forte le chemin de la gloj:e à tous ceux qui pourro!enr Te montrer avec quelque avantage fur le Théâtre de la Capitale, &c convaincre par la nouveauté de leur genre que le génie eft de tous les pays, & qu'il croît & s'élève en Province avec autant de facilité que par-tout ailleurs. Ne croyez pas , Monficur , que je veuille d -primer les Danfeurs que la faveur, ou fi vous le voulez , une étoile prop'ce & fa/orable a , con- du : t à une place à laquelle de vrais talents les appelloient; l'amour démon Art , & non l'amour de moi-même efl: le feul qui m'anime , & je me perfua- de que fans bleiTcr quelqu'un , il m'eft permis de fouhaiter à la Da.ife Aa •370 T L E T T H. £ S les prérogatives dont jouit la Corné* tlie. Or les Comédiens de Province n'ont-ils pas la liberté de débuter à Paris & d'y }ouer trois Rôles diffé- rents & à leur choix ? Oui fans doute* me dira-t-on ; mais ils ne font pas toujours reçus; eh! qu'importe à celui qui réufïit & qui plaît généralement d'être reçu , ou de ne le pas être ? Tout Acteur qui triomphe par fes ta- lents de la Cabale comique, & qui s'attire fans- baflefTe les furrrages una- nimes d'un Public éclairé , doit être plus que dédommagé de la privation d'une place qu'il ne doit plus regret- ter lorfqu'il fait qu'il la mérite légi- timement. La Peinture n'auroit certainement pas produit tant - d'hommes illuftres «Uns tous les genres- qu'elle- embraflè, St/fc t Danse. 371 fàtis cette émulation qui règne dans fon Académie. G'eft-là* Monfieur, que le vrai mérité peut fé montrer fans crainte j il place chacun dans le rang qui lui convient j & la faveur fut tou* jours plus foible à la Galerie du Louvre qu'un beau pinceau qui la force au fitericc. Si les Ballets font de* tableau* vi- vants j s'ils doivent réunir tous les charmés de la Peinture , pourquoi rfeft-il pas permis à nos Maîtres d'expofer fur lé Théâtre dé l'Opéra trois morceau* dé ce genre t l'Un tiré de l'Hiftoirej l'autre de la Fable, & le dernier dé leur propre imagination ? Si ces Maîtres réufîîflbient , on les recé- ■ Vf Oit Membres dé l'Académie* ou on îéS aggrégeroit à cette Société. Dé cette marque de diftinctiôn & dé céc A a ij •37* ,i L E T T R E S arrangement naîtroit à coup sûr l'ému- lation ( aliment précieux des Arts ) & la Danfe encouragée par cette récom- -penfe quelque chimérique qu'elle puifle être, fe placeroit d'un vol rapide à côté des autres. Cette Académie devenant .d'ailleurs plus nombreufe fe diftin- gueroit peut-être d'avantage ; les ef- ibrts des Provinciaux exciteroient les fiensj les Danfeurs qui y feroient abré- gés , ferviroient d'aiguillon à Tes prin- cipaux Membres j la vie tranquille de la. Province , faciliteroit à ceux qui y •jfont répandus les moyens de penfer, de réfléchir & d'écrire fur leur Art ; ils .adrefleroient à la Société des Mémoi- xes fouvent inftructifs ; l'Académie à fon tour feroit forcée d'y répondre , Se ce commerce littéraire en répan- dant fur nous un Jour lumineux Sur la Danse. ^/y : nous tireroit peu à peu de notre" lan-» gueur & de notre obfcurité. Les jeu-, nés gens qui fe livrent à la Danfe^ machinalement & fans principes s'in-~ ftruiroient encore infailliblement} ils: apprendroient à connoître les difficul- tés; ils s'éfforceroient de les combattre}: & la vue des routes sûres les empêche- roit de fe perdre & de s'égarer.- -- ^ On a prétendu , Monficur ,quc notreC Académie efl: le féjour du fllence & le? tombeau des talents de ceux qui' 1k compofent. On s'eft, plaint de n'en voir fortir aucun Ecrit ni bon, ni mauvais; ni médiocre, ni fatisfaifant, ni en- nuyeux } en lui reproche de s'être en- tièrement écartée de- fa première infti- tution; de ne s'aflèmbler que rarement ou par hazard., de ne s'occuper en au- cune manière des progrès de l'Art qui, A a iij 374 Lettres en cft l'objet, ni du foin d'inftruirç les Danfeurs & de former des Elevés. Le moyen que je proppfe» feroir. inévi- tablement taire ou la calomnie ou la médifance , & rencjroit à cette Société la c'jufidération & le nom que plufieurs perfonnes lui refufent peut-être injufte- ment. J'ajouterai que fes fuccès , fi elle fe déterminoit à commencer les Pifciplcs , feroient infiniment plus ^(Tuiés, elle ôtero.'t du moins à une muU ritude dç Maîtres avides d'u,ne réputa^ tion quMs n'ont pas méritée, la refTource ^eVattr.buer les progrès des Elevés cV la liberté 4'fn rejetter les défauts fur ceux dont, ils ont reçu les premières leçons, Ce DwJcuf , difent-ils , a reçu pri* jçitivçrntnt di mauvais principes ; s'il a des, défauts , çc a'efl pas ma faute % j % . ai terni r'wpoflfaU s toutes, lis per-, S u n l a Danse. 375 fictions que vous lui connoijfc^ m'ap- partiennent , elles font mon ouvrage,- C'eftainfi, Monfïeur, qu'on fe ménage adroitement j en fe refufant au* peines de l'Etat, une réponfe courte en cas de critique , & une forte de crédit & de confiance en cas d'applaudifîèment. Vous conviendrez cependant que la perfec- tion de l'ouvrage dépend en partie de la beauté de V ébauche j mais un £ colier que l'on préfente au Public eft comme un tableau qu'un Peintre expofe au Sallonj tout le monde le voit, tout le monde l'admire & l'applaudit, ou tout le monde le blâme & le cen- fure ; figurez-vous donc l'avantage que l'on a d'être conftamment à l'afîut des Sujets agréables formés dans la Provin- ce, dès qu'on peut fe faire honneur des talents qu'on ne leur a pas donnés. A a iv 57<> L E T T R I S Il ne s'ag't que de débiter d'abord que l'Elevé a été ind ; gnement enfeigné ; que le Maître l'a totalement perdu ; que l'on a une peine inconcevable à dérru re cette mauvaife Dunje de Cam- pagne & à remédier à des défauts étonnants : il faut enfuite ajouter que l'Elevé a du zèle; qu'il répond aux foins qu'on fe donne ; qu'il travaille nuit & jour ; & le faire débuter un mois après. Allons voir , ( dit-on , ) danfer le jeune homme\c \ji ï Ecolier d'un tel\ il ètoit détcflable il y a un mois. Oui y répond celui-ci , il ètoit infoutt* nable , & du dernier mauvais. L'Elevé fe préfente > on l'applaudit avant qu'il danfe ; cependant il fe déployé avec grâce, il fe dciïine avec élégance , fes att.tudes font belles, fes pas bien écrits, il eft brillant en l'air , il eft vif & pré- Sur la Danse. 377 cis terre-à-terre , quelle furprife ! On crie miracle ! Le Maître e[î étonnant ! Avoir formé un Danfeur en vingt le- çons ! c.La ne s*eft jamais fait. En honneur Us talents de notre Jitcle font fw prenants. Le Maître reçoit ces louanges avec une modeftie qui féduit , tandis que l'Ecolier ébloui du fuccès & étourdi des applaudiflements , fe voue à l'in- gratitude la plus noire ; il oublie juf- qu'au nom de celui à qui il doit toutj tout fentiment de reconnoiflance eft pour jamais effacé de Con ame j il avoue , il protefte effrontément qu'il ne favoit rien , comme s'il étoit en état de fe juger lui-même , & il encenfe le Charlatanifme par lequel il imagine quç les éloges lui ont été prodigués. Ce n'eft pas tout ; ce même Elevé $7$ Lettres fait un nouveau plaifir toutes les fois qu'il paroît ; bientôt il donne de la jaloufie &: de l'ombrage à fon Maître ; celui-ci lui refufe alors des leçons parce que fon genre eft le même & qu'il craint que fon Ecolier ne le fur- pa(Te 6c ne le faffe oublier. Quelle petitefTc ! Peut-on fe'perfuader qu'il n'y ait point de gloire à un habile homme d'en fa're un plus habile que lui ? Eft-ce avilir fon mérite &: flétrir fa réputation que de faire revivre fes talents dans ceux d'un Ecolier ? Eh ! Monsieur , le Public pourroit-il favoir mauvais gré à Mr. Jtliotc , * s'il eût * L'Orphée de notre fiecle, l'ornement de la Scène lyrique (c le plus célèbre Chanteur que l'Opéra ait jamais eu. Il réunit aux charmes de la voix un goût ôc une expreflion admirable 5 H eft auflt habile Muficien qu'il étoit excellent Acteur, talent rare chez nos Chanteurs François. Sur i a Danse. 379 formé un homme qui l'égalât? En fc T r oit-il moins Jtliott ? non , fans doute , dp pareilles craintes ne troublent poin; Je vrai mérite, & n'alarment que les demi - talents. . ^4ais revenons à l'Académie de Danfe. Elle eft , du moins je le crois , çompofée de treize académiciens qui tous en particulier ojitdes talents d'une fupériorité reconnue. Ils font , ou ils ont été d'excellents Danfeurs, Je me fais un, honneur & un devoir de- leur donner ici le tribut d'éloges que je leur dois; j quiconque a contribué long-temps aijx plaifirs d'un Public auffi éclairé que celui de Paris, cft& fera toujours cher à celui qui aimç & qui chérit les Art$ j or quelle foqrce inépuifable de principes î Que de prén çeptes pleins de jufteiTe & de foljdité 1». 380 Lettres Que de Mémoires excellents ! Que d'obfervations inftruéHves, & combien de traités admirables émaneroient &c fortiroient de la Société qu'ils forment, fi leur émulation étoit aiguillonnée & réveillée par les travaux qui leur fe- roient offerts ! On écrit tous les jours fur des ma- tières bien plus futiles & bien moins întéreflantes que la Danfe ; le génie eft rare, mais il eft de tous les états ; pourquoi nous auroit-il été refufé plutôt qu'aux autres hommes , &: ne s'aviliroient-ils pas eux-mêmes , s'ils penfoient qu'il eft inutile à ceux qui ne travaillent que pour parvenir au bon- heur de leur plaire? Il eût été à fouhaiter , Monfieur , que les Académiciens 6c le Corps mê- me de l'Académie euflent fourni à Sur la Danse. 381' l'Encyclopédie tous les articles qui concernent l'Art. Cet objet eût été mieux rempli par des Artiftes éclairés que par Monfieur de Cahufac ; la par- tie hiftorique appartenoit à ce dernier, mais la partie méchanique devoit , ce me femble, appartenir de droit aux Danfeurs; ils auroient éclairé le Peu- ple danfant ; ils lui auroient montré le flambeau de la vérité , & en illus- trant l'Art ils fe feroient iliuftrés eux-mêmes. Les productions ingénieu- fes que la Danfe enfante fi fouvent à Paris & dont ils auroient pu donner au moins quelques exemples , auroient été confacrées dans des planches diffé- renies de ces tables chorégraphiques qui , comme je l'ai dit , n'apprennent rien , ou n'apprennent que très - peu de chofe. Je fuppofe en effet que l'A- 3#* L E t TR E$ cddérriîtf eût aflbcié à Ces travaux deuS grands hommes, Mr» Boucher & Mr* Cochih ,* qu'Un Académicien Chorl- graphe eût été chargé du foin de tra- cer les chemins Si de defTiner les pas; que celui qui étoit en état d'écrire avec le plus de netteté eût expliqué tout ce que le plan géométral n'au- roït pu préfenter diftinctement ; qu'il eût rendu compte des effets que cha- que tableau mouvant auroit produit > 6c de celui qui réfultoit de telle oii telle fttuation j qu'enfin il tût ana- lyfé les pas , leurs enchaînements fucceffifs; qu'il eût parlé des pofitiems du corps , des attitudes , Si qu'il n'eût tien omis de ce qui peut expliquer & faire entendre le jeu muet , l'expref- fîon pantomime Si les fentimenrs va- riés de l'ame par les caractères variés ; Si;r eà Danse. 3S3 de la phy/ionomie } alors Mr. Boucher d'une main habile eût defïiné tous les grouppes & toutes les fïtuations vrai- ment intéreflantes , & Mr. Cochin d'un burin hardi auroit multipliélesefquifîès de Mr. Boucher. Avouez, Monfieur, qu'avec le fecours de ces deux hommes célèbres , - nos Académiciens feroient âifément paflèr à la poftérité le mérite des Maîtres de Ballets & des Danfeurs habiles dont le nom eft à peine con- fervé parmi nous quelques luftres après eux, &qui nenouslaiflèntaprès qu'ils ont abandonné le Théâtre qu'un fouvenir confus des talents qui nous forçoient à les admirer. La Chorégraphie deviendroit alors intérelïànte. Plan géométral, plan d'élévation, deferip- tion fîdelle de ces plans , tout fe pré- fenteroit à l'œil avec les traits du 384 Lettres goût & du génie ; tout inftruiroit ,les attitudes du corps , l'cxpreffion des têtes, les contours des bras, la pofi- tion des jambes , l'élégance du vête- ment, la vérité du. coflume ; en un mot, un tel ouvrage foutenudu crayon &du burin de ces deux illuflres Artiftcs feroit une fource où l'on pourroit puifer , & je le regàrderois comme les archives de tout ce que notre Art peut offrir de lumineux, d'intérelfant & de beau. Quel projet, me direz-vous ! Quelle dépenfe immenfe! Quel livre volumi- neux ! Il me fera facile de vous répon- dre. Je ne propofe pas en premier lieu deux Mercenaires , mais deux Artiftcs qui traiteront l'Académie avec ce défintérefTement qui eft la marque & la preuve des vrais talents. i°. Je ne leur \ > S u*. la Danse. $£j leur deftine que des chofesab fol u ment dignes d'eux & de leurs foins, c'eft-à- dire , des chofes excellentes , pleines de feu & de génie , de ces morceaux rares , exactement neufs & qui infpi- rent par eux-mêmes. Ainfi voilà des dépenfes épargnées & sûrement des planches en très-petit nombre. Plus fenfible que qui que ce foit à la gloire d'une Académie alors véritablement utile , que ne puis- je , Monfieur , voir déjà ce projet mis à exécution ! & quel moyen plus sûr pour elle & pour les Danfeurs qu'elle croiroit devoir célé- brer , de voler à l'immortalité que celui d'emprunter les ailes de deux grands hommes faits pour graver à ja- mais au temple de Mémoire & leurs noms & celui des perfonnages qu'ils voudront illuftrer î Une telle entreprise Bb $86 LlTTRES fembloit leur être réfervée ; & j'ofe croire , que nos Académiciens trou- veront en eux toutes les reflbur- Ces qu'ils pourront defirer , lorf- qu'ils leur préfenteront des mo- dèles dont la Capitale qui eft le centre & le point de réunion de tous les talents fourmille fans doute, Se que je n'ai ni la hardiefle ni la témérité de leur indiquer. Voilà, Monfieur, ce qui me paroî- troit devoir être fubftitué à la choré- graphie de nos jours , à cet Art au- jourd'hui fî compliqué que les yeux & l'efprit s'y perdent y car ce qui n'é- toit que le rudiment de la Danfe , en eft devenu infenfiblement le grimoire. La perfection même que l'on a voulu donner aux fignes qui défignent les pas ôc les mouvements n'a fervi qu'a > Sur la Danje. 387 les embrouiller & à les rendre indé- chiffrable. Plus la Danfe s'embellira,plus les caractères fe multiplieront , & plus cette feience fera inintelligible. Jugez- en, je vous prie, par l'article chorégra- phie inféré dans l'Encyclopédie ; vous regarderez sûrement cet Art comme l'algèbre des Danfeurs , & je crains fort que les planches ne répan- dent pas un jour plus clair fur les en- droits obfcurs de cette diflertation danfante. Je conviens > me repliquerez-vous peut-être, que le fameux Blondy lui- même interdifoit cette étude à fes Ele- vés y mais avouez du moins que la chorégraphie eft nécefïàire aux Maîtres de Ballets: non, Monfieur, c'efl: une erreur que de penfer qu'un bon Maî- tre de Ballets puiffe tracer & compo- Bb ij ^88 Lettres fer Ton ouvrage au coin de Ton feu. Ceux qui travaillent ainfi, ne parvien- dront jamais qu'à des combinaifons miférables. Ce n'eft pas la plume à la main que l'on fait marcher les Figurants. Le Théâtre eft le Parnafle des Compo- steurs ingénieux ; c'eft là que fans cher- cher, ils rencontrent une multitude de chofes neuves ; tout s'y lie, tout y eft plein d'ame , tout y eft définie avec des traits de feu. Un tableau ou une fitua- tion le conduifent naturellement à une autre iles figures s'enchaînent avec au- tant d'aifance que de grâce ; l'effet gé- néral fe fait fentir fur le champ ; car telle figure élégante fur le papier , cefle de l'être à l'exécution ; telle autre qui le fera pour le Spectateur qui la verra en vue d 'oifeau , ne le fera point pour les "premières Loges & le Parterre ; c'efl Sur la Danse. 389 donc pour les places les moins élevées que l'on doit principalement travailler, puifque telle forme , tel grouppe & tel tableau dont l'effet eft fenfible pour le Parterre , ne peut manquer de l'être dans quelque endroit de la Salle que l'on fe place. Vous obfervez dans les Ballets des marches , des contre-marches, des repos, des retraites, des évolutions î des grouppes ou des pelotons. Or fi le Maître n'a pas le génie de faire mou- voir la grande machine dans des fens . juftes ; s'il ne démêle au premier coup d'ceil les inconvénients qui peuvent ré- sulter de telle opération ; s'il n'a l'Art . de profiter du terrein - x s'il ne propor- , tionne pas, les manœuvres à l'étendue ; plus ou moins vafte & plus ou moins .limitée du Théâtre > fi fes difpofitions , font mal conçues y Ci les mouvements Bb iij J $9» Lettres qu'il veut imprimer font faux ou im- poffibles ; Ci les marches font ou trop vîtes, ou trop lentes, ou mal dirigées; fî la mefure & Yenfcmblt ne régnent pas ; que fais - je , fi l'inftant eft mal choifi, on n'apperçoit que confufion, qu'embarras , que tumulte \ tout fe choque , tout fe heurte ; il n'y a & il ne ^eut y avoir ni netteté, ni accord , ni exactitude , ni précifion , & les huées èv les fifflets font la Jufte récompenfe d'un travail auffi monftrueux & auffi mal entendu. La conduite S: la marche d'un grand Ballet bien deflîné exige , Ivîonfîeur, des connoi flan ces , de l'cf- prit, du génie, de la finefle, un tacl: sûr, une prévoyance fage & un coup d'oeil infaillible, & toutes ces qualités ' ne s'acquièrent pas en déchiffrant & en "'écrivant la Danfe chorigraphiqutmznt ; Sur. i-a Danse 3 5^1 le moment feul détermine la compofî- _tion j l'habileté confîfte à le faim: & à en profiter heureufement. Il eft cependant de prétendus Maîtres qui compofent leurs Ballets, après avoir mutilé ceux des autres , à l'aide du cahier & de certains fignes qu'ils adop- tent & qui forment pour eux une cho- régraphie, particulière j car la façon de delîiner les chemins eft toujours la même & ne varie que par les couleurs ; •mais rien de plus infipide & de plus languiffant qu'un ouvrage médité fur le papier , il fe refient toujours de la contention & de la peine. Il feroit beau . de voir un Maître de Ballets de l'G- -péra un in-folio à la main, fe cafter .la tête pour remettre les Ballets des Indes galantes ou de quelque autre , Opéra chargé de Danfcs j que de che- * ' Bbiv 39i Lettres mins différents ne faudroit-il pas écrire pour un Ballet nombreux ! ajoutez en- fuite fur vingt-quatre chemins , tantôt réguliers & tantôt irréguliers tous les pas compliqués à faire, & vous aurez, Moniteur , li vous le voulez, un écrit • rès-favant , mais chargé d'une fi grande abondance & d'un mélange fi informe de lignes, de traits, de lignes & de caractères que vos yeux en feront offuf- qués, & que toutes les lumières que vous efpériez d'en tirer feront, pour ainfi dire , abforbées par le noir dont fera ti(fu ce répertoire. Ne croyez pas au furplus que M. Lany , après avoir compofé les Eallets d'un Opéra à la fatisfaction du Public, foit obligé nécefc fairement d'en conferver ainlî l'idée pour les remettre cinq ou fix ans après avec •la même fupérionté j s'il dédaigne un Sur i a Danse. 393 pareil fecours, il ne les compofera de nouveau qu'avec plus de goût; il répa- rera même les fautes imperceptibles qui •pouvoient y régner ; car le fouvenir de nos fautes eft celui qui s'efface le moins, •& s'il prend le crayon , ce ne fera que pour jetter fur le papier le deflein géo- métral des formes principales &c des 'figures les plus faiilantes ; il négligera sûrement de tracer toutes les routes diverfes qui conduifoient à ces for- mes , & qui enchaînoient ces figures; & il ne perdra pas fon temps à écrire les pas, ni les attitudes diverfes qui embelliflbient ces Tableaux. Oui,, Monfieur, la Chorégraphie amortit le génie; elle éteint, elle affaiblit le goût .du Compofittur qui en fait ufage ; Il .efl: lourd & pefant; il eft incapable d'in- • vention ; de créateur qu'il étoit ou quiil 394 L E T TRES auroit été , il devient ou il n'eft plus qu'un plagiaire } Ton imagination fe tait i il ne produit rien de neuf, & tout Ton mérite fe borne à défigurer les pro- ductions des autres. Tel eft l'effet de l'engourdi (Tcment & de l'efpece de lé- thargie dans lefquels elle jette l'efprir, que j'ai vu plufieurs Maîtres de Ballets obligés de quitter la répétition , parce qu'ils avoient égaré leur cahier &: qu'ils ne pouvoient faire mouvoir leurs figu- rants fans avoir fous les yeux le mé- morial de ce que les autres avoient compofé. Je le répète, Monfieur , & je le foutiens : rien de plus pernicieux qu'une méthode qui rétrécit nos idées, ou qui ne nous en permet aucunes, à moins qu'on ne fâche fe garantir du danger que l'on court en s'y livrant. • Du feu , du goût , du génie , des con- Sur iA Danse. $?j noiflances , voilà ce qui eft préférable à la chorégraphie ; voilà , Monfîeur , ce qui fuggere une multitude de pas , de figures, de tableaux & d'attitudes nouvelles i voilà les fources inépuifa- bles de cette variété immenfe qui diftingue le véritable Artifte du Cho» régraphe inepte & matériel. . Jefuis,8cc, 1 ':.■ :: ■ ■■ - : - . 396 Lettres LETTRE XIV. V Ous exigez de moi , Monfieur , que je vous entretienne de m?s Dallets; c'eft avec peine que je cède à vos inftances. Toutes les deferiptions qu'on peut faire de ces fortes d'ouvrages ont ordinairement deux défauts \ elles font au-defïous de l'original lorfqu'il eft pafîable , ou au-deflus lorfqu'il eft médiocre. Ow ne peut ni juger d'un Cabinet de peinture par le Catalogue des Ta- bleaux qu'il renferme , ni décider du prix d'un ouvrage de littérature, par la préface ou par le Profpccîus. Il en eft de même des Ballets ; il faut néceiïairemcnt les voir, & les voir Sttr la DaiIse. $97 plufieurs fois. Un homme d'cfprit fera d'excellents Programmes & fournira à un Peintre les plus grandes idées ; mais le mérite confifte dans la diftri- bution & dans l'exécution. Qu'on ouvre le Tajfc , YArioJlc ÔC quantité d'Auteurs du même genre, on y pui- fera des Sujets admirables à la lecture ; rien ne coûtera fur le papier ; les idées fe multiplieront; tout fera facile & quelques mots arrangés avec Art pré- fenteront à l'imagination une foule de chofes agréables ; mais qui ne feront plus telles , dès que l'on eiTaiera de leur donner une forme réelle ; & c'eft alors que l'Artifte connoîtra l'immenfité de la diftancc du projet à l'exécution. Je vais fatisfaire néanmoins l Monfieur , votre curiofité ., dans la per-* 398 Lettres fualîon ou je fuis que vous ne me ju- gerez pas fur l'efquifle mal crayonnée de quelques Ballets reçus par le Pu- blic avec des applaudiflements qui ne m'ont point fait oublier que Ton in- dulgence fut toujours fort au deflus de mes talents. Je fuis très -éloigné de prétendre que mes productions foient des chefs- d'oeuvres; des fuffrages flatteurs pour- roient me perfuader qu'elles ont quel- que mérite , mais je fuis encore plus convaincu qu'elles ne font pas fans défaut. Quoi qu'il en foit , & ce peu de mérite & ces défauts m'ap- partiennent entièrement. Jamais je n'ai eu fous les yeux ces modèles excellents qui ravifïènt & qui inf- pirent. Si j'euflTe été à portée de voir, peut - être aurois - je pu faifir. J'au- Sur la Danse. $99 fois du moins étudié l'arc d'ajufter ÔC d'accomoder à mes traits les agré- ments des autres , & je me ferois efforcé de me les rendre propres, où du moins de m'en parer fans en de- venir ridicule. Cette privation d'objets indructifs a cependant excité en moi une émulation vive dont je n'aurois pas été peut-être animé , li j'avois eu la facilité de n'être qu'un imitateur froid & fervile. La nature eft le feul modèle que j'ai envifagé & que je me fuis propofé de fuivre. Si mon imagination m'égare quelquefois , le goût ou Ci l'on veut , une forte d'inftind m'éclai- rent fur mes écarts & me rappellent au vrai. Je proferis tout ce qui ne me feduit pas au premier coup d'œil ; je détruis fans regret ce que j'ai créé avec le plus de peine , & mes ouvrages ne 400 Lettres ^ m'attachent que lorfqu'ds m'affectent véritablement. Il n'en eft point, Mon- fieur , qui me fatiguent autant que la composition des 3alletsde certains Opé- ra. Les Pajfcpicds & les Menuets me tuentjla monotonie de la Mufique m'en- gourdit &je deviens aulTi j auvre qu'el- le, car elle fubftitue, pour ainn" dire, en moi la ftérilité à l'abondance. Une Mufique au contraire exprelTive , har- raonieufe 8c variée , telle que celle fur laquelle j'ai travaillé* depuis quelque temps me fuggere mille idées Emilie traits ; elle me tranfporte , elle m'é- lève , elle m'enflamme , & je dois aux * Cette Mufique eftde M Granitr, accompagna- teur du Concert de Lyon , &: je dois ici lui te .dre la juftice qui lui eft due, en affinant qu'il cfl peu de Mu- siciens aulTi capables d'approprier fa compofiion à tous les genres de Ballets, & de mouvoir le génie des hommes faits pour fentix ôc pour connoître. différentes * StTR la Danse. 401 différentes impreflions qu'elle m'a fait éprouver & qui ont pafle jufquesdans mon ame j l'accord , Yenfemblc , le /aillant , le neuf, le feu & cette multitude de caractères frappants & finguliers que des Juges impartiaux ont cru pouvoir remarquer dans mes Ballets ; effets naturels de la Mufique fur la Danfe, & de la Danfe fur la Mufique, lorfque les deux Artiftes fe . concilient, & lorfque leurs Arts fc ■. marient , fe réunifient & fe prêtent mutuellement des charmes pour féduire & pour plaire. Il feroit inutile fans doute de vous entretenir des Métamorphofes Chinoi- fes , des ReyouiJJances Flamandes , delà Mariée de Pillage, des Fêtes de Vauxhall , des Recrues Pruffiennes , du Bal parc & d'un nombre infini & Ce 4oi Lettres & peut-être trop grand de Ballets co- miques prefque dénués d'intrigue , deftinés uniquement à l'amufement des yeux , & dont tout le mérite confifte dans la nouveauté des formes, dans la variété & dans le brillant des figures. Je ne me propofe point auffi de vous parler de ceux que j'ai cru devoir trai- ter dans le grand , tels que les Ballets que j'ai intitulé , la More mais il s'échappe «Se difparoît ainfi que fa mère & les grâces ; & les Nymphes courent & volent après le plaifir qui les fuir. Cette Scène, Monfieur , perd tout à la lecture j vous ne voyez ni la Dce(Te , ni le Dieu, ni leur fuite. Vous ne dif- tinguez rien, & dans l'impoffibilité où je fuis de rendre ce que les traits, la phyfionomie , les regards & les mouvements des Nymphes exprimoient fi bien , vous n'avez & je ne vous donne ici que l'idée la plus imparfaite & la Sur la Danse. 409 plus foible de l'action la plus vive & la plus variée. Celle qui la fuit , lie l'intrigue. L'Amour paroît feul ; d'un gefte & d'un regard il anime la nature. Les lieux changent ; ils repréfentent une forêt vafte & fombre ; les Nymphes qui n'ont point perdu le Dieu de vue entrent pré- cipitamment fur la Scène; mais quelle eft leur crainte ! Elles ne voient ni yénus,niles Grâces; l'obfcurité delà forêt , le filence qui y règne les glacent d'effroi. Elles reculent en tremblant , l'Amour auflitôt les rafîure , il les invite à le fuivre •, les Nymphes s'abandon- nent à lui ; il femble les défier par une courfe légère. Elles courent après lui; mais à la faveur de plufieurs fein- tes il leur échappe toujours, & dans l'inftant où il paroît être dans l'em* I 4io Lettrés barras le plus grand & où les Nym- phes croient de l'arrêter , il fuit comme un trait & il eft: remplacé avec prompti- tude par douze Faunes. Ce change- ment fubit & imprévu fait un effet d'autant plus grand que rien n'eftaufïl frappant que le contrafte qui réfultc de la fituation des Nymphes &: de* Faunes. Les Nymphes offrent l'image de la crainte & de l'innocence; les Fau- nes celle de la force & de la férocité. Les attitudes de ceux-ci font pleines de fierté & de vigueur; les pofitions de celles-là n'expriment que la frayeur qu'infpirc le danger. Les Faunes pour» fuivent les Nymphes qui fuyent devant eux, mais ils s'en faififTent bientôt; quelques-unes d'entr'elles profitant ce- pendant d'un inftant de méfintelligence que l'ardeur de vaincre a jette parmi Sur là Danse. 411 eux, pr« îinent la fuite & leur échappent; il n'en refte que fîx aux douze Faunes ; alors ils s'en difputent la conquête ; nul d'entr'eux ne veut confentir au partage, & la fureur fuccédant bientôt à la jaloufie , ils luttent Se combattent. Celles-ci tremblantes & effrayées pafTent à chaque inftant des mains des uns dans les mains des autres , car ils font tour-à-tour vainqueurs & vaincus. Ce* pendant au moment où les combattant» paroifïènt n'être occupés que de la dé» faite de leurs rivaux , elles tentent de s'é- chapper. Six Faunes s'élancent après elles & ne peuvent les arrêrcr , parce qu'ils font eux-mêmes retenus par leurs ad* verfaires qui les pourfuivent. Leur co- lère s'irrite alors de plus en plus. Cha- cun court aux arbres de la forêt ; ils en arrachent des branches avec fureur. 4ii Lettres & ils fe portent de part & d'autre de* coups terribles. Leur adrefTc à les parer étant égale , ils jettent loin d'eux ces inutiles inftruments de leur vengeance Se de leur rage, & s'élançant avec impetuofité les uns fur les autres, ils luttent avec un acharnement qui tient du délire & du défefpoir ; ils fe fai- filîcnr,feterraflent, s'enlèvent de terre, fe ferrent, s'étouffent , fe prefTent Se fc frappent, & ce combat n'offre pas un feul inftant qui ne foit un tableau. Six de ces Faunes font enfin victorieux ; ils foulent d'un pied leurs ennemis ter- rafles Se lèvent le bras pour leur por- ter le dernier coup, lorfque fîx Nym- phes conduites par l'Amour les arrê- tent Se leur préfentent une couronne de fleurs. Leurs compagnes fenfibles à la honte Se à l'abattement des vaincus S vu. la Danse, 41 j laifîent tomber à leurs pieds celles qu'elles leur deftinoient j ceux - ci dans une attitude qui peint ce que la douleur & l'accablement, ont de plus affreux font immobiles ; leur tête efl abattue, leurs yeux font fixés fur la terre. Vénus & les Grâces touchées de leurs peines engagent l'Amour à leur être propice j ce Dieu voltige autour d'eux & d'un fouffle léger , il les ranime & les rappelle à la vie ; on les voit lever infenfiblement des bras mou- rants , Se invoquer le fils de Vénus qui par fes attitudes & fes regards, leur donne, pour ainfi-dire , une nou- velle exiftence. A peine en jouiffent-ils qu'ils apperçoivent leurs ennemis occu- pés de leur bonheur & folâtrant avec les Nymphes ; un nouveau dépit s'empare «L'eux i leurs yeux étincellent de feu > 414 Lettres ils les attaquent, les combattent & en- triomphent à leur tour ; peu contents de cette vi&oire s'ils n'en emportent des trophées, i' leur enlèvent & leur arrachent les couronnes de fleurs dont ils feglorifioicnt j mais par un char- me de l'Amour ces couronnes fc partagent en deux: cet événement ré- tablit parmi eux la paix & la tranquil- lité ; les nouveaux vainqueurs Ôc Ici ■nouveaux vaincus reçoivent également le prix de la victoire j les Nymphes préfentent la main à ceux qui viennent de fuccomber , & l'Amour unit enfin les Nymphes aux Faunes. Là le Ballet Symmécriquc commence j les beautés méchaniques de TArt fe déploient fur une grande Chaconne, dans laquelle l'Amour , Vénus , les Grâces , les jeux, & les plaifîrs danfent les principaux Sur ia Danse* 41J morceaux. Ici je pou vois craindre le ralcntiflfement de l'action , mais j'ai faifi l'inftant où Vénus ayant enchaîné l'Amour avec des fleurs , le mené en laiflè pour l'empêcher de fuivre une des Grâces à laquelle il s'attache, & pendant ce pas plein d'exprefïïon , les plaifirs & les jeux entraînent les Nym- phes dans la forêt. Les Faunes les fuivent avec emprefTement, & pour Tau ver les bienféances, & ne pas rendre tropfen- fibles les remarques que l'Amour fait faire à fa mère fur cette difparition, je fais rentrer un inftant après ces mêmes Nymphes & ces mêmes Faunes. L'ex- preflion de celle - ci , l'air fatisfait de ceux-là peignent avec des couleurs mé- nagées dans un pafîàge bien exprimé de la Chaconnc , les tableaux de la volupté colories par le fentiment & la décence. +\6 Lettres Ce Ballet, Monfieur,eft d'une action chaude & toujours générale. Il a fait , & je puis m'en glorifier, une fenfation que la Danfe n'avoit pas produite jus- qu'alors. Ce fuccès m'a engage à aban- donner le genre auquel je m'étois atta- ché, moins , je l'avoue, par goût &c par connoiiïànce que par habitude. Je me fuis livré dès cet mitant à la Danfe ex- preffive & en action ; je me fuis atta- ché à peindre dans une manière plus grande &: moins léchée , tk j'ai fenti que je m'étois trompé grofïiérement en imaginant que la Danfe n'étoit faite 'que pour les yeux , Cv que cet organe ctoit la barrière où fe bornoit fa puif- fance & fon écendue. Pcrfuadé qu'elle peut aller plus loin , & qu'elle a des droits inconteftables fur le cœur & fur l'ame , je m'efforcerai déformais de * S tffc la Danse. 41? de la faire jouir de tous fes avantages. •Les Faunes étoient fans iàhniltts , & les Nymphes , Vénus &" les Grâces fans paniers. J'avois profcrit les ma£» ques qui fe feroient oppofés à toute expreflion j la méthode de M. Garrick m'a été d'un grand fecours : on lifoit dans les yeux & fur la phyfioriomic de mes Faunes tous les mouvements des paflions qui les âgitoient. Une laflure & une efpece de chaufïure imitant de l'écorce d'arbre m'avoient femblé pré- férables à des efearpins; point de bas ni de gands blancs , j'en avois aflbrti la couleur à la teinte de la carnation de ces habitants des forêts j une (impie draperie de peau de tigre couvroit une partie de leur corps , tout le refte pa- roiflbit nu ; & pour que le cojlumc n'eût pas un air trop dur & ne con- D d 41$ r L b r t r es 2 traitât pas trop avec l'habillement élé- gant des Nymphes, j'avois fait jetter fur les bords /les draper içs une guirlande peérateur ccfïant tout d'un coup Lès autres Sultanes peignent par leurs attitudes le dépit & lajaloufie \ Zaïre jouit ma- lignement de la confufion de Tes com- pagnes ôc de l'abattement de fa rivale.. Le Sultan s'appercevant de l'impreffion que fon choix vient de faire fur l'efprir/ des femmes du Serrait , & voulant ajou^ ter au triomphe de Zaïre , ordonne à- Fatime , à Zima Se à ZaïJe d'attacher à la Sultane favorite le bouquet dont il l'a décorée. Elles obéiflènt à regret £ & malgré l'empreflèment avec lequel elles femblent fe rendre aux ordres du' Sultan, elles laiflent échapper des mouvements de dépit & de défefpoir qu'elles étouffent en apparence, lors- qu'elles rencontrent les yeùtf de leur Maître. Le Sultan danfe un pas de deux vd- Dd iv 414 Lettres luptueuxavec Zaïre Se Ce retire avec elle, , Zaïde à qui le Grand Seigneur avoit feint de préfenter le bouquet , confufe & défefpérée, fe livre dans \xnc entrée- feul à la rage & au dépit le plus affreux. Elle tire Ton poignard , elle veut s'arra- cher la vie, mais Tes compagnes arrê- tent Ton bras & fe hâtent de la détour- ner de ce deffein barbare. Zaïde eft prête à fe rendre lorfque Zaïre reparoît avec fierté ; fa préfence rappelle fa rivale à toute fa fureur ; . celle-ci s'élance avec précipitation fuc elle pour lui porter le coup qu'elle fe deftinoit ; Z* l'efquive adroitement, elle fe faifit de ce même poignard, & levé le bras pour en frapper Zaïde. Les femmes du Serrail fe partagent alors, elles accourent à l'une & à l'autre. Zaïde défarmée profite de l'inftant où fon Sur. la Danse. 42/ ennemie a le bras arrêté , elle fe jetee fur le poignard que Zaïre porte à fon côté pour s'en fervir contre elle ; mais les Sultanes attentives à leur conferva- tion parent le coup ; dans l'inftant les Eunuques appelles par le bruit entrent dans le Serrail ; ils voient le combat engagé de façon à leur faire craindre de ne pouvoir rétablir la paix , & ils fortent précipitamment pour avertir le Sultan. Les Sultanes dans ce moment entraînent & féparent les deux rivales qui font des efforts incroyables pour fe dégager ; elles y réufïîflènt ; à peine font-elles libres qu'elles fe reprennent avec fureur. Toutes les femmes effrayées volent entr'elles pour arrêter leurs coups. Dans le moment le Sultan effrayé fe préfente j le changement que produit fon arrivée eft un coup de Théâtre 41* Lettres frappant.- Le plaiflr & la tendrefle fuc- cédent fur le champ à la douleur & à ta rage. Zaïre loin de fc plaindre mon- tre par une générofité ordinaire aux belles âmes un air de féréniré qui rafl fure le Sultan , de qui calme les craintes qu'il avoit de perdre l'objet de fa ten- dreife. Ce calme fait renaître la joie dans le Serrail , & le Grand Seigneur permet alors aux Eunuques de donner une Fête à Zaïre ; la Danfe devient générale. Dans un pas de deux , Zaïre ôc Zaïde fe réconcilient. Le Grand Seigneur danfe avec elles un pas de trois dans lequel il marque toujours une préfé- rence décidée pour Zaïre. Cette Fête efl: terminée par une Contre-danfe noble. La dernière figure offre un grouppe pofé fur un trône Sur. l a D anî e. 417 élevé fur des gradins j il eft compofé des femmes du Serrail & du Grand Seigneur; Zaïre & Za'ide font aiîîfes à fes côtés. Ce grouppe eft couronné par un grand Baldaquin dont les rideaux font fupportés par des efclaves. Les deux côtés du Théâtre offrent un autre grouppe de Boftangis , d'Eunuques blancs, d'Eunuques noirs , de Muets, de Janilîàires & de Nains profternés aux pieds du trône du Grand Seigneur. Voilà , Monfieur , une defeription bien foible d'un enchaînement de Sec-* hes qui toutes intéreflent réellement. L'inftantoùle Grand Seigneur Ce décide, Celui où il emmené la Sultane favorite , le combat des femmes , le grouppe quelles forment à l'arrivée du Sultan, ce changement fubit, cette oppofîrion de fentiments, cet amour que toutes 4l8 LETTRES les femmes témoignent pour elles-mê- mes & qu'elles expriment toutes diffé- remment , font autant de contraftes que je ne peux vous faire faifir. Je fuis dans la même impuifTance relativement aux Scènes fimultances que j'avois placées dans ce Ballet. La Pantomime eft un trait , les grandes pafftons le décochent ; c'efl une multitude d'éclairs quife fuc- cédent avec rapidité j les Tableaux qui en réfultent font de feu, ils ne durent qu'un inftant, & font aufïi-tôt place a d'autres. Or, Moniteur, dans un Ballet bien conçu il faut peu de dialogues & peu de moments tranquilles ; le cœur doit y être toujours agité ; ainil comment décrire l'exprefTion vive du fentiment &C l'action animée de la Pantomime} C'efl: à l'ame à peindre , c'efl à la Phyfiono- mie à colorier, ce font les yeux enfin ; Srk ia Danse. 415 qui doivent donner les grands coups & terminer tous les Tableaux. L'action des Ballets dont je viens de vous parler eft bien moins longue à l'e- xécution qu'à la lecture. Des fignes extérieurs qui annoncent un fentî- ment deviennent froids 8c languif- fants , s'ils ne font fubitement fuivis d'autres fignes indicatifs de quelques nouvelles pafïïons qui lui fuccédent 3 . encore eft-il néceftaire de divifer l'action entre plufieursperfonnages; une même altération,des mêmes efforts, des mêmes mouvements, une agitation toujours continuelle fatigueroient & ennuie- roient enfin & l'acteur, & le fpectateur 3 il importe donc d'éviter les longueurs, fi l'on veut laifler à l'exprellîon la force qu'elle doit avoir , aux geftes leur éner- gie, à laphyfionomie fon ton , aux yeux. 4JO .. L E T T R E S Jeur éloquence , aux attitudes & aux po» étions leurs grâces & leur, vérité. • Le Ballet des Fêtes ou des Jaloufm du Serrai! , diront peut-être les criti- ques verfés dans la lecture des Romans, pèche contre le Cojlume &: les ufages des Levantins i ils trouveront . qu'il efl; ridicule d'introduire des Janiflaires ôc des Boflangis dans la partie du Ser- rai! deftinée aux Femmes du Grand Seigneur , & ils objecteront encore qu'il n'y a point de Nains à Confiait* tinoplc ôc que le Grand Seigneur ne les aime pas. - Je conviendrai de la juftefTe de leurs observations & de l'étendue de leurs connoiflances , mais je leur répondrai que û mes idées ont choqué la vérité elles n J ont point blefle la vraifemblan- ce» 3c dès-lors j'aurai euraifon de re- / Sur ia Danse. 43 * courir à des licences néceflaires que les Auteurs les plus diftingués fe permet- tent dans des ouvrages bien plus inté- reflants &bien plus, .précieux que des Ballets. . '; En s'attachant exactement à peindre le caractère , les moeurs & les ufages de certaines Nations , les tableaux feroienc fouvent d'une compofition pauvre &t monotone -, aufG y auroit-il de l'injuf» tice à condamner un Peintre furies licences ingénieufes qu'il auroit prifes^ fi ces mêmes licences contribuoient à la perfection, à la variété & à l'élé- gance de Tes tableaux. - .Lorfqueles caractères font foutenus; que celui de la Nation qu'on repréfen- te n'eft point altéré, & que la nature ne fe perd pas fous des embellifïèmcnts qui lui font étrangers & qui. la dé-; '4$ ï Lettre^ çradeiit ; lorfqu 'enfin l'exprefTîon dit fentiment eft fidelle j que le coloris eft vrai ; que le clair-obfcur eft: ménagé avec arc ; 'que les pofitions font no- bles; que lesgrouppes font ingénieux; que les majfes font belles & que le delU'in eft correct , le tableau dès-lors eft excellent & mérite les plus grands éloges. - Je crois , Monfieur , qu'une Fête Turque ou Chinoife ne plaîroit point à notre Nation , Ci on n'avoic l'art de l'embellir , & je fuis perfuadé que la manière de danfer de ces Peuples ne feroit point en droit deféduire ; ce cof- tume exact & cette imitation n'offri- roient qu'un fpectaclc très-plar & peu digne d'un Public qui n'applaudie qu'autant que les Artiftes ont l'art d'af- foder la délicatefTe & le génie aux différentes i Stf K XA Dakse. HrM différentes productions - qu'où- lui préf fente.^ w.àtion : nO .:; îi -jti") >>Wiq x« Si ceux ^ul •m'ont critiqué jkr H prétendue < licence'', que . j'av.oiscprife d'introduire des Boftangis; Ôc.des Ja- niflaires au Serrail* aVoient été témoins de l'exécution-, 'de la diftribiition & 4.e la;marche de "mon c Ballet\ ils aurpienc . vu 1 - qu& ces perfohnages qui Jes , onc blefle à ccente lieues d'éloignemeni f , n'èntroient ; point» 4ajvs Ja\, partie flif , Serrail où ife ; tiennent les Pemmes, .; . qu'ils ne paronToient que dans le jar- din, & que je ne les avois afïbciés à cette Scène que pour faire cortège & pour rendre l'arrivée 1 du Grand Sei- gneur plus impofante & plus maje£ tueufe. . Aurefte, Moniteur, une critique qui ne porte que fur un programme , tombe Ee ï#4 • ' L i T t x rj •d'elle-même parce : qu'elle n'eft ap» puyée fur rien. On prononce fur Iç triéiîted'un Peintre d'après fes tableaux "-& non d'après (onJlyU\ on doit pron- "noncer de- même fur celui du Maître tle Ballets d'après les grouppcs> lcs.fi- tuations , les coups dç Théâtre , les •figures mgénieufes , les formes faillant tes & X'cnftmblc qui régnent dans fon ouvrage. Juger de nos*produ* L E T T R B S le plus opiniâtre n'offre-t-il aux plus grands Artiftes qu'une lumière fouvent importune qui les éclaire fur leur in- fumTance, tandifque l'Ignorant fatis- fàit de lui-même au milieu des téne- .bres Jes plus épaifTes, croit qu'il n'eft abfolument rien au-delà de ce qu'il û flatte de favoir. Le Ballet dont je vais vous entrete- •nîr a pour titre l'amour Corfairc , ou l'Embarquement pour Cythere. La Scène fe paflè fur le bord de la mer dans l'ifle de Mifogyne. Quelques ar- bres inconnus dans nos Climats em- belliflent cette Ifle; d'un côté du Théâ- tre on apperçoit un Autel antique élevé à la Divinité que les Habitants adorent ; une Statue repréfentant un homme qui plonge un poignard dans Je fein d'une femme, eft élevée audefliis Sur la Danse. 437 de l'Autel. Les Habitants de cette Ifle font cruels & barbares j leur cou- tume eft d'immoler à leur Divinité toutes les femmes jettées malheureu- fement pour elles fur ces côtes. Ils impofent la même loi à tous les hom- mes qui échappent à la fureur des flots. Le fujet de la première Scène, eft l'ad- miiïîon d'un Etranger fauve du nau- frage. Cet Etranger eft conduit à l'Autel fur lequel font appuyés deux Grands Prêtres. Une partie des Habi- tants eft rangée autour de ce même Autel , tenant dans leurs mains des mafliies avec lefquelles ils s'exercent , tandis que les autres Infulaires célè- brent par une Danfe myftérieufe l'arri- vée de ce nouveau Profélyte. Celui-ci fe voit forcé de promettre folemnellc- ment d'immoler avec le fer dont on Ee iij 4jS Lettres va l'armer la première femme qu\m deftin trop cruel portera dans cette Ifle. A peine commence-t-il à proférer l'affreux ferment dont il frémit lui- même , quoiqu'il fafîè le vecu dans le fond de fon cœur de défobéir au nou- veau Dieu dont il embrafTe le culte , que la cérémonie eft interrompue par des cris perçants poufîes à l'afpe& d'une chaloupe que bat une horrible terril pête, &: par une Danfe vive qui annonce la joie barbare que fait naître l'efpoir de voir frapper quelques victimes. On epperçoit dans cette chaloupe une femme Se un homme qui lèvent les mains vers le Ciel , & qui demandent du fecours, Dorval ( c'eft le nom de l'Etranger ) croit reconnoître à l'appro- che de cette chaloupe fa feeur & fon ami, U regarde attentivement ; fon Svr~ t-A Danse. +$% coeur cft pénétré de plaifîr & de crain*. te; il les voit enfin hors de dan gerj: il fe livre à l'excès d'une fatisractioiv inexprimable % mais cette fatisfa&ion ôc la joie qu'elle infpire font bien* tôt balancées par le fouvenir du lieu terrible qu'il habite > & ce retour ru* nefte le précipite dans l'abattement ôc dans la . douleur la plus profonde, L'empreffement qu'il a d'abord té- moigné a fait prendre le change Ôc en a impofé aux Mi/ogymens '; il$ ont cru voir en lui du zèle , ôc un attachement i»violable à leur Loi ; ce- pendant Clairvillt ÔC Confiante (c'eft le nom des deux Amants ) abordent à terre j la mort eft peinte fur leur vifa» ge, leurs yeux s'ouvrent à peine, de? cheveux hériifés annoncent leur effroi» Un teint pâle ôc mourant peint toute Ee iv 440 ' L ï T T R E $\ l'horreur du trépas qui s'eit préfenté mille fois à eux & qu'ils redoutent encore j mais quelle eft leur furprife , lôrfqu'ils Te fentent étroitement em- brafTés ! ilsreconnoifTentZ><5rv mais Conjlanu s'échap- S uau la-Dan s'ï. 441. pant des bras de'.ibn Amant fufpend le coup que fon frère alloit porter; le/> Sauvage faifît cet inftant, il défarme Dorval 8c veut percer le fein de .celle qui vient de lui fauver la vie. ClairvUU, arrête le bras du perfide, il lui arrache le poignard. Dorval &c Clairvilleéga.-'. lement révoltés de la férocité & dé, l'inhumanité des habitants de cette Ifle fe rangent du côté de Confiance ;. ils la tiennent étroitement ferrée dans" leurs bras ; leurs corps eft un rempart qu'ils oppofent à la barbarie de leurs ennemis , & leurs yeux animés & étin- celants de colère femblent défier les Mifogyniens. , Ceux-ci furieux de cette ré/iftance ordonnent aux Sauvages qui ont des mafTues, d'arracher la vi&ime, /des bras de ces deux étrangers & de la traîner à l'Autel. Dorval & . Çlainille, 44«- L ET T RI 3 encouragés par le danger défarmenç deux de ces cruels ; ils Te livrent au combat avec fureur & avec audace, & viennent à chaque initant fe rallier auprès de Confiance ; ils ne la perdent pas un moment de vue. Celle-ci trem- blante & défoléc, craignant de perdre deux objets qui lui font également chers s'abandonne au défefpoir ; les Sacrifi- cateurs aidés de plufieurs Sauvages s'é- lancent fur elle & l'entraînent à l'Au- tel. Dans ce moment elle rappelle tout fon courage , elle lutte contre eux , elle Te faifit du poignard d'un des Sacrifica- teurs , elle l'en frappe. Délivrée pour un inftant elle fe jette dans les bras de fon amant & de fon frère ; mais elle en efl: arrachée cruellement. Elle s'é- chappe de nouveau & y revole encore \ cependant ne pouvant refîfter au nom* i S v r i. A Danse. -44} bre, Do/val & Clairville prefque mou- rants & accablés (ont enchaînés; Co/z» fiance eft entraînée au pied de cet Autel prône de la Barbarie, Le bras fe levé, le coup eftprêt à tomber, lorfqu'tfn Dieu protecteur des amants arrête le bras du Sacrificateur , en répandant un charme fur cette I/le qui en rend tous les habi- tants immobiles. Cette tranfition des plus grands mouvements à l'immobi- lité produit. un effet étonnant; Con* fiance évanouie aux pieds du Sacrifi- cateur, Dorval Se Clairville voyant à peine la lumière , font renverfés dans les bras de quelques Sauvages. * * Cette Scène en remontant à l'arrivée de Cotiy fiance 8c de Clairville offre une reconnoifiance touchante j le coup de Théâtre qui la fuit eft inté-» rodant, & le combat qui termine cette action viv« préfente trois Tableaux à la foisjc'etl l'amitié, la tendrefle & l'amour que l'onTeut défunir, ce forjf 444 Le ttr i s Le jour devient plus beau, les flots irrités s'abailîent , le calme fuccede à la tempête , plufieurs Tritons & plu- des liens tiffus par le fentiment que la Barbarie cher- che à rompre, mais que la nature &c Confiance s'ef- forcent de ferrer davantage. Ce n'eft point un intérêt particulier qui détermine les combattants. Confiance craint moins pour fes jours que pour ceux de fon amant 6c de fon frère ; ceux-ci veillent moins a leur confervation qu'a, celle de Confiance. S'ils reçoivent un coup, c'eft pour parer celui que l'on porte à l'objet de leur tendreffe j cette Scène longue à la lecture eft vive 5c animée à l'exécution ; car vous favea qu'il faut moins de temps pour exprimer un fenti- ment par le gefte, qu'il n'en faut pour le peindre par le difeours > ainfi lorfque l'inftant eft bien choill, l'action Pantomime eft plus chaude, plus animée fie plus intcrefi'antc que celle qui réfulte d'une Scène dialoguée. Je crois, Monficur , que celle que je viens de vous montrer dans une perfpeûive éloignée , porte un caractère, auquel l'humanité ne peut être infenfible , 6c qu'elle eft en droit d'arracher des larmes 6c de remuer for- tement tous eeux dont le ectur eft fufceptiblc do fentiment 6c de délicateflc. Sur la Dans!, 44 j> fîeurs Naïades folâtrent dans les eaux j: un vaillèau richement orné paroît fur; la Mer. * : . _ : .. : \ • . ...::-.'.. ; Il aborde > l'Amour fait jetter l'ancre y il defeend de fon bord ; les Nymphes , les- Jeux & les Plaifirs le fuivent , & en at- tendant les ordres de ce Dieu ', cette troupe légère fe range en bataille. Les Mifogynicns reviennent de l'extafe &< de l'immobilité dans laquelle l'Amour- les avoit plongés. Un de Ces regarda rappelle à la vie Confiance; Dorval ' ôc ClalrvilU ne doutant point alors que leur. . libérateur ne foit un Dieu, fe profternent à /es pieds. Les Sauvages *** L'Amour fous là forme d'un Corfairé le corh- mandej Ici Jeux oc les. .Plaifirs font employés' aux différentes manoeuvres » une troupe de Nymphes vêtues en Amazones font les foldats qui fervent far ce botd : tout cil éle"gànt , tout annonce fc ca- la&étife enfui ltpréfence dé l'entant de Cythcre* irrités.de voir leur culte profané , lèvent : tous leurs mafliies-pout mafTacrer & les adorateurs & la fuite de l'enfant de^ Çythere - r ils tournent 'même leur rage &leux fureur contre lui , mais que peu- vent les mortels , lorfque l'Amour com- mande ? un feul de fes regards fufpend- tous les bras armes des Mifogynicns. ' It Ordonne que l'on renverfe leur autel, que l'on brife leur infâme* divinité j les Jeux & les Plaifirs obéiffent à fa voix , l'autel s'ébranle fous leurs coups^ btftatue' s'écroule: &fe rompt par mor- ceaux; Un nouvel autel paroît& prend k place île celui. qui vient rd'etre dé-; ttuit ,, il.eft de marbre blanc ; dçs guir- landes de rofes , de jafmins & de myr* ces ajoutent à fon élégance ; des co- Ionnes fortent de la terre pour orner cet autel, .& un baldaquin; arùitemcnt I S 17 It t A D À n t * E. %'tf enrichi & porté par un grouppe d'Ahlours tlefcend des deux; les extrémités en font foutenues par des Zéphyrs qui les ap- puient, directement fur les quatre co- lonnes qui entourent l'autel j les arbres antiques de cette Ifle difparoiflènt pour faire place aux myrtes , aux orangers & aux bofquets de rofes & de jafmins. < Les MifogynUns à Tafpe& de leur divinité renverfée & de leur culte pro- fané entrent' en fureur j mais l'Amour tie leur permet de faire éclater leur co- lère que par intervalle ; il les arrête toujours lorfqu'ifs font prêts à frapper & à fe venger. Les inftants du charme qui les rend immobiles , offrent une multitude de tableaux & tle grouppes qui différent tous par les pofîtions , par la diftribution , par la compofition'i mais qui expriment également ce que •44$ .-rii-ç T[ T r es,? la fureur a de plus affreux. Les ta bleam : elles les attaquent avec les armes du fentiment j ceux-ci ne font plus : qu'une foible x&i finance. S'ils ont là. force .de lever le bras pour porter un coup, ils n'outpa$ le courage de le laiûTçr tomber s enfin leurs naadues leur échappent, elles ton> bent de leurs, mains, -Vaincus & fans défenie , .ils fc jettent aux genoux da burs vainqueurs , qui naturellerneni . tendres leur accordent leur grâce en l.es^encJiajLnantayçc des guirlandes de fleurs. Sur. la Dakse. 449 fleurs* L'Amour fatisfait unit ClairvilU à Confiance, les Mifogyniens aux Nym* phes , & donne à Dorval Zenlide ," jeune Nymphe que ce Dieu a pris foin' de former. Une marche de triomphe forme l'ouverture de ce Ballet, les Nym- phes mènent en laiflè les vaincus, l'A- mour ordonne des fêtes ôc le divertif- fement général commence. Ce Dieu , ClairvilU ôc Confiance , Dorval ôc Zc- néide, les Jeux ôc les Plaifirs danfent les principaux morceaux. La Contre-danfe noble de ce Ballet fe dégrade infenfi- blementde deux en deux ôc tout le mon- de fe place fuccefTîvement fur le Vaif- feau. De petits gradins pofésdans des fens différents & à des hauteurs diverfes- fervent, pour ainfi dire , de piedeftal à cette troupe amoureufe, ôc offrent, un grand grouppe diilribué avec élé- 4J0 LlTTRlî gance -, on lève l'ancre , les Zé'phyrs & les foupirs des amants enflent les voi- les , le vaifïèau prend le large , 6V poulie par des yents favorables il vogue vers Çychere. * * Ce Ballet a été mis avec foin fie tien n'a été épargné. Les Nymphes avolcnt des habits galants dont lejcorfets diftçtoient peu d« ceux des Ama- zones. Les vêtements des Sauvages étoient d'unt forme Gnguliere fie dans des couleurs entières , une partie d« la poitrine, des bras 8c des jambes étoit cguleutde chait. L'Amour «'étoit reconnu quepai fcj. ailes, 6c étojt vêtu dans le goût des Corfai» res Brigantins. Les habits des Jeux 5c des Plaids erapruntoient la forme de eeusr des Matelots qui fçjvsnt fur les Bitiments Cotfajtes , avec cette difterence qu'ils étoient plus galants. Cette troupe d'enfants reflcmbloit a ces jolies petites figures de porcelaine de Saxe, dont on garnit le» Cjhcm,u>éei. CUifrilU, Dorval fit Confiance fans çtr.c mis richement, étoient vêtus de bon goût fie conve- nablement. Un beau défordre compofoit leur ru{i4(e. Le defleia du habita é.iQii de M. Bo^utt » fit / S xi a là Dans je. 45 1 . Je vais pafler a&uellemenc aa Ja- foux fans Rival, ballet Efpagnol» 2c je vous préviens d'avance qu'il y a encore des combats &c des poignards. On appelle le MifanthropcV homme aux Rubans verds t on me nommera peut» être Yhommc aux Poignards. Lorfque l'on réfléchira cependant, fur VAxtPanj? tomitnt t, lorfque Yori examinera les limites étroites qui lui font preferitesj lorfque l'on conûdérera enfin Ton in- funSfance dans tout ce qui s'appelle Dialogue tranquille» & que l'on fc rappellera jufqu'à quel point il eft fu- bordonné aux règles de la Peinture, qui la Mafiquc de M- Grarétr. Elle imitort les accent» de la nature: fans êitc d'un chant unifoime elle était, haimooicufe. IL avoit mis enfin l'a&ion en Mufique & chaque trait étoit une expreffion qui prêtoit de« forces & de l'énergie au* mouTcments de la Danfe & oui es arumoir. tout lu TaWcawe, Ffij 4/i LïtTUJ comme la Pantomime ne peut rendre que des inftants , on ne pourra me blâ- mer de choifir tous ceux qui peuvent par leurs liaifons & par leurs fuccefïions remuer le cœur & affecter l'ame. Je ne fais (\ j'ai bien fait de m'attacher à ce genre, mais les larmes que le Public a donné à plufieurs Scènes de mes Ballets, l'émotion vive qu'ils ont caufée, me perfuadent que il je n'ai point en- core atteint le but , du moins ai - je trouvé la route qui peut y conduire. Je ne me flatte point de pouvoir fran- chir la diftance immenfe qui m'en éloi- gne & qui m'en féparc , ce fuccès n'eft réfervé qu'à ceux à qui le génie prête des ailes ; mais j'aurai du moins la fatif- faction d'avoir ouvert la voie. Indi- quer le chemin qui mené à la perfe- ction , eft un avantage qui fuflît à qui- - Stjr la Danse. 4yj conque n'a pas eu la force d'y arriver. Fcrnand eft amant à' Inès ; Clitan- dre, petit Maître François, eft amant de Bcatrix amie d'Inès ; voilà les Perfon- nages fur lefquels roule toute l'intri- gue. Çlitandrc à propos d'un coup d'E- chec * fe brouille vivement avec Bcatrix. * Quelques chofes qu'aient pu. dire les petits cri- tiques au fu jet de la Scène flmultanée de M. Dide- rot & de la partie de triftrac jouée dans la pre- mière Scène du Père de famille , ce qui la rend plus vraie cV; plus naturelle , j'ai mis un jeu d'Echec dans mon Ballet. Le Théâtre eft ou devroit être le Tableau ridelle de la vie humaine ; or tont ce qui fe fait de décent & de permis dans La Société , peut être jette fur cette toile 5 tant pis pour les fot$ il le beaufimple ne les féduit point j fi leur cœur eft glacé , & s'il eft infenfible aux images inté- , reflantes que préfentent des mœurs douces Se hon- nêtes. Faut-il qu'un Auteur abandonne fes fenti- rnents 5c renonce fans cefle à, la nature pour îç Livrer à des féeries &i h. des bamkochades , ou ne peut- on être ému que par un Spectacle continuel de Dieux & de Héros introduits fur la Scène i Ffiij 4J4 iîTIKI! Incs cherche à raccommoder Cliton* tondre & Bcatrix ' x celle - ci naturelle- ment fierefe retire; Clitandrc défefpcré la fait; ne pouvant obtenir Ton pardon il revient nn initant après & conjure Inès de lui être favorable ; celle - ci lui promet de s'intérefler en fa faveur, mais elle lui expofe le danger qu'elle court d'are feule avec lui ; elle craint la jaloufie de Fcrnand. Le François tou» jours pétulant & plus occupé de Ton amour que des inquiétudes d'Jnh , fe jette à fes genoux pour la preffer de ne point oublier de parler à Bcatrix ; Fcrnand paroît, & fans rien examinerai s'élance avec fureur fur Clitandn \ il lui faiiît la main dans l'inftant qu'il baife Celle d'Inès & qu'elle fait des efforts pour s'en défendre s & fur le champ il tire un poignard pour le frapper i mais StfH 1A Dàuse. '4/5 Inh pare le coup, & Béatriic attirée par le bruit couvre de fon corps Celui de Ton amant. L'Èfpagnol dès cet inftant interprète les fentiments à'Inh à fon défavantage ; il prend fa compafïton pour de la tendrefle ,fes craintes pour de l'amour j excité par les images que la jaloufie porte dans fon cœur , il fc dé- gage à'Inh & court fur Clitandrc ; la fuite précipitée de celui-ci le fauve du danger j mais l'Efpagnol au défcfpoir de n'avoir pu aflbuvir fa rage > fe re- tourne avec promptitude vers Ifùs pour lui porter le coup qu'il deftinoit à fon prétendu rival. Il veut la frap- per , mais le mouvement qu'elle fait pour voler au devant du bras qui la menace , arrête le tranfport du jaloux & lui fait tomber le fer de la main. Un gefte à'Irùs femble reprocher à fon Ffiv 4$ 6 Letthis amant fon injuiHcc. Défefpérée de fut- vivre au foupçon qu'il a conçu de fon infidélité , elle tombe fur un fau- teuil i Fcrnand toujours jaloux , mais honteux de fa barbarie fe jette fur un autre fiege. Les deux amants ofrrent .l'image du défefpoir & de l'amour . en courroux. Leurs yeux fe cherchent & S*évitent,s'enflamment & s'attendriflenr, Jnls tire une lettre de fon fein ; Fcr- nand l'imite j chacun y lit les fenti- ments de l'amour le plus tendre , mais tous deux Te croyant trompés, déchi- rent avec dépit ces premiers gages de leur amour. Egalement piqués de ca marquesde mépris, ils regardent atten- tivement les portraits qu'ils ont l'un de .l'autre , & n'y voyant plus que les traits de l'infidélité & du parjure ils i les jettent à leurs pieds. Fcrnand ex- Sur. la Danse. 457 prîmç cependant par Tes geftes & Tes regards combien ce facrifice lui -déchire le cœur j c'eft par un effort violent . qu'il fe défait d'un portrait qui lui eifc fi cher , il le laifïè tomber , ou pour mieux dire , il le laifle échapper avec peine de Tes mains. Dans cet initant il îê jette fur fon fiege & fe livre à la dou- leur & au défefpoir. Bcatrix témoin de cette Scène fait alors des efforts pour les raccommoder & pour les engager l'un & l'autre à s'approcher réciproquement. Iras fait les premiers pas , mais s'appercevant que Fcrnand ne répond point à fou emprcflèment elle prend la fuite ; Blar trix l'arrête fur le champ , & l'Efpagnol voyant que fa maîtrefle veut l'éviter fuit à fon tour avec un air d'accable- ment & de dépit. ■ 4j8 Lettres Bcatrix perfifte & veut toujours les contraindre à faire la paix. Pour cet effet elle les oblige de fe donner la main ; ils fe font tirer l'unie l'autre, mais elle parvient enfin a les rappro- cher & à les réunir. Elle les confi- dere enfuite avec un fourirc malin; les deux amants n'ofant encore Te regarder, malgré l'envie qu'ils en ont, fe trou- vent dos à dos; infenfiblement ils fe retournent; Inès par un regard aflure le pardon de Fcrnani qui lui baife la main avec tranfport ; & ils fe retirent tous trois pénétrés de la joie la plus vive. Clitandrt paroît fur la Scène ; Ton entrée eft un monologue , elle em- prunte Tes traits de la crainte & de l'inquiétude ; il cherche fa maîtrefle , mais appercevant Fernand, il fuit avec Sur la Danse. 459 célérité. Celui - ci témoigne à Béa- trix fa reconnoiflàncc , mais comme rien ne rcflèmble plus à l'amour que l'amitié , Incs qui le furprend tandis qu'il baife la main à Bêatrix , en prend occafion pour fe venger de la Scène que la jaloufie de fon amant lui a fait efluyer. Elle feint d'être jaloufe a fon tourj l'Efpagnol la croyant réelle- ment affectée de cette pafïion, cher- che à la détromper en lui donnant de nouvelles afTurances de fa tendreflè; elle y paroît infenfible & ne le re- gardant qu'avec des yeux troublés & menaçants , elle lui montre un poi- gnard; il frémit, il recule de frayeur , il s'élance pour le lui arracher, mais elle feint de s'en frapper , elle chan- celle & tombe dans les bras de fes Sui- vantes. A ce fpe&aclc , Fcrnand de-. 4^0 Lettres meure immobile & fans fentiment 9 & n'écoutant foudain que fon défef- poir il s'y livre tout entier & tente de s'arracher la vie. Tous les Efpagnols fe jettent fur lui & le défarment. Fu- rieux , il lutte contre eux & cherche à réfifter à leurs efforts } il en terrafTe plufieurs , mais accablé par le nombre & par fa douleur , Tes forces diminuent infenfiblement, fes jambes fe dérobent fous lui , fes yeux s'obfcurciflent & fc ferment, fes traits annoncent la mort, il tombe évanoui dans les bras des Efpagnols. * Inès qui dans les commencements de cette Scène jouiflbit du plaifir d'une vengeance qu'elle croyoit inno- cente Ec dont elle ne prévoyoic point les fuites, s'appercevant de fes triftes effets donne les marques les plus con- SlfK la Dàh'se. 461 vaincâhtes de la fincérité de fon re- pentir } elle vole à fon amant , le ferre tendrement dans fes bras , le prend par la main & s'efforce de le rappeller à la vie. Ftrnand ouvre les yeux, fa vue paroît troublée, il tourne la tête du côté à'Inhs , mais quel cft fon étonnement ! il croit à peine ce qu'il voit , il ne peut fe perfuader qu'/rtèj vive encore, & doutant de fon bonheur il exprime tour-à-tour fa fur- prife , fa crainte , fa joie , fa tendreflè & fon ravinement; il tombe aux ge- noux de fa maîtreflè qui le reçoit dans fes bras avec les tranfports de l'amante la plus paffionnée. Les différents événements que cette Scène a produit rendent l'action gé- nérale ; le plaifîr s'empare de tous les cœurs j il fc manifefte par des Danfes 4$X . LlTtRH ou Ftrnand » Inh , Bêatrix % & Çlî* tandrc préfident. Après plufieurs pas particuliers qui peignent l'enjouement & la volupté, le Ballet eft terminé par une Contre-danfe générale. Il eft aifé de s'appercevoir » Mon* ficur , que ce Ballet n'eft qu'une conv binaifon des Scènes les plus Taillantes de plusieurs Drames de notre Théâtre. Ce font des tableaux des meilleurs Mai* très que j'ai pris foin de réunir. Le premier eft pris de Mr. Diderot, le fécond offre un coup de Théâtre de mon imagination, je veux palier de l'inftant où Fernand levé le bras fur Clitandrc ; celui qui le fuit eft tiré de Mahomet lorfqu'il veut poignarder Irène & qu'elle lui dit eu volant au devant du coup» Sur la Danse. 46$ Ton bias eft fufpcndu ! Qui c'arrête ? Ofe tout» l)ans un cœur tout à toi laiflc tomber le coup. La Scène de dépit , les Lettres dé- chirées & les portraits rendus avec mépris préfentent la Scène du Dépit amoureux de Molière ; le raccommo- dement de Ferrtand & d'Inh n'eft au- tre chofe que celui de Mariant & de Valtre du Tartuffe ménagés adroite- ment par Dorine. La feinte jaloufie à'Inh eft un Epifode de pure inven- tion j l'égarement de Fernand , fa rage, fa fureur , fon défefpoir & fon acca- blement font Hmage des fureurs d'O» rejle de YAndromaque de Racine ; la reconnoifTance enfin eft celle de Rha- âamijit & de Zé noble de Mr. de Cre m billon. Tout ce qui lie ces tableaux , pour n*en former qu'un feul eft de moû You9 voyez , Monjieux , que ce 464 Lettres Ballet n'eft exactement qu'un cfîai que j'ai voulu faire pour tâter le goût du Public & pour me convaincre de la pofïibilité qu'il y a d'aflbeier le gen- re tragique à la Danfe. Tout eut du fucecs dans ce Ballet , fans en excep- ter même la Scène du dépit, jouée par- tie aiTîs, & partie debout; elle parut auiîi vive, auiTî animée & aufïî natu- relle que toutes les autres. Il y a dix mois que l'on donne ce Spedbacle & qu'on le voit avec plaifir j effet certain de la Danfe en action j elle paroît toujours nouvelle parce qu'elle parle à l'ame , & qu'elle intérelîe également le cœur & les yeux. J'ai pafle légèrement fur les parties de détail pour vous épargner l'ennui qu'elles auroient pu vous caufer , & je vais finir par quelques réflexions fur l'entêtement, f S tfR tA Danse. 46/ Pcntetement , la négligence ôc la pa* refle des Artiftes, & fur la facilité du Public à céder aux imprefïions de l'habitu4e» Que l'on confulte* Moniteur » tous ceux qui applaudilîènt indifféremment, & qui croiroient avoir perdu l'argent qu'ils ont donné à la porte s'ils n'a*- voient frappé des pieds ou des mains; qu'on leur demande } dis-je, comment ils trouvent la Danfe & les Ballets ? » miraculeux, répondront*ils ; ils font » du dernier bien; & les Arts agréables >» font étonnants, w Repréfentez leur qu'il y a des changements à faire ; que la Danfe eft froide; que les Bal* lcts n'ont d'autre mérite que celui du detfèin ; que l'expreffion y eft négli- gée; que la Pantomime eft. inconnue; que les plans font vuides de fens ; que +66 Lettres J'on s'attache à peindre des Tu jets trop minces ou trop vaftes , & qu'il y auroit une réforme confidérable à faire au Théâtre ; ils vous traiteront de ftu- pide & d'infenfé , ils ne pourront s'ima- giner que la Danfe &c les Ballets puif- fent leur procurer des plaifirs plus vifs. » Que l'on continue, ajouteront-ils, » à faire de belles pirouettes, de beaux y> entrechats ; que l'on fe tienne long- » temps fur la pointe du pied pour nous » avenir des difficultés de l'Art ; qu'on » remue toujours les jambes avec la m même vîtelîe , & nous ferons con- » tents. Nous ne voulons point de » changement , tout eft bien & l'on » ne peut rien faire de plus agréable. Mais , la Danfe , pourfuivront les Gens de goût , ne vous caufe que des fenfations médiocres , Si vous Sur la Dansé. $ê? fen éprouveriez de bien plus vives, fî cet Art étoit porté au degré de perfe- ction où il peut atteindre. « Nous ne » nous foucions pas, répondront-ils, » que la Danfe&les Ballets nous atten- » drifîènt , qu'ils nous fafïent verfer des » larmes ; nous ne voulons pas que cet h Art nous occupe férieufement j le » raifonnement lui ôteroit fes char- » mes ; c'eft moins à l'efprit à diriger » fes mouvements qu'à la folie ; le bon » fens l'anéantiroit ; nous prétendons » rire aux Ballets ; caufer aux Tra- >» gédies - y & parler petites maifons ," » petits foupers & équipages à la » Comédie. Voilà, Monfieur, un fyftême aflêz général. Eft - il pofïible que le Génie Créateur foit toujours perfécuté ? Soyez . ami de la vérité , c'eft un titre qui révolte 4<5S " L E ï f R * s tous ceux-qui la craignent. M. de Cahu. fac dévoile les beautés de notre An, il propofe des embelliflements néceflaires. il ne veut rien ôter à la Danfe , il ne cherche au contraire qu'à tracer un chemin sûr dans lequel les Danfeurs ne puiiTent s'égarer ; on dédaigne de le fuivre. Mr. Diderot ce Philofophe "ami de la nature , c'eft - à - dire, du vrai & du beau (impie, cherche éga- lement à enrichir la Scène Françoife d'un genre qu'il a moins puifé dans ton imagination que dans l'humanité; il voudroit fubftituer la Pantomime aux manières ; le ton de la nature au ton ampoulé de l'Art ; les habits fimples aux colifichets & à l'oripeau j le vrai au fabuleux ; l'efprit & le bon Tens au jargon entortillé , à ces petits "portraits mal peints qui font grima- Sur la Danse. 469 cer la nature & qui l'enlaidi Cent j i\ voudroit, dis - je > que la Comédie Françoife méritât le titre glorieux de l'Ecole des mœurs > que les contraftes fuflent moins choquants $c ménagés avec plus d'art ; que les vertus enfin n'eufïènt pas befoin d'être oppofée* aux vices pour être aimables & pour, féduire , parce que ces ombres trop fortes , loin de donner de la valeur aux objets & de les éclairer , les arfoibliflent & les éteignent > mais tous Tes efforts font impuiffants. Le Traité de Mr. de Cahufac fur la Danfe, eft auiïi néceffaire aux Danfeurs que l'étude de la Chronologie eft indif- penfable à ceux qui veulent écrire l'His- toire j cependant il a été critiqué des Perfonnes de l'Art , il a même excité les fades plaifanteries de ceux qui par de G s n i 47° L E T T R E S certaines raifons ne pouvoient ni le lire , ni l'entendre. Combien le mot Panto- mime n'a-t-il pas choqué tous ceux qui danfent le ferieux? Il feroit beau , di- foient-ils, de voir danfer ce genre en Pantomime. Avouez, Monfieur , qu'il faut abfolument ignorer la fignification du mot pour tenir un tel langage. J'aime- rois autant que l'on me dit: je renonce à l'efprit ; je ne veux point avoir d'ame ; je veux être brute toute la vie. Plufieurs Danfeursqui fe récrient fur l'impoiïïbilité qu'il y auroit de joindre la Pantomime à l'exécution méchani- que , & qui n'ont fait aucune tentative , ni aucun effort pour y réuffir , atta- quoient encore l'ouvrage de Mr. de Cahufac avec des armes bien fbibles. Ils lui reprochoient de ne point connoî- tre la méchanique de l'Art, & con- Sur la Danse. 471 cluoient delà que fes raifonnements ne portoient fur aucuns principes j quels difeours ! Eft-ii befoin de fa voir faire la Gargouilladc ôc l'Entrechat pour juger fainement des effets de ce Spectacle > pourfentir ce qui lui manque, & pour indiquer ce qui lui convient? Faut -il être Danfeur pour s'appercevoir du peu d'efprit qui règne dans unpas de deux , des contre-fens qui fe font habituelle- ment dans les Ballets , du peu d'expref- fion des Exécutants , & de la médiocrité du génie & des talents des Compos- teurs? Que diroit-on d'un Auteur qui ne voudroit pas fe foumettre au juge-» ment du Parterre, parce que ceux qui le compofent n'ont pas tous le talent de faire des Versi Si Mr. de Cahufac s'étoit attaché "aux pas de la Danfe, aux mouvements G g ÏY 47* . L E T T R. E S compares des bras, aux enchaînement! & aux mélanges compliqués des temps» il aurait couru les rifques de s'égarer i mais il a abandonné toutes ces par-. tics groiïleres à ceux qui n'ont que des jambes & des bras. Ce n'eu" pas pour eux qu'il a prétendu écrire, il n'a traité que la Poétique de l'Art j il en a faifi l'efprit & le cara&erci mal» heur à tous ceux qui ne peuvent ni le goûter ni l'entendre. Difons la vérité , le genre qu'il propofe eft difficile mais en effc-il moins beau ? C'eft le feul qui convienne à la Danfe & qui puiflç l'embellir. Les Grands Comédiens feront dtf fentiment de Mr, Didtraî\ les Médio- cres feront les feuls qui s'élèveront conr tre le genre qu'il indique : pourquoi ? c'eft qu'il eft pris dans la nature ; c'eû; Sur la Danse. 47 j qu'il faut des hommes pour le rendre ? & non pas des automates ; ceft qu'il exige des perfections qui ne peuvent s'acquérir, fi l'on n'en porte le germe en foi-même , & qu'il n'efl: pas feule- ment queftion de débiter , mais qu'il faut fentir vivement & avoir de l'ame. Il faudroit jouer , difois-je un jour à un Comédien , le Père de famille & le Fils naturel : ils ne feroient point d'effet au Théâtre, me répliqua-t-il. Avez- vous lu ces deux Drames ? oui , me répondit-il i eh bien n'avez-vous pas été ému j votre ame. n'a-t-elle point été affeétée; votre cœur ne s'eft- il pas attendri \ Se vos yeux ont-ils pu refufer des larmes aux tableaux (im- pies mais touchants que l'Auteur a peints fi naturellement ? J'ai éprouvé , me dit-il, tous ces mouvements. Pour* 474 L £ t T 11 £ s quoi donc , lui répondis-je , doutez- vous de l'effet que ces pièces produi- roient au Théâtre , puifqu'elles vous ont féduir,quoique dégagées des charmesde l'illufion que leur prêteroit la Scène ,& quoique privées de la nouvelle force qu'elles acquerroient étant jouées par de bons Acteurs ? Voilà la difficulté j il leroitrare d'en trouver un errand nom- bre, continua-t-il, capable de jouer ces Pièces j ces Scènes hmultanées feroient embarrairantcs à bien rendre ; cette action Pantomime feroit l'écueil contre lequel la plupart des Comédiens échoue- roient. La Scène muette eft épineufe , 'c'eft la pierre de touche de l'Acteur. Ces phrafes coupées, ces fens fufpen- dus, ces foupirs , ces fons à peine arti- culés demanderoient une vérité, une ame, une expreflion & un efprit qu'il F Sur la Danse. 475" h*eft pas permis à tout le monde d'a- voir j cette fîmplicité dans les vête- ments dépouillant l'Acteur de l'em- bellifTement de l'Art , le laiflèroit voir tel qu'il eft ; fa taille n'étant plus re- levée par l'élégance de la parure , il auroit befoin pour plaire de la belle nature , rien ne mafqueroit Tes imper- fections , & les yeux du Spectateur n'étant plus éblouis par le clinquant Se les colifichets, fe fîxeroient entièrement fur le Comédien. Je conviens , lui dis-jci que l'uni en tous genres exige de gran- des perfections ; qu'il ne fied qu'à la beauté d'être fimple Se que le désha- billé ajoute même à fes grâces ; maii ce n'eft ni la faure de Mr. Diderot 9 ni celle de Mr. de Cahufac , fi les grands talents font rares ; ils ne de- mandent l'un & l'autre qu'une per- 47<> Lmtms Feétion que l'on pourroic atteindre avec de l'émulation ; le genre qu'ils ont tracé eft le genre par excellence } il n'emprunte Tes traits & Tes grâce? que de la nature. Si les avis cV: les confeils de Mrs. Diderot &: de Cahufac ne font point fuivis s Ci les routes qu'ils indiquent pour arriver à la perfe&ion font dé- daignées , puis-je me flatter de réuflîr \ non fans doute , Monfieur, cV: il y auroit delà témérité à le penfer. , Je fais que la crainte frivole d'ity nover arrête toujours les Artiftes Pu^ fillanimes ; je n'ignore point encore flue l'habitude attache fortement le? talents médiocres aux vieilles rubri-» ques de leur profefîion; je conçois, que l'imitation en tout genre a des charmes qui féduifenc tous ceux. qui : Sv'k la Danse, 47? font fans goût & fans génie; la raifort e4l eft fimple, c'eft qu'il eft moins dif- ficile de copier que de créer. • Combien de talents égarés par une fervile imitation ? Combien de difpofi- tions étouffées & d'Artiftes ignorés pour avoir quitté le genre & la ma- nière qui leur étoient propres, & pour s'être efforcés de faifir ce qui n'étoit pas fait pour eux? Combien de Comédiens faux & de Parodiftes déteftables qui ont abandonné les accents de la nature, qui ont renoncé à eux-mêmes, à leur voix , à leur marche, à leurs geftes& à leur phyfionomie pour emprunter des organes, un jeu, une prononciation , une démarche , une expreflîon & des traits qui les défigurent, de manière qu'ils n'offrent que la charge ridicule des originaux qu'ils ont voulu co* 478 Lettres pier ? Combien de Danfeurs, de Pem» très & de Muficiens Te font perdus en fuivant cette route facile mais pernicieufe qui mencroic infcnfible- menr à la deftrucYion & a l'anéan- tiflement des Arts , Ci les ficelés ne produifoient toujours quelques hom- mes rares qui prenant la nature pour modèle & le génie pour gui- de , s'élèvent d'un vol hardi & de leurs propres ailes à la perfection. Tous ceux qui font fubjugués par l'imitation oublieront toujours la belle nature pour ne penfer uniquement qu'au modèle qui les frappe Se qui les féduit , modèle fouvent impar- fait & dont la copie ne peut plaire. Queftionnez les Artiftes ; deman- dez leur pourquoi ils ne s'appliquent point à être originaux & à donner à - $v r la Danse. 479 leur Art une forme plus (impie , une expreflîon plus vraie, un air plus na- turel ? ils vous répondront pour jufti- , fier leur indolence & leur parefïc qu'ils craignent de Te donner un ridi- cule î qu'il y a du danger à innover , à créer ; que le Public efl: accoutumé à telle manière , & que s'en écarter ce feroit lui déplaire. Voilà les raifons fur lefquelles ils fe fonderont pour affujettir les Arts au caprice & au changement , parce qu'ils ignoreront qu'ils font enfants de la nature ; qu'ils ne doivent fuivre qu'elle, & qu'ils doivent être invariables dans les règles qu'elle prefcrit. Ils s'effor- ceront enfin de vous perfuader qu'il eft plus glorieux de végéter & de languir à l'ombre des originaux qui leséclipfent & qui les écrafcnt, que 480 Lettrés de Ce donner la peine d'être originaux eux-mÊmes. Mr. Diderot n'a eu d'autre but que celui de la perfection du Théâtre; il vouloit ramener à la nature tous les Comédiens qui s'en font écartés. Mr. de Cahufac roppclloit également les Danfcurs à la vérité ; mais tout ce qu'ils ont dit a paru faux , parce que tout ce qu'ils ont dit ne préfente que les traits de la (implicite. On n'a point voulu con- venir qu'il ne falloit que de l'efprit pour mettre en pratique leurs confeils. Peut- on avouer qu'on en manqueîEft-il pofïi- ble de confcfTer que l'on n'a point d'expreffion , ce feroit convenir que l'on n'a point d'ame? On dit bien: je n'ai point de poumons ; mais je n'ai jamais entendu dire: je n'ai point d'en- trailles. Les Danfeurs avouent quelque- fois Sur la Danse. 481* fois qu'ils n'ont point de vigueur, mais Ils n'ont pas la même franchife lorf- qu'il eft queftion de parler de la ftérilité de leur imagination ; enfin les Maîtres de Ballets articulent avec naïveté qu'ils ne compofent pas vite Ôc que leur mé- tier les ennuyé, mais ils ne convien- nent point qu'ils ennuyent à leur tour le Spectateur , qu'ils font froids , diffus , monotones, & qu'ils n'ont point dé génie. Tels font, Monfieur ,1a plupart des hommes qui fe livrent au Théâtre; ils fe croient tous parfaits ; aufli n'eft-il pas étonnant que ceux qui fe font effor- cés de leur deffiller les yeux, fe dégoû- tent Se fe repentent même d'avoir tenté leur guérifon. L'amour propre eft dans toutes les conditions & dans tous les états un mal incurable. En vain cherciie-t-on à ra- Hh ^$i L ÏI,T R E.J . -, mener l'Art à |a nature , Ja dcfe^oi» cft génpialç j il n'eft ppint AJ^Ift oui puiflL déterminer les Artifos à revenir fou, s Çig étendards & à fe rajlii fpus les Drapeaux de la vérité & de la fimpljcitc. Ç'c(l un ferviçe étranger. cjui leur feroit trop pénible & trop4.qr, Il a donp été plus (Impie de dire quç M. de Cûl{ufaç paijoit en Auteur §Cj\pj\ en Danfeur,&que le genrç çju'ilprQr pofoit étoit extf a va gant, On s'eù. éçt\& par la rnéme rajfpn , que Je fils nyw<\ & je Pire de fan/if/g n'étoje/jt point des Pièces de Théâtre, & il a été plus facile de s'en tenir là çmç d'eflàyer deles jouer j au moyen, decjuoi les .A r Pftes pnt rajr fon & les Auteurs font des jn}J)éci|Je$i Leurs ouvrais ge ftay .que xles rêves £ ai . ts P. a K des 1p.0ra.lJA.es ennuyeux &4f mauvaife jjunjeur, & font, fys prix# « Il S UJl r LA , D.A.N JE. 4P3. fans mérite. Eh îçpî-pmentpppyfoiiiHfrilSi ' en avoir ) Y vqitrQiuouslcs getjfs mots : à la mode, toijs. les, petits, pPt'trajtsJ.eSj petites épigr,ammes f£ les pptftçs fajljics. ,] car les. ijifininit.nt petits pIaJfq]t. fpu?- vent à Paris,. J'ai vu un temps çù j'pifc ne parlqjt que des petits Enfants x gui- des petits CopiU'uns z qqe f}p$ /tf''/£ Violons , que du />f//* Anglqis & qu.ç/